Ces dernières semaines, notre fil conducteur a été la question écologique. Cela s’est entre autres choses concrétisé par la publication d’un cahier programmatique sur le concept clé de planification écologique. Ce numéro de notre revue du programme s’est bien vendu. Un bon signe après le succès de celui qui précédait sur les instituions. Le thème de l’eau a été mis en avant pour illustrer la centralité de la question sociale dans notre vision de l’écologie. Pour cela, nous avons réalisé pas moins de deux performances : une votation citoyenne pour l’inscription du droit à l’eau dans la Constitution et un meeting en réalité augmentée. Sans compter deux tribunes publiées pour accompagner mon déplacement en Bolivie. Je ne reviens pas dessus.
Nous entrons à présent dans une nouvelle séquence. Celle-ci sera construite autour du thème du progrès social et humain. La question de l’emploi y occupe une place centrale. Mais nous n’abandonnons pas la question écologique pour autant. Au contraire, les deux sont désormais bien liés dans notre discours et nos combats. En effet, pour opérer la modification en profondeur de nos façons de produire, d’échanger et de consommer, nous avons besoin de mettre en mouvement toutes les forces productives et leurs qualifications de haut niveau de notre pays.
Mais cette bifurcation écologique ne pourra se faire sans un appareil industriel puissant. Pourtant, face aux batailles à mener, le président Macron est l’organisateur de la défaite. Dans la loi Climat, il refuse obstinément la régulation par l’État. Au sommet Climat de Biden, il accorde sa préférence au verdissement de la finance. Sur le terrain il reste un homme de la finance aveuglé par la foi dans la main positive du marché et de ses appétits. Le résultat s’étale sous nos yeux : c’est le démantèlement à bas bruit de l’industrie française. La situation actuelle de deux entreprises illustre la nullité pour le pays d’une telle ligne de gouvernement. Celles-ci sont en péril. Que fait le gouvernement ? Rien. Pourtant, elles démontrent qu’Industrie et Écologie peuvent être tout à fait complémentaires.
La papeterie de la Chapelle-Darblay
La papeterie de la Chapelle-Darblay est la seule usine française à produire du papier journal 100 % recyclé. Ou plutôt était. Car elle est à vendre et elle sera démantelée le 15 juin si elle ne trouve pas de repreneur. Son propriétaire finlandais, le groupe UPM, l’a rachetée en 2019 mais veut déjà s’en débarrasser.
Depuis un an, les appels à sauver le site se multiplient. Nous avions déjà alerté sur le sort de cette usine en juillet 2020. Le plan de déconfinement économique produit par le groupe des députés insoumis à l’Assemblée nationale l’évoquait comme un incontournable pour planifier la relocalisation de la filière bois et papier.
Cette fois, c’est au collectif Plus jamais ça de tirer la sonnette d’alarme. Ce collectif regroupe Attac France, la CGT, la Confédération paysanne, Droit au logement, la FSU, Greenpeace France, Les Amis de la Terre, Oxfam France et l’Union syndicale Solidaires. Je me fais le relai des argumentaires de leur tribune publiée le 27 avril 2021 sur Reporterre.
L’usine est à l’arrêt depuis un an. Sans intervention de l’État, c’est toujours la même logique à l’œuvre : les actionnaires préfèrent investir dans des usines à l’autre bout du monde afin d’abaisser les coûts. Cette fois, le groupe UPM veut délocaliser la production en Amérique latine pour réaliser plus de profits. Au lieu de recycler du papier usagé, il souhaiterait produire du papier à base d’eucalyptus.
C’est une catastrophe sur le plan social et sur le plan écologique. D’une part, cela aggraverait la déforestation par une pratique de monoculture intensive, et augmenterait les émissions de gaz à effet de serre. D’autre part, 215 emplois directs et 567 emplois indirects en France sont menacés par cette logique.
Pourtant, cette usine à tous les avantages. Ses salariés disposent d’un savoir-faire unique de production de papier recyclé. 350 000 tonnes de déchets de papier étaient récupérées chaque année. Cela représente