Les évènements du capitole aux USA sont vraiment un tournant dans l’histoire des puissances en général et de la puissance politique en particulier. Après la tentative ratée de l’extrême droite contre le pouvoir parlementaire, une prise de pouvoir autrement plus concrète s’est opérée en faveur de l’oligarchie numérique qui gouverne les GAFA. Avant d’expliquer plus avant je dois prendre mes précautions. En effet, une campagne des marcheurs macronistes contre moi a visé à m’attribuer un soutien aux meneurs de l’invasion du Capitole. Aussi absurde que soit ce propos, il a été immédiatement rabâché par les occupants du radeau de la méduse qu’est le groupe parlementaire du parti présidentiel. Mais cela a aussi été relayé par quelques porte-voix gouvernementaux dans la presse en mal d’audience. Ceux-là s’appuient sur l’indignation qu’ils suscitent pour booster l’intérêt à leur sujet. Sinon qui s’intéresserait à eux ? C’est le fameux paradoxe d’Érostrate il y a deux mille trois cents ans quand il mit le feu au temple d’Éphèse, l’une des sept merveilles du monde, dans le seul but qu’on parle de lui.
Je mets donc d’abord les points sur les « i ». L’invasion du Parlement américain du 6 janvier 2021 est une tentative de putsch ratée. Dès que j’ai vu les images, j’ai tweeté en ce sens pour contribuer au soutien moral des parlementaires états-uniens empêchés de faire leur travail institutionnel. J’ai ensuite écrit sur ce blog pour souligner l’importance de bien nommer les coupables de cette agression contre la démocratie : il s’agit de groupes d’extrême-droite, suprémacistes blancs et néo-nazis pour certains.
Les macronistes, croyants malin de m’assimiler à cet évènement pour me flétrir, ne commettent pas seulement un raisonnement stupide. Ils détournent le regard de la réelle menace : l’ultra-droite internationale et ses ramifications en France. Je sais que c’est le principal souci de ces gens partis a la conquête des cœurs a l’extrême droite. Quand Macron dit que Pétain est un grand chef militaire et Maurras un talent dans la littérature, les petits chefs reçoivent l’ordre de repousser l’attaque contre l’extrême droite et de se concentre sur les coups à me donner sous l’appellation « extrême gauche ». Ce n’est pas faute d’avoir alerté ici et combien de fois sur le fait que le soutien inconditionnel apporté par Macron aux putschistes vénézuéliens que la droite locale elle-même rejette ne pouvait pas être neutre. Peu à peu on est arrivé sur cette hésitation dans la nuit du putsch capitolin et la reculade dans le ridicule à trois heures du matin devant ce drapeau américain et cette conclusion en anglais. Aussitôt ont commencé à circuler sur la toile la longue série des vidéos où l’on voit macron l’atlantiste comme un petit garçon dans les bras du gorille Trump. On comprend alors la nature du lien qui les unissait. Macron est un petit garçon devant n’importe quel président US car celui-ci incarne son idéal. L’atlantisme chez le président français a la force d’une hallucination idéologique.
Je suis depuis toujours un adversaire sans concession de la famille politique de Donald Trump. Je ne prends pas avec légèreté la tentative de coup d’État qu’il a provoqué. Malgré tout cela, je ne suis pas d’accord pour accepter que Facebook et Twitter lui coupent tout accès à ses comptes, du jour au lendemain, sans en référer à personne. Je l’ai dit publiquement. Il s’agit pour moi de défendre un principe : des entreprises privées n’ont pas à s’arroger le droit de poser les bornes de la liberté d’expression. Ces limites, quand elles existent, doivent être définies par les institutions démocratiques et confiées à des autorités agissant sous l’autorité du peuple.
Cette position a parfois été critiquée. J’ai vu que Mme Audrey Pulvar, candidate d’Anne Hidalgo en Île-de-France pour l’élection régionale avait réagi contre mon propos sur ce point. Elle n’y consacre pas moins de quatre tweets pour utiliser un extrait de mon interview sur LCI. Tout cela pour dire combien elle soutient le procédé de censure privée exercé ici par Twitter et Facebook. « Je suis d’accord pour que Twitter et Facebook prennent leurs responsabilités et cessent de relayer, en les démultipliant, les mensonges et manipulations évidentes de leaders politiques extrémistes, racistes et dangereux » écrit-elle. On ne peut faire plus clair. Elle espère peut-être que ce soit bientôt mon tour sans doute. Et je sais pourquoi elle pense pouvoir l’espérer et pouvoir dire le moment venu : « il l’a bien cherché et j’avais prévenu que je n’étais pas pour ce genre de liberté d’expression ».
