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Et maintenant, la famine !

La semaine prochaine, le groupe parlementaire Insoumis va présenter une proposition de loi à propos de la crise alimentaire en France. Il le fera dans le cadre de la journée dont il dispose pour avoir un texte inscrit d’office au vote de l’Assemblée. Il est clair que notre motivation vient de la situation de détresse constatée sur le terrain. Si choquant que le mot paraisse il décrit un fait hélas bien réel. La famine est là. Comment est-ce possible ? Dans la brochure « L’Engrenage », j’ai fait le point en partant de l’angle le plus large. J’y reviens ici pour que ce blog continue d’être le témoin éclairé de son temps.

L’épisode coronavirus était au point de départ un fait biologique : une nouvelle maladie pour l’être humain. Mais il est en même temps un fait social. Il se déploie à l’intérieur d’une organisation particulière des sociétés humaines : le capitalisme globalisé et financiarisé. La globalisation agit comme un agent propagateur de l’onde de choc sanitaire dans tous les autres compartiments de la société. Elle s’est déjà muée en crise économique et en krach financier avec la chute des cours du pétrole. Elle pourrait aussi se transformer en crise alimentaire mondiale. Trois organisations internationales ont lancé l’alerte. Le 1er avril, l’Organisation pour l’Agriculture et l’Alimentation des Nations Unies, l’Organisation Mondiale du Commerce et l’Organisation Mondiale de la Santé ont publié un communiqué commun s’inquiétant de la menace pour l’approvisionnement alimentaire de l’Humanité que représente le confinement de la moitié du monde. Elles constatent que cette crise arriverait au pire moment. Pour l’année 2019, l’ONU recensait 135 millions de personnes dans 55 pays du monde au bord de la famine. C’est le chiffre le plus élevé pour les quatre dernières années. Le programme alimentaire mondial a prévu qu’il allait doubler en 2020.

Ce risque n’est pas créé par des mauvaises récoltes, ou des conditions climatiques dégradées. C’est plutôt le mode d’organisation de l’agriculture et de l’alimentation au niveau mondial qui est en cause. L’approvisionnement des populations en nourriture dépend de chaînes d’interdépendance très longues et complexes. Or, le coronavirus affecte plusieurs maillons de cette chaîne. D’abord, la notion d’autosuffisance alimentaire n’existe plus dans notre monde. Ni au niveau local, ni au niveau national, ni même au niveau continental. Chaque pays, chaque région dépend du monde entier pour pouvoir manger. Il s’agit d’une situation très instable pour la sécurité alimentaire. Si des pays arrêtent leurs échanges internationaux agricoles pour une raison ou une autre, cela peut engendrer des pénuries sur toute la planète. C’est déjà ce qui est en train de se passer. Des grands États exportateurs reconstituent des stocks qui avaient disparu. Sur décision de son gouvernement, plus un épi de blé ne quitte le Kazakhstan, qui en est le premier exportateur mondial. Le Vietnam a suspendu provisoirement tous ses contrats internationaux sur le riz, dont il est le troisième exportateur. Le problème peut venir plus simplement d’un ralentissement du commerce. C’est le cas en ce moment puisque de nombreux pays ont renforcé des contrôles douaniers à leurs frontières. Ce qui peut laisser le temps pour certaines denrées de pourrir dans les camions ou les conteneurs.

La France est-elle épargnée par cette dépendance aux marchés mondiaux ? Non. Bien que nous soyons une puissance agricole, nous ne sommes pas autosuffisants pour notre alimentation. Nous en aurions sûrement les moyens mais une grande partie de nos productions sont pour l’export et non la consommation nationale. Celle-ci dépend donc pour une partie importante de l’importation. Par exemple, 40% à 60% des fruits et légumes consommés en France sont produits à l’étranger. On peut aussi citer le cas extrême de la région Ile de France. 49% des terres franciliennes sont consacrées à l’agriculture. Pourtant, cette région importe 90% de son alimentation. De manière globale, les aliments que nous achetons ont parcouru en moyenne 3000 kilomètres avant d’être dans les rayons. C’est aussi dû au fait que des matières premières récoltées ici sont ensuite envoyées dans des usines à l’étranger pour revenir ensuite en France comme produits finis. Ainsi, beaucoup de gens ont constaté ces dernières semaines le vide dans les étals pour la farine. La France est pourtant le premier producteur de l’Union européenne de blé. Mais plus de la moitié des sachets de farines vendus au grand public sont importés.

Depuis le début du confinement, le ministre de l’agriculture, la FNSEA et l’industrie agro-alimentaire se veulent rassurant : il n’y a pas de risque de pénurie en France. Il y a des stocks. Des stocks ? Pas des stocks gérés par l’État comme c’était encore le cas dans les années 1970 et 1980. Cette prudence a été abandonnée avec l’idée d’autosuffisance. Ce ne sont pas ceux de la grande distribution non plus. Elle fonctionne totalement à flux-tendu et considère généralement les stocks comme une perte d’argent. Il reste donc les stocks des coopératives d’agriculteurs et des entrepôts des usines. Espérons qu’ils soient suffisants et surtout qu’ils ne deviennent pas une source de spéculation pour les entreprises privées qui en sont propriétaires. Mais même si nous admettons que c’est bien le cas, il reste d’autres problèmes, d’autres compartiments de la chaîne qui peuvent se gripper. Par exemple, la main d’œuvre pour les récoltes. L’agriculture est une activité qui nécessite beaucoup de main d’œuvre à certains moments de l’année pour faire les récoltes. Or, dans beaucoup de pays européens, cette main d’œuvre vient de pays étrangers. En France, où il y a besoin de 200 000 travailleurs supplémentaires d’ici juin, ce sont principalement des marocains et des espagnols qui viennent. Mais en Espagne, ce sont des Roumains ou des Marocains qui font les récoltes, vu que les Espagnols sont pendant ce temps en France. Ces déplacements de population sont rendus impossibles par le confinement. Ainsi, en Espagne, principal pourvoyeur de fruits et légumes au niveau européen, certaines récoltes sont déjà gâchées. L’Allemagne, elle, a décidé d’autoriser la venue de travailleurs détachés roumains pour ramasser les fraises et les asperges. Ce qui a conduit à la ruée vers les aéroports roumains de 100 000 personnes. Pas terrible sur le plan sanitaire pour un pays en confinement généralisé.

