L’attaque contre l’UNEF, jusqu’au point de réclamer sa dissolution est à mes yeux une impressionnante démonstration de l’efficacité de la nouvelle tactique de combat de l’extrême droite en France. Ce courant n’est pas résumé par la seule organisation d’extrême droite qu’est son parti dominant le RN. Il s’agit d’une mouvance large qui inclut de nombreux acteurs dans des sphères de différentes nature, depuis des médias jusqu’à des « intellectuels indépendants » type Onfray, des journalistes de plateau, en passant par toute la gamme des partis, groupes, associations communautaristes, et ainsi de suite. La ligne d’offensive se déploie depuis les confins les plus obscurs de groupuscules extrémistes jusqu’aux cœur des organisations traditionnelles en passant par tous les intermédiaires et les canaux possibles. Je pense ici au rôle particulier des prétendus « républicains » qui habillent leur racisme anti-musulman de grands mouvements de cape déclamatoires. Ils nourrissent en permanence leur indignation du moindre faits divers ou ragots comme les complotistes les plus délirants. Ainsi créent-ils un fond de scène permanent sur lequel les offensives médiatique peuvent facilement prendre aussitôt un vif relief. Mais je pense aussi aux accompagnateurs recrutés dans la bien-pensance. Sans oublier les lâches qui préfèrent la collaboration avec la meute médiatiquement dominante, à la résistance avec les insoumis, le dos au mur.
Dans ce cas, l’offensive a commencé sur un plateau de radio. En matinale sur « Europe-1 » l’intervieweuse entreprend la présidente de l’UNEF. Elle ne traite pas le scandale de la condition sociale étudiante actuelle mais les groupes de parole internes que le syndicat étudiant organise pour les victimes de discriminations racistes ou sexistes. Incontestablement c’est un bon coup médiatique et un buzz facile à enflammer comme je viens de le décrire. Le buzz accroche en effet grace à deux matinales de suite sur BFM qui n’hésite pas à citer la concurrence pour s’assurer d’un effet de suite. Il a lieu. Car l’extrême droite s’en empare et la contagion habituelle se produit. Naturellement, les deux journalistes ne sont sans doute pas d’extrême droite. Ce sont juste des irresponsables avides de buzz. Mais aussitôt des élus de droite, le CRIF et la chaîne de la bonne conscience officielle se met en mouvement jusqu’au coeur du PS.
Au fur et à mesure, le message initial se déforme comme dans le jeu du bouche à oreilles. Ce qui était au départ des « groupes de parole » s’achève en « réunion interdite aux blancs». On reconnait à cette expression « interdite aux blancs » les agents contaminants. Soit ils répètent ce qu’ils ont entendus dire sans vérifier, soit ils mentent sciemment. Pour faire court, un d’entre eux résume bien l’effet visé : « comment aurait-on réagi si on avait dit “interdite aux juifs” ». Les lecteurs avisés décrypteront de surcroît l’aveu que cette formule bizarre contient. Ont-ils pensé à demander à l’Union de étudiants juifs de France d’être dirigé par un musulman comme preuve de son identité républicaine ? Ou à « l’union catholique » féminine d’élire un homme boudhiste pour prouver qu’elle n’est pas anti-homme ni hostile aux bouddhistes ? Ce serait grotesque. Mais les gens ordinaires entendant dire « et si on avait dit : “interdit aux juifs” » se contenteront de se dire que c’est insupportable. Et ça le serait en effet, si c’était le cas. Présenté de cette façon n’importe quel « groupe de parole » est une odieuse discrimination. Et cela en dit tellement long sur le racisme sous-jacent des accusateurs. Car si personne n’oserait dire que les alcooliques anonymes se réunissent pour haïr ceux qui ne le sont pas, les mêmes sont prêts à penser que des personnes noires de peau ne peuvent se réunir entre elles que pour haïr les blancs de peau. Tellement nul ! Que des malins le fassent, cela se comprend. Surtout quand on les sait animés d’un désir de vengeance après la dissolution de leur groupuscule emblématique, « génération identitaire ». Mais que viennent faire dans cette galère les gens de gauche ou de droite instruits qui savent ce qu’est un « groupe de parole » ? Et pire encore : ceux qui savent que l’UNEF est historiquement le syndicat d’une jeunesse plutôt de gauche, toujours intimement associée aux courants contestataires typiques de son temps ? Et parmi eux ceux qui en ont amplement profité de toutes les façons possibles du temps où ils y étaient très influents ? Par solidarité générationnelle, je garderai aussi pour moi les exploits de quelques-uns des nouveaux indignés qui auraient été mieux inspirés en leur temps de faire des « groupes de paroles » que de régler leurs différents à la barre de fer.