Je m’étonne de cette étrange conception des règles du débat public pour une ancienne journaliste. Comment peut-on accepter que les intérêts privés des GAFA remplacent les Parlements et la justice pour la régulation de la parole publique alors même que dépendent d’eux la protection de la liberté de la presse ? Comment ne pas voir ici l’avènement d’un nouvel arbitraire ? La question dépasse largement Trump. Il est naïf de penser que ces entreprises s’arrêteront à lui. Des oppositions démocratiques au systèmes peuvent aussi être visées très vite. Par exemple, en toute bonne foi, pour Facebook, Google ou Twitter ce serait un scandale et une violence inacceptable de voir advenir des gouvernements déterminés à récupérer l’argent qu’ils escamotent par leur évasion fiscale ! Une exagération ? Un procès d’intention ? Non : des faits réels et rien d‘autres.
Ceux qui se réveillent aujourd’hui ont raison de le faire. Mais ils ont été long à la détente ! Dans le passé récent, les grosses plateformes ont déjà coupé l’accès à des forces de notre famille politique. En avril 2019, une semaine avant les élections générales, Facebook a ainsi fermé le canal WhatsApp de Podemos, sur lequel 50 000 espagnols étaient inscrits pour coordonner leur action. La même année, la même entreprise a aussi fait fermer la page de l’ancien Président de l’Équateur Rafael Correa. Cette page permettait à ce Président en exil victime de persécutions politiques de s’adresser à 1,5 millions de personnes dans son pays et à travers le monde. Facebook a ici participé à une opération de lawfare lancée par le successeur de Correa à la présidence visant à éliminer son opposition. Lula avait subi le même sort au Brésil. Dans chaque cas, à gauche, l’information avait circulé. Aujourd’hui, même aux États-Unis la gauche démocrate et combien de personnalités disent leur trouble devant cette forme de censure alors même qu’ils sont tous fermement opposé à Trump.
Mme Pulvar ne peut donc pas ignorer que les GAFA ont déjà fait subir ce genre de censure arbitraire à des leaders progressistes du monde. Nous avons alerté à chaque étape. Mais elle devrait au moins se rendre compte que cela correspond exactement au modèle que la majorité LREM a tenté d’importer en France. La loi sur les fausses nouvelles a délégué une partie du travail de censure contre la diffusion de « rumeurs et de diffamations » à des plateformes privées. Y compris spécifiquement en année électorale ! La loi Avia prévoyait même une censure privée et par algorithmes. Heureusement, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions. Mais l’instinct des macronistes est bien de transférer à des entreprises privées le pouvoir de décider qui peut s’exprimer dans l’espace public et pour dire quoi. Ils savent qu’ils ne seront jamais en conflit de conviction avec ces censeurs là.
Est-ce bien avec cela que Mme Pulvar est d’accord ? Je ne peux pas le croire si je tiens compte de tout ce qu’on peut savoir d’elle et de ses engagements dans le passé. Je crois à un dérapage et je mets en garde tout ceux qui s’y abandonnent. La consigne de m’attaquer pour cliver et conquérir ce faisant le cœur des « macronistes déçus » ne devrait pas justifier de se retrouver à défendre l’appropriation par l’oligarchie numérique du pouvoir de censurer la liberté d’expression. Et la liberté d’expression, dois-je l’apprendre à une journaliste, c’est toujours celle des autres et d’abord la liberté de ceux avec qui on n’est pas d’accord.
La détestation de Trump ne doit pas être un hallucinogène qui conduit à confondre dans une même colère tous ceux que vous n’aimez pas ! Car vos propres mots vous serons jetés demain à la figure quand votre tour viendra d’avoir déplu aux princes qui gouverneront l’accès à toute parole. Que vous a valu le plaisir fugace de vous réjouir sans protester quand des policiers factieux sont venu assiéger la France Insoumise ? Réponses : des policiers faisant en toute impunité le siège de quelques rédactions bien connues. Tout le monde connait la tirade de Martin Niemöller : « Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai rien dit car je n’étais pas juif. Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit car je n’étais pas communiste. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit car je n’étais pas syndicaliste. Et quand ils sont venus me chercher, il n’existait plus personne qui aurait voulu ou pu protester.»
J’ai été trainé dans la boue bien des fois par la nouvelle équipe de Charlie Hebdo, celle qui a succédé à l’époque de mes amis assassinés. Elle vient de donner deux grandes pages d’interview à la maire de Paris Anne Hidalgo qui a adopté le discours Vallsiste dans toute sa profondeur inquiétante. Quoiqu’en désaccord contre le traitement qui m’est réservé et en désaccord avec bien des formes d’un humour qui ne me fait pas rire, je défendrai jusqu’au bout le droit de l’une et de l’autre de dire du mal de moi, même avec des mensonges et cette haine palpable que l’on sent à chaque détour des lignes et du crayon. Et je ne demanderai à personne d’autres qu’aux gens eux-mêmes de se faire une idée aussi longtemps que la loi n’est pas enfreinte. Et dans ce cas ce sera aux juges d’en décider même si je n’ai pas confiance dans leur impartialité politique à mon égard. Cela s’appelle la République. Pleine d’imperfections, oui. Mais sinon quoi ?