Cette interview a été publiée dans le journal La Montagne. Propos recueillis par Florence Chédotal
Votre souhait de voir une « police aussi désarmée que possible » a fait beaucoup réagir cette semaine. Parliez-vous d’un monde idéal ou est-ce un déni de réalité ?
Je m’inspirais de l’exemple de très nombreux pays qui n’ont pas de police armée dans les tâches d’accompagnement des manifestations, de circulation… Je ne crois pas que ces pays soient dans le déni ou l’impuissance policière.
La doctrine d’emploi de la police en France a progressivement dégénéré dans une vision où, au lieu de garantir la sûreté des citoyens, elle garantit d’abord celle du gouvernement.
Je note des préjugés collectifs absurdes. On me parle de Dijon comme de la démonstration du fait que la police ne peut pas être désarmée. Or, le préfet a décidé que 40 policiers armés n’étaient pas une force suffisante pour faire face à la situation. Pendant trois jours, il a abandonné le quartier des Grésilles à l’agression dont il faisait l’objet de la part d’une bande de Tchétchènes. Il est normal de ne pas avoir envoyé ces policiers face à une telle situation qui nécessite d’autres compétences professionnelles, spécialisées. C’est pourquoi le GIGN et le Raid existent. Ceux qui sont dans le déni sont ceux qui croient qu’il suffit de diffuser des armes pour régler les problèmes. C’est une vision simpliste et grossière. Mes propos n’ont pas été compris par une grande partie des commentateurs qui ne savent ni ce qu’est l’État ni ce qu’est la police.
Sans parler de Dijon, des violences, souvent liées à l’ultra-gauche, peuvent survenir en marge des manifestations…
Je me suis toujours opposé sur les tous les tons à la violence. Mais c’est un confort des polémiques politiques de m’attribuer des méthodes que j’ai toujours désapprouvées. J’ajoute que la violence dont nous avons à souffrir de la part d’organisations politiques dans toute l’Europe est celle d’extrême droite.
Vous vous êtes rendu entre autres au Havre en soutien au candidat communiste dans le cadre de la campagne des municipales. Ce serait un symbole important que celle de la défaite du Premier ministre ?
Oui. Il s’agit du Premier ministre. Le Havre porte donc évidemment une symbolique particulière. Communistes et Insoumis se sont opposés à lui à longueur d’année contre le renversement du Code du travail et des lois retraite. C’est un candidat cocasse : il annonce qu’il restera Premier ministre, même s’il est élu, si le Président le lui demande ! Il dit donc aux Havrais : « ce que vous décidez par vos votes ne compte pas pour ma décision ». Dont acte. Qu’il s’en aille.
Tout comme LREM, il va être difficile pour LFI de proclamer des victoires sous sa seule bannière, au vu d’un faible ancrage territorial.
Notre répartition sur le territoire ne cherche pas à faire tape-à-l’œil. Mais les Insoumis sont présents au second tour dans la liste arrivée en tête à Marseille, Lyon, Toulouse, Grenoble, Amiens, Le Havre et combien d’autres villes. Mais nous sommes modestes, respectueux du cadre unitaire. Nous, nous ne cherchons pas à récupérer le travail collectif d’équipes très diversifiées comme le fait souvent EELV.
Pour autant, nous sommes mis en cause par nos adversaires comme le diable présent au sein des listes. Je ne compte plus les villes où on m’accuse d’être le tireur de ficelles de la liste en tête.
Notre place naturelle est d’être dans les coalitions qui se forment face à LREM et la droite.
Croyez-vous possible une union de la gauche dans l’objectif de la prochaine présidentielle
Ce qui est indispensable pour gagner, ce n’est pas l’union, mais la clarté, la cohérence. Elle est difficile à obtenir avec des organisations politiques qui n’ont pas fait le bilan de leur passage au gouvernement ni des raisons pour lesquelles les Français les ont rejetées. C’est le cas de EELV et du PS. Tant et si bien qu’une alliance pourrait apparaître comme une combine politicienne. Elle serait contre-performante.
Quant à 2022, je doute qu’une collection de sigles de partis règle le problème ! En vérité, les uns seront demandeurs d’une rupture politique profonde, les autres, d’un conservatisme absolu.
On voit aujourd’hui la société se diviser de nouveau autour de l’antiracisme. Cela a pu aussi être un facteur de division au sein de LFI…
Non ce n’est pas le cas !
Pensez-vous aujourd’hui que le communautarisme puisse menacer l’universalisme en France ?
Ce qui met en danger l’universalisme, c’est le comportement du président de la République qui essaie d’installer, avec l’appui de gens comme Manuel Valls, l’idée qu’en France la lutte des « races » remplacerait la lutte des classes. À force de le répéter, il met les gens au pied du mur pour les forcer à s’identifier aux assignations dont ils font l’objet. Je ne comprends pas qu’on considère qu’il y a des communautarismes positifs et d’autres négatifs.
Le communautarisme du Crif qui est banalisé donne lieu à des débordements que j’ai pu subir avec mes camarades insoumis lors de ma participation à la marche en mémoire de Mireille Knoll sans que personne n’ait pensé à dénoncer le comportement sexiste, homophobe, xénophobe de ceux qui nous injuriaient.
Pour ma part je n’ai jamais confondu les communautaristes avec les communautés. LREM notamment aimerait qu’on remplace la lutte pour l’égalité sociale par une lutte d’ethnies ou de communautés. Ce n’est pas du tout mon point de vue et LFI est absolument homogène sur cette question. Il n’y a aucun raciste parmi nous, aucun communautariste non plus.
Votre grille de lecture est celle d’une opposition entre les riches dans leur « ghetto », dites-vous, face aux pauvres.
Oui, le séparatisme qu’on observe est celui de riches qui s’enferment avec leurs propres quartiers, systèmes de surveillance, leurs propres routes, leurs propres cliniques… Ce phénomène, plus développé chez les Anglo-Saxons, commence en France. C’est une pente générale des sociétés néo-libérales. La fragmentation sociétale est emballée de considérations communautaires. Mais le racisme est souvent un préjugé qui sert de prétexte au séparatisme social.
Vous cherchez continuellement à innover avec de nouveaux supports numériques. La jeunesse est-elle un public que vous visez particulièrement, notamment celle des quartiers qu’on dit abandonnée par le PS ?
L’espace numérique est pour moi un sujet d’intérêt personnel. En politique, nous avons une vocation naturelle à porter nos arguments partout et en particulier dans la jeune génération pour transmettre notre pensée politique.
Cette jeune génération affiche des comportements enthousiasmants comme les manifs climat, d’essence collectiviste, ou les manifestations antiracistes. Elles montrent une France solidaire, humaniste et nous sommes là comme des poissons dans l’eau.
Ce qui est étrange, c’est quand des partis politiques finissent par avoir peur de tout le monde et ne vont plus nulle part. Pourquoi sont-ils dans cette situation ? Souvent parce qu’ils ne peuvent pas assumer ce qu’ils sont ou ce qu’ils ont fait. Les fantômes traînent les chaînes de leur passé. C’est leur problème.
On parle beaucoup de ce monde d’après. À quoi souhaitez-vous qu’il ressemble en quelques mots ?
Le monde d’après est une invention. La réalité est aussi brutale, violente et irresponsable que le monde d’avant. Pour nous, la rupture doit être profonde dans la façon de produire et de consommer. Et pour les règles de répartition des richesses dans la société. Le but global à atteindre est l’harmonie entre les humains et avec la nature.