Je vais en rester à une attitude pédagogique. Je vais d’abord rappeler ce qu’est un groupe de parole selectif. D’où vient l’idée et comment on les a déjà observés en politique. Et je commencerai par dire leur but. Ils se sont affirmés en toutes circonstances comme des outils de résistance à la discrimination. Le mode d’inclusion par une exclusion provisoire est encore et toujours un mode ordinaire de travail. Il fonctionne comme un espace d’écoute et de réflexion dans un cadre rassurant pour ceux qui y participent. C’est le ressort simple du principe de reconnaissance mutuelle et d’entraide.
À notre époque, l’idée originelle vient des milieux du soin. Pour ces praticiens, ces groupes visent à offrir un espace d’écoute et d’échanges à des personnes partageant une condition similaire qui est pour elles une source de traumatisme et de désocialisation imposée. On parle ici de trouble psychique, traumatisme vécu, ou de problèmes de comportement qui affectent leurs proches. Le point de départ c’est donc un traumatisme engendré par une discrimination subie. La thèse de départ vient de Jacob Levy Moreno, psychiatre américain. Il ouvre la voie aux « thérapies de groupe ». C’est le premier à utiliser cette expression dans un ouvrage publié en 1932. On peut résumer la méthode par une citation : « L’interaction entre les membres, leurs relations mutuelles, sont d’une signification plus considérable que l’interaction avec le thérapeute. » Dans les années 1940, le psychologue Kurt Lewin, rescapé des camps nazis, fonde la notion de « dynamique des groupes ». Il s’appuie sur les théories qui considèrent le tout comme différent de la somme des parties qui le composent. Sur cette base, en Angleterre, au cours de la Seconde Guerre mondiale, émergent des groupes thérapeutiques pour traiter les névroses de guerre. La théorisation s’étend et dans les années 1970, le psychologue américain Carl Rogers publie « Les groupes de rencontre ». Là encore je tente un résumé à partir d’une citation : « Dans un climat de liberté et d’aide, les membres d’un groupe deviennent plus spontanés, plus souples, plus proches de leur vécu, plus ouverts à leur propre expérience et ils aboutissent à des échanges interpersonnels plus profonds. Et c’est bien là le type d’être d’humain que l’on trouve à l’issue d’un groupe de rencontre. »
À l’heure même de ces lignes, des centaines de groupes de cette sorte existent, travaillent et aident des millions de personnes à se libérer du pire qui soit : l’intériorisation du regard discriminant que les autres portent sur elles et eux. Je mets ici volontairement le masculin et le féminin tant, dans la circonstance contemporaine, la question du genre joue un rôle discriminant qui n’est plus supporté. C’est aussi celui qui touche de plus près avec le racisme au champ strictement politique. Mais s’il existe des groupes de paroles sélectifs animés par des professionnels du soin il en existe aussi animés par des associations spécialisées en tant que telles : en aide aux victimes de violences sexuelles, Alcooliques Anonymes. Et aussi, pour se soutenir mutuellement par des personnes qui partagent un vécu commun : Anciens Combattants, proches de malades d’Alzheimer, malades du Sida etc… J’ai commencé par évoquer la question des discriminations par genre parce que souvent elle est invoquée pour mettre en cause les groupes de paroles dans les partis et les syndicats de gauche. Au demeurant le MLF, précurseur du féminisme contemporain dans la fin des années soixante, étaient exclusivement féminin. Mais je note qu’on oublie généralement d’autres secteurs de la société installé dans l’uni-sexe pour des raisons parfaitement « culturelles ». Automobile club de France est aussi uni-sexe que le Travellers Club ou le Jockey Club. Mais aussi la plupart des fédérations sportives et la moitié de la franc-maçonnerie française. Maintes obédiences en restent tout aussi unisexe que l’était jusqu’en 2003 sa principale obédience, le Grand orient de France.
Cela nous rapproche de la sphere politique. Car les groupes de paroles ont aussi pour objectif dans certains domaines d’être des groupes de prises de consciences politique s sur l’origine sociales des discriminations subies et leur sens politique. La politique n’est pas un au-delà de l’être humain. C’est au contraire une forme de structuration intime. Et c’est pourquoi la reserve a propos du genre y est officiellement pratiquée par nombre de formations politiques. Par exemple par le Conseil de l’Internationale socialiste des femmes. Personne n’a entendu Anne Hidalgo s’en indigner comme elle l’a fait avec emphase récemment à propos des réunions non mixtes de l’UNEF : « C’est très dangereux, a-t-elle decrété ! Mes convictions sont des convictions républicaines. Il faut qu’on arrive à mieux faire partager en quoi les valeurs républicaines et la laïcité sont un trésor qui nous permet de vivre ensemble, quelles que soient nos convictions, intimes, religieuses ou politiques ». En réalité, je pense qu’elle a cru sur parole ceux qui lui parlaient de réunion « interdites aux blancs ». On se demande ce que la laïcité vient faire ici mais tout le monde comprend vite pourquoi cela vient aux levres des Valsistes au PS.
