En dehors de cette initiative pour une marche le 10 novembre, quoi d’autre dans le paysage ? L’alternative au texte d’appel à manifester contre la haine des musulmans est la banalisation du silence à propos de la haine des musulmans. Certains ont fait croire à une vague antisémite des gilets jaunes en février dernier en se moquant bien de la réalité de ce qu’ils dénonçaient. Des croix gammées avaient été taguées sur des murs. Le Parisien avait titré sur toute la une : « Ça suffit ». Des rassemblements furent convoquées dans tout le pays, le président en personne s’y rendit. Il passa même auparavant rendre visite à un monument du martyr juif à Paris. Quelques-uns de nos actuels imprécateurs exaltés nous accusèrent lâchement d’être « ambigus » face à l’antisémitisme. Partout dans les rassemblements nous eûmes à subir des grossièretés impunies. Puis on découvrit qu’une seule personne, sans aucun rapport avec les gilets jaunes, avait fait tous les tags incriminés. Ni excuses ni rétropédalage. Le ridicule n’a pas rendu plus vigilant depuis.
En tous cas, rien de toute cette capacité de mobilisation ne s’est manifesté quand il s’est agi des musulmans. Rien. Alors on fait avec ce qu’on a. À mes yeux, les musulmans valent autant que les autres. Ils doivent savoir que la France républicaine, ce n’est pas seulement ceux qui leur tournent le dos aussi grossièrement dans le malheur. Ils doivent savoir que les défenseurs intransigeants de la laïcité que nous sommes garantissent la liberté de leur culte comme celui de tous les autres. Ce qui n’est pas le cas de bien d’autres bonnes âmes qui donnent des leçons mais courent se faire voir à Saint-Sulpice, promeuvent les messes du 11 novembre, les processions de rue ou courent les synagogues kippa sur la tête à tout propos et supportent sans broncher les pires injures et stupidités proférées contre les musulmans.
Je m’adresse à vous, mes amis les plus proches que la campagne de dénigrement de cet appel fait hésiter. Réalisez qu’on ne doit pas accepter de faire des musulmans une catégorie qu’on ne pourrait défendre qu’en combinaison contre la lèpre ! Certes, « islamophobe » est un mot que nous n’aimons pas. Certes nous préférons combattre la « haine des musulmans ». Mais la question posée aujourd’hui n’est pas du tout celle du droit ou non de critiquer une religion. Ce droit n’est pas mis en cause. Le mot aujourd’hui désigne autre chose dans l’esprit public et dans la réalité. Il s’agit de combattre une attitude de haine aveuglée poussant aux mauvais traitements et au crime contre les croyants réels ou supposés d’une religion. C’est ce que dit expressément le texte que j’ai signé à propos de l’islamophobie : « Quel que soit le nom qu’on lui donne, il ne s’agit plus ici de débats d’idées ou de critique des religions mais d’une forme de racisme explicite qui vise des personnes en raison de leur foi ». Les lois liberticides dont parle aussi ce texte ne sont pas nommées. C’est dommage. Cela permettrait de clouer le bec à ceux qui semblent vouloir oublier le contenu récent des lois sur l’état d’urgence qui permettent tous les abus ou celle du Sénat contre le seul voile des parents accompagnatrices bénévoles de sorties scolaires.
Me faire donner des leçons de laïcité et d’intransigeance a l’égard des intrusions du religieux dans la politique est un moment savoureux. Car je n’ai pas oublié les indignations sélectives passées et même récentes des mêmes quand je ne voulais rien céder aux autres religions. Ceux-là ne savent pas que la laïcité n’est pas le fouet des maîtres mais l’appel des opprimés qui veulent croire chacun comme bon leur semble qu’un autre monde sera moins cruel que celui-ci. Et si nous nous chargeons plutôt de changer celui-ci ici et maintenant, ne perdons pas de vue de quoi nous parlent les croyants du peuple. Quand Marx parle de « l’opium du peuple » à propos de la religion, on gagne à lire davantage que les premiers deux-cent quatre-vingt signes, car à l’époque on ne pensait pas au format du tweet. Il explique : « La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit des conditions sociales d’où l’esprit est exclu ». Depuis cette vue, après avoir vaincu chez nous les manigances de l’Église catholique contre la République jusqu’en 1920, nous avons vu changer bien des choses. Nous avons appris à connaître avec la « théologie de la Libération » en Amérique latine comment la religion pouvait aussi ne pas être qu’une drogue qui annule la volonté d’agir pour changer le monde mais parfois l’exact contraire. Je ne dis tout cela et ne déborde de mon sujet que pour donner à respirer dans une querelle pour le reste bien étouffante. Pour le reste je persiste et signe au nom du texte réel et du contexte cruel.