Mais le problème de la main-d’œuvre ne se pose pas que pour la récolte. La globalisation agricole repose sur un ample système de transport et de logistique. Même si les produits de base sont récoltés, que les usines tournent et que les supermarchés sont ouverts, il faut assurer leur circulation d’un bout à l’autre des pays et de la planète. En France, les sociétés de transport ont dû faire avec moins de chauffeurs que d’habitude. Certains sont en arrêt maladie pour suspicion de coronavirus. D’autres ont exercé leur droit de retrait, estimant que les conditions de leur sécurité sanitaire n’étaient pas remplies. Et la circulation des routiers sur des milliers de kilomètres repose sur les stations-services au bord des routes. Sans elles, ils n’ont pas d’endroit où se reposer, se restaurer et assurer leur hygiène. Or, en ce moment, difficile de trouver assez de salariés pour les maintenir ouvertes. Ces difficultés ont déjà entrainé une augmentation des prix du transport routier de 25%. Augmentation qui se répercute tout au long de la chaîne jusqu’aux rayons des supermarchés.

L’élément déstabilisateur du système alimentaire mondial pourrait aussi venir de la finance. Les échanges agricoles sont déterminés par les marchés financiers. Depuis le début des années 2000, les échanges sur les produits dérivés agricoles ont été multipliés par 16. Et seulement 2% des transactions sur les bourses agricoles correspondent à une livraison physique de denrées. La plupart des récoltes sont achetées et vendues plusieurs fois avant même d’avoir été semées. Nous savons que cette configuration a le pouvoir de provoquer une flambée des prix. En 2006-2008, une bulle spéculative sur les marchés agricoles avait fait s’envoler le cours du blé de 164%, celui du soja de 124% et du maïs de 178%. Cette bulle financière avait engendré des émeutes de la faim dans de nombreux pays. Le chef économiste de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation a rappelé récemment : « il suffit d’un gros trader pour prendre une décision qui perturbera toute la chaîne d’approvisionnement des denrées ». En ce moment, on voit bien les raisons pour lesquelles certains peuvent être tenté de parier sur une hausse des prix, leur pari suffisant à la créer. Avec la chute des cours du pétrole, beaucoup de banques, de fonds d’investissements vont tenter de faire migrer leur argent vers une nouvelle valeur « refuge ».

Voilà pour la chaîne de l’offre. Mais il y a l’autre bout : la consommation. De ce côté-là, on est déjà en situation de détresse alimentaire, y compris en France pour beaucoup de familles. Dans les milieux populaires, le confinement rend difficile de nourrir toute la famille pour plein de raisons. D’abord, l’offre s’est réduite. Les marchés ouverts, qui procuraient parfois les produits frais les moins chers, sont fermés. On ne peut plus faire des kilomètres et plusieurs magasins pour chercher le moins cher, comme le font beaucoup de gens en temps normal. La grande distribution est en situation de monopole complet, ce qui l’incite à augmenter les prix. Par ailleurs, le confinement a fait perdre a beaucoup de gens ses revenus. Notamment les précaires, les intérimaires, les auto-entrepreneurs. Les cantines scolaires et leurs tarifs avantageux sont fermés. Résultat : les files d’attente s’allongent devant les distributions gratuites de nourriture. On y croise beaucoup de personnes qui n’y allaient jamais avant. Le préfet de Seine-Saint-Denis estime que dans son département, entre 15 000 et 20 000 personnes vont avoir de graves difficultés à s’alimenter dans les prochaines semaines.

Cette situation est aggravée par la très grande fragilité du réseau d’aide alimentaire dans le pays. Cette tâche est complètement délaissée par l’État et repose totalement sur les associations, que ce soient les réseaux nationaux comme les Resto du Cœur, la Croix Rouge ou le Secours Populaire ou bien les associations locales. Qui dit associations, dit bénévoles. Et les bénévoles, en France, sont pour beaucoup des retraités. Problème : on dit aux personnes âgées de surtout rester confinées. De nombreuses association ont dû diminuer leur activité dans la période à cause du manque de bénévoles disponibles. Alors même que la demande est plus forte que jamais. Par ailleurs, elles ne sont pas sur la liste prioritaire des secteurs pour l’approvisionnement en masques et en gel hydroalcoolique. Et la « ramasse » des invendus des supermarchés est rendue bien difficile par les règles de distanciation sociale. Il est impératif de revoir ce fonctionnement qui fait reposer une mission de service public uniquement sur le bénévolat.

Dans l’urgence, il faut imposer un encadrement des prix pour les denrées alimentaires de base pour la grande distribution. Cet encadrement pourrait se faire sur la base d’un prix d’achat au producteur et d’une marge maximale pour la vente au consommateur. C’est ce qu’on déjà proposé les insoumis à l’Assemblée nationale dans les années passées. Par ailleurs, il faut briser le monopole de la grande distribution. La Confédération paysanne propose d’utiliser les cuisines centrales de la restauration collective, fermées, pour développer des circuits directs du producteur au consommateur. Très vite, il faut engager une nouvelle révolution agricole afin de disposer d’une agriculture locale, biologique et autosuffisante pour notre pays.

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