Car telle est la perversité du système du bouche à oreille médiatique : à la fin de la chaîne, on ne parle pas du propos réel mais de sa transformation en cours de route. Ainsi ai-je entendu sur le plateau de France Info Nathalie Saint Criq reprendre l’expression de réunion « interdite aux blancs ». Peut-être le croyait-elle vraiment. Sans doute ne sait-elle pas que les suprématistes blancs travaillent leur propagande à partir de ce type de victimisation absurde. Mais il est significatif de voir ces gens démarrer au quart de tour dès qu’on arrive dans la périphérie de tels sujets. Jusqu’au point où Anne Hidalgo en vient à mêler sa voix au concert qui demande la dissolution d’un syndicat emblématique de la gauche sociale. Dans cette auto-amnésie, la droite ne fait pas mieux. Les indignations de madame Pécresse sont bien oublieuses de ses propres réunion des femmes élues d’Île-de-France. il est vrai que le chœur du Printemps républicains et les autres grandes consciences de plateau télé n’y avaient rien trouvé à redire faute sans doute de femmes voilées à pouvoir dénoncer. En tous cas, la réunion unisexe est partout. Et jusqu’en religion. Pour me dédouanner de l’accusation récente par Le Figaro d’être un suppôt de l’Église parce que j’ai approuvé des encycliques du pape et demandé la réouverture des lieux de culte, je mentionne donc seulement l’« Action Catholique de France », association au sein de l’Église réservée aux femmes depuis 1901. Je m’en voudrai d’en rester là. Puisque je tire souvent les exemples de la grande révolution de 1789, je m’y réfère de nouveau. Et ce sera pour rappeler qu’entre 1789 et 1793, 56 clubs de femmes ont été recensés en France. Et pas des tendres clubs de cousettes. C’est plutôt le style de la Société des républicaines révolutionnaires exclusivement féminin qui a existé de mai à octobre 1793 dont le but est de « délibérer sur les moyens de déjouer les projets des ennemis de la République ». Sa figure de proue est notre Pauline Léon, autrement plus clairement engagée que d’autres bien davantage célébrées en dépit de leurs convictions changeantes comme Olympe de Gouges.
Les groupes de parole fondés sur les victimes de discriminations liées à la couleur de peau ne fonctionnent pas autrement. J’y reviens : leur principale vertu est de libérer les personnes du poids du regard discriminant et surtout de l’intériorisation de l’humiliation des préjugés racistes. Car si la race n’existe pas , le racisme lui existe bel et bien et c’est d’ailleurs un délit dans notre pays. Ayant tout cela à l’esprit, analysez par vous même ce que signifie ceux qui ont réclamé l’interdiction de l’UNEF. Car à la fin du bla-bla pseudo « républicain », toute l’extrême droite tire son profit de l’ambiance créé pour chercher une prise d’avantage concret dans le rapport de force. Du flot, je ne retiens que quelques exemples que je livre à la sagacité de mes lecteurs pour qu’ils apprécient eux-mêmes d’après les demandeurs ce que vaut la demande en sincérité républicaine et anti-communautariste. Ainsi avec Francis Kalifat (président du CRIF), première association communautariste de France : « J’ai en son temps salué la dissolution de Génération identitaire, j’espère pouvoir très vite saluer la dissolution de l’UNEF qui reconnaît par la voix de sa présidente l’organisation de réunions interdites aux blancs ». Incroyable ! Ici sont mis sur le même plan une association dissoute, connue pour son admiration pour les nazis, qui a mis en danger la vie de pauvres gens réfugiés dans la neige d’un côté et de l’autre des groupes de paroles syndicaux qui ne nuisent à personne mais aident à vivre des milliers de gens !