Je crois utile de publier ici le texte réel que j’ai signé et je demande en conscience à mes amis de toujours ce qu’ils trouvent vraiment à redire à ce qu’ils lisent !
« Depuis bien trop longtemps, les musulmanes et les musulmans en France sont la cible de discours venant parfois de « responsables » politiques, d’invectives et de polémiques relayés par certains médias, participant ainsi à leur stigmatisation grandissante.
Depuis des années, la dignité des musulmanes et des musulmans est jetée en pâture, désignée à la vindicte des groupes les plus racistes qui occupent désormais l’espace politique et médiatique français, sans que soit prise la mesure de la gravité de la situation.
Depuis des années, les actes qui les visent s’intensifient : qu’il s’agisse de discriminations, de projets ou de lois liberticides, d’agressions physiques de femmes portant le foulard, d’attaques contre des mosquées ou des imams, allant même jusqu’à la tentative de meurtre.
L’attentat contre la mosquée de Bayonne le 28 octobre en est la manifestation la plus récente et les services de l’État savent que la menace terroriste contre les lieux de cultes musulmans est grande.
Il a fallu que cette violence jaillisse aux yeux de tous, à travers l’humiliation d’une maman et de son enfant par un élu RN au conseil général de Bourgogne Franche Comté, pour que tout le monde réalise ce que des associations, des universitaires, des personnalités, des syndicats, militants et au-delà, des habitants, dénoncent à juste titre depuis des années :
L’islamophobie en France est une réalité. Quel que soit le nom qu’on lui donne, il ne s’agit plus ici de débats d’idées ou de critique des religions mais d’une forme de racisme explicite qui vise des personnes en raison de leur foi. Il faut aujourd’hui s’unir et se donner les moyens de la combattre, afin que plus jamais, les musulmanes et les musulmans ne puissent faire l’objet de tels traitements.
Puisque les discours et déclarations d’intention ne suffisent plus, parce que l’heure est grave, le 10 novembre à Paris nous marcherons pour dire :
– STOP aux discours racistes qui se déversent sur nos écrans à longueur de journée, dans l’indifférence générale et le silence complice des institutions étatiques chargées de lutter contre le racisme ;
– STOP aux discriminations qui visent des femmes portant le foulard, provoquant leur exclusion progressive de toutes les sphères de la société ;
– STOP aux violences et aux agressions contre les musulmanes et les musulmans, qui se retrouvent progressivement déshumanisés et stigmatisés, faisant d’eux des terroristes potentiels ou des ennemis de l’intérieur ;
– STOP aux délations abusives jusqu’au plus haut niveau de l’État contre des musulmans dont le seul tort serait l’appartenance réelle ou supposée à une religion ;
– STOP à ces dispositifs de surveillance de masse qui conduisent à une criminalisation pure et simple de la pratique religieuse : les conséquences, notamment pour des salariés licenciés et des familles déstabilisées sont désastreuses et ne peuvent plus être tolérées. Cette criminalisation se fait au détriment des libertés fondamentales et des principes les plus élémentaires d’égalité censés guider notre pays.
Nous, musulmans ou non, disons STOP à l’islamophobie et nous serons nombreux pour le dire ensemble le 10 novembre prochain à Paris.
Nous appelons toutes les organisations, toutes les associations, tous les collectifs, toutes les fédérations de parents d’élèves, tous les partis politiques, toutes les personnalités, tous les médias, toutes les personnes solidaires à se joindre à cet appel solennel et à répondre présent à la marche du 10 novembre prochain.
Il en va des libertés fondamentales de tous. Il en va de la dignité et de l’intégrité de millions de concitoyens. Il en va de notre unité à tous, contre le racisme sous toutes ses formes qui, aujourd’hui, menace une nouvelle fois la France. »