Vendredi dernier j’ai rencontré le personnel des urgences de l’hôpital de la Timone, à Marseille. Comme plus de 260 services d’urgences, dans le pays, il est en grève. Certains de ces services sont en lutte depuis plus de 6 mois. Un tel niveau de mobilisation est tout simplement historique dans l’hôpital public. Et les infirmiers, les aides-soignants, les médecins de nos hôpitaux sont loin d’être familiers de la grève. Le métier retient souvent la colère. Leur premier réflexe face aux difficultés est bien souvent de serrer les dents et de boucher les trous dans les effectifs comme ils peuvent, pour le bien du service public. Mais ils sont arrivés au bout de cette logique. Le niveau de souffrance, côté personnel et côté patients, est trop important pour continuer à le supporter. Les soignants savent que des hommes et des femmes meurent à l’hôpital alors que l’on aurait pu les soigner. Ils meurent par manque de moyens.
Cela explique que le collectif inter-urgences qui coordonne la mobilisation dépasse largement le cercle habituel des syndicats du secteur. Ses revendications sont peu nombreuses et claires : en premier lieu la réouverture de lits, en second lieu le recrutement et en troisième lieu une augmentation de salaire pour tous les soignants. Elles correspondent aux maux accumulés de l’hôpital. Depuis 15 ans, alors que la fréquentation des urgences hospitalières a doublé, 80 000 lits ont été fermés. D’après l’Association des Médecins Urgentistes de France, chaque nuit: « 100 000 patients sont hospitalisés sur des brancards du fait du manque de lits ». La condition sociale des travailleurs de l’hôpital est elle-même un scandale. Les infirmiers français sont les 4ème moins bien payés de toute l’Europe. Et le secteur est le plus touché par les burnout.
L’appauvrissement constant de l’hôpital public a été sciemment entretenu. C’est toujours la même technique: le démantèlement de l’État sert à faire la place au secteur privé. La mise en faillite du secteur public est une technique de néolibéralisme pour créer un marché là où il n’existait pas avant. Ainsi, dans le cas de la santé, depuis 1996, 60 services d’urgences publics ont fermé. Mais dans le même temps, 138 services d’urgences privés ont ouvert leurs portes. Il y a de plus en plus de cliniques et de moins en moins d’hôpitaux publics. Bien sûr, les prix ne sont pas les mêmes.
Le 9 septembre dernier, Agnès Buzyn a annoncé un plan pour l’hôpital public. Il fut très mal reçu pour les personnels en grève depuis des longs moins. En effet, la ministre de la Santé a mis sur la table 750 millions d’euros sur 4 ans. Soit un peu moins de 190 millions d’euros chaque année. Elle a évidemment présenté cela comme une enveloppe considérable. Elle a pourtant l’année passé retiré un milliard d’euros de subsides à l’hôpital. Un milliard en moins d’un côté, 190 millions en plus de l’autre. Le rapport est de un à cinq.
Agnès Buzyn sait de quoi elle parle. Elle ment sciemment pour saturer l’espace médiatique. Car elle sait que celui-ci commencera par répéter ses propos et ne travaillera jamais le dossier ni ne fera aucun démenti. La plupart des ministres ont compris cette forme de manipulation des médias aux fins d’enfumage et d’abrutissement de l’opinion. Évidemment, sur le terrain, les gens de métier savent à quoi s’en tenir. Chacune de ses déclarations publiques rajoute donc de la colère dans la communauté hospitalière.
D’autant plus que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale discuté en ce moment à l’Assemblée nationale confirme la tendance : en 2020, comme en 2019, comme en 2018, l’hôpital devra encore se serrer la ceinture d’un cran. Ses dépenses augmenteront de 2,3% claironne le gouvernement et répètent les médias de l’officialité. La réalité, moyennant un peu de calcul est tout autre. Si l’on observe les années passées il faut prendre en compte le vieillissement de la population et le développement des maladies chroniques pour établir correctement le niveau des dépenses prévisibles On sait à présent que les dépenses évolueront donc de 4%. Et la progression du financement ne sera que de 2,3%. La différence représente donc un nouveau plan d’austérité de 1,7 milliards d’euros.
Il faut un plan de sauvetage pour l’hôpital public. Le programme « l’Avenir en Commun » proposait l’embauche de 60 000 soignants supplémentaires. Cela coûte environ 3 milliards d’euros. C’est exactement ce que nous coûte chaque année la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune. Par ailleurs, il est urgent de désengorger les urgences. Mais pas en disant à ceux qui les fréquentent qu’ils sont irresponsables et qu’ils devraient dégager. Il faut renforcer l’accessibilité financière et territoriale de la médecine de ville. Une personne sur quatre renonce à des soins pour des raisons financières. Pour cela nous proposons le remboursement intégral des soins par la Sécurité sociale. C’est finançable, notamment par les économies générées par l’intégration des mutuelles dans le régime général et par l’interdiction des dépassements d’honoraires. Ensuite, pour lutter contre les déserts médicaux, nous proposons la création d’un véritable corps de médecins fonctionnaires qui maillerait le territoire. Ces solutions, nous les défendons dès que nous le pouvons à l’Assemblée nationale quand la majorité n’interdit pas nos amendements. Nous le faisons jour et nuit pendant le débat de la loi de financement de la Sécurité sociale. Caroline Fiat y dirige une bataille sans faille.