Mais le label de bien-pensance ainsi donné, toute la chaîne peut s’enflammer avec tranquillité. Et l’incroyable se prolonge. On avait déjà une obscurantiste sur les bras avec la ministre des Universités cherchant à propos « d’islamo-gauchisme » à établir une police politique en demandant au CNRS de surveiller les travaux de recherche des universitaires. À présent, voici le ministre de l’Éducation nationale. C’était déjà lui aussi un grand pourfendeur « d’islamo gauchistes ».Il plonge maintenant dans l’obscurantisme assumé. Les « groupes de paroles » que connaissent comme je l’ai dit tous ceux qui ont un peu de pratique des sciences humaines sont pour lui des pentes vers le fascisme. Rien de moins… « Les gens qui se prétendent progressistes et distinguent les gens en fonction de leur couleur de leur peau nous mènent vers des choses qui ressemblent au fascisme. Je ne suis pas ministre de l’Enseignement supérieur. Mais en tant que ministre de l’Éducation, dès que je constate des choses de ce type, bien sûr que je considère que ça que ça doit être porté en justice ». Alors ? On attend le dépot de la plainte. Il a en outre affirmé qu’il réfléchissait « à d’éventuelles évolutions législatives pour empêcher ça ». Donc la loi va interdire les groupes de parole ? Ou bien codifeir les pratiques syndicales autorisées ? Souhaitons que tout cela reste du volume sonore pour aider les idées de l’extrême droite à avancer et rien d’autre.
Vient ensuite l’éborgneur en chef, autre grand dragueur des voix d’extrême droite, Christophe Castaner : « L’UNEF a fait un choix, pour survivre, d’un clientélisme indigéniste exacerbé totalement scandaleux ». Bruno Retailleau (sénateur LR) : « Je demande au Garde des Sceaux d’utiliser un moyen pour mettre en œuvre l’action publique pour la condamner, ou en tout cas pour rechercher ses responsabilités, pour provocation à la haine raciale». Éric Ciotti (député LR) : « L’UNEF organise des réunions interdites aux blancs ! Ce syndicat se sépare de la République. La question de sa dissolution se pose clairement ». « interdites aux blancs « et « dissolutions » les deux éléments de langage clef en quelques mots. Évidemment, ce serait injuste d’oublier le maître d’oeuvre de la manoeuvre, le RN lui-même. Stéphane Ravier (sénateur RN) « Les propos de la présidente de l’UNEF ne devraient pas provoquer une polémique, mais une indignation : c’est du racisme antiblanc. Le ministre de l’Intérieur devrait dissoudre cette association pour mettre fin à ses souffrances… et aux nôtres ». Et le sobre Jordan Bardella : « Racialisme, islamo-gauchisme : #UNEFDissolution ! ». Triste silence de l’essentiel de la gauche traditionnelle pendant trois jours, entrecoupé de tir dans le dos type venus du PS, Cambadelis ou Rachid Témal faisant tous semblant de croire à la thèse du racisme anti blanc de cet UNEF dont ils ont perdu le contrôle après l’avoir mise à l’essorage politique dans un passé récent. Et si peu de mieux depuis.
J’en reste donc à ce qui compte. Il y a d’abord ce magnifique appel à solidarité signé par plus de 250 personnes engagées pour certaines à haut niveau de l’UNEF dans le passé et aujourd’hui disposées de tous côtés de l’action politique, du PS à LFI. Et sur le champ, les principaux syndicats de lutte des salariés ont réagi. Les autres ont cautionné. C’est avec ceux qui ont compris l’enjeu pour le syndicalisme au-delà des jeux politiciens de la macronie, de l’extrême droite et du PS que j’achève ce post et j’invite les lecteurs soit à le diffuser soit à en faire leur miel pour leurs propres argumentaires. Allez-y ! Il n’y a pas de droit d’auteur. Mais il y a un devoir de résistance.
« Communiqué CGT, FSU et Solidaires de soutien à l’UNEF, le 19 mars 2021
Face aux multiples attaques et menaces qui s’abattent sur l’UNEF, nos organisations s’insurgent contre l’acharnement et la démesure des attaques d’une rare violence qui visent une organisation syndicale mobilisée pour la jeunesse et les étudiant-es en grande difficulté dans cette période de crise sanitaire. Nous condamnons les attaques initiées par l’ancien ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, et l’escalade à laquelle se livrent la droite et l’extrême droite faisant peser sur les dirigeant-es de l’UNEF des risques inconsidérés. Nous dénonçons la montée de la criminalisation de l’action syndicale et les mesures et projets de lois liberticides imposées par ce gouvernement. Cette politique qui vise à stigmatiser et à réprimer les organisations représente des atteintes graves aux libertés publiques. Nos organisations ne se laisseront pas intimider et continueront sans relâche à s’organiser pour défendre toutes celles et tous ceux qui subissent les inégalités. »