Depuis le dépôt du 49.3, le gouvernement multiplie à nouveau les effets de propagande pour atténuer la violence du choc qu’il a imposé à l’opinion démocratique du pays. Hélas, ses bobards sont trop amplement relayés. De fait, une des choses les plus lamentables que nous ayons dû affronter ces temps derniers c’est la façon avec laquelle sont répandus sans vérification les éléments de langage du régime. Ce n’est pas un complot mais un manque total de professionnalisme parmi les colporteurs d’informations. Personne ne vérifie rien. On a connu les « 700 000 sous-amendements » de LFI qui n’existaient pas mais que « Le Parisien » et quelques autres ont colporté sans vergogne. Mais là, les porte-plumes du régime savaient que c’était une invention. Je dois admettre que cela modifie mon appréciation sur l’usage du mot « désinformation » que je désapprouvais jusque-là. Il supposait une volonté active de faire croire sciemment à des mensonges délibérés. Je n’y croyais pas. Pour moi il s’agissait la plupart du temps de l’expression d’un parti-pris idéologique. Mais dans le cas de ces « 700 000 sous amendements » il y avait bien la volonté délibérée de faire croire des choses qui n’existaient pas. Car l’auteure, Jannick Halimi, et la direction de la rédaction du « Parisien » savaient parfaitement bien à quoi s’en tenir.
La vague actuelle des arguments du régime est colportée avec le même zèle. Pour autant, je ne crois pas que ce soit de la « désinformation » qui supposerait un choix actif. Je pense qu’il s’agit plus simplement de paresse combinée à de l’ignorance. Je parle ici par exemple de l’antienne sur « l’abus d’amendements », cette ritournelle des commentateurs. Non seulement il y en a eu moins que sur d’autres textes dans le passé mais en réalité leur nombre doit être divisé par 17 concernant ceux déposés par les Insoumis. En effet, au contraire de la commission spéciale, les amendements identiques ne sont défendus qu’une seule fois dans la séance pleinière de l’hémicycle. Et une seule réponse au ministre et au rapporteur est possible. Il suffit de suivre la séance une heure et on le sait. Même ça, ce fut trop. Quant à l’abus de temps de parole il suffit de consulter les statistiques des séances de l’Assemblée pour savoir à quoi s’en tenir vraiment. Mais ça aussi c’était encore trop de travail. Je reprends donc à mon compte les calculs faits par l’euro député Insoumis Manuel Bompard.
L’examen du texte a déjà duré trop longtemps ?
Voyons cela. Le 49.3 intervient après un débat de 117 heures réparti sur 13 jours. C’est très loin d’être un record, loin d’être excessif. C’est moins que les 157 heures qui avait été consacrées à la réforme des retraites de 2003 dont l’examen avait duré 19 jours. C’est bien moins que les 20 jours qui avaient été nécessaires pour l’examen de la loi sur la presse de 1984 (167 heures de débat). C’est inférieur encore aux 142 heures passées sur l’examen de la loi de 2014 sur l’assurance maladie, aux 121 heures de débat sur le projet de loi relatif au secteur de l’énergie de 2006 et à peu près équivalent au temps nécessaire pour discuter de la loi Macron de 2015 (111 heures de débat). Bref, c’est une durée tout à fait raisonnable pour un texte qui se propose de révolutionner tout le système de retraites de plusieurs millions de salariés. Un enjeu qui porte sur un montant de 300 milliards à peu près équivalent au budget de l’État. Un projet qui va impacter l’ensemble des Français pendant en moyenne un quart de leur durée totale de vie.
La parole était confisquée par la France insoumise ?
Nous aurions monopolisé la parole. Après mes deux premières minutes d’intervention en pleinière, j’en fus accusé. Je fus même traité « d’apprenti dictateur ». Voyons les faits réels. Les débats auront donc duré 117 heures. Sur ces 117 heures, les députés de la France insoumise auront parlé, selon les comptages officiels, pendant une durée totale de 15 heures et 54 minutes. Cela représente environ 13% du temps de parole total. Les députés communistes auront parlé pratiquement le même temps (15h07) tandis que les députés de la droite se seront exprimés pendant 12h15. On est bien loin de la confiscation du débat par les insoumis.
Le nombre d’amendements était insurmontable ?
Au moment de la prise de parole du Premier ministre, les députés en avaient examiné 6181, soit presque 20% du total. Mais il faut noter que l’examen du premier article a pris un temps considérable, en raison de la volonté délibérée du président de l’Assemblée Nationale, Richard Ferrand. En effet celui-ci a décidé de faire annuler 1184 amendements pourtant déposés dans les règles. Pour empêcher cette manœuvre, les députés communistes ont pratiqué l’utilisation de sous-amendements suivis par les autres oppositions. Nous avons obtenu gain de cause puisque Richard Ferrand a été contraint de renoncer. Dès lors, c’est exactement une semaine de débat qui a été perdue de sa faute. Depuis, la discussion avançait à une vitesse raisonnable et rien n’empêchait l’examen du texte d’aller à son terme quitte à enjamber les municipales.
Le 49.3, c’était l’objectif des insoumis ?
Autre registre d’arguments gouvernementaux : le 49.3 serait le résultat du plan et de la volonté délibérée des Insoumis. Leur projet serait de « faire tomber le gouvernement dans le piège » de la brutalité. C’est l’argument du « ils l’ont bien cherché » dont je ne rappellerai pas dans quels cas lamentables il est souvent utilisé. Rendre la victime responsable de son malheur est la meilleure façon de blanchir les coupables. Personne ne se risque à se demander où serait notre intérêt à l’interruption du débat quand il est clair au contraire pourtant que plus le débat durait plus il était visible que c’était bien là le plus puissant moyen de conscientisation dont nous disposons. J’ai lu que ce serait l’occasion pour nous de « dénoncer la brutalité du gouvernement ». Qui peut croire que nous avons besoin du 49.3 pour le faire ? Nous n’avons pas cessé un jour de le faire !
La réforme des retraites est adoptée ?
On en est loin ! En effet, le 49.3 ne peut être utilisé qu’une seule fois par session parlementaire. Et a une seule des deux lois déposées sur le thème. La loi ordinaire ira donc au Sénat. Là-bas, aucun 49.3 n’est possible. Des lors, même si les motions de censure déposées à l’Assemblée nationale ne recueillent pas une majorité, il faudra ensuite que le texte soit voté au Sénat puis à nouveau par l’Assemblée Nationale si le Sénat l’a modifié. Et c’est ce qu’il fera. La bataille parlementaire va donc se poursuivre. Pour être remportée, elle devra trouver le renfort d’une nouvelle mobilisation populaire d’ampleur qui rend visible l’opposition majoritaire du peuple à cette réforme. Mais elle pourra aussi s’appuyer sur le verdict des élections municipales. Et il s’annonce comme une défaite inédite pour le parti au pouvoir. Si c’est le cas au Havre, on peut dire que la motion de censure électorale sera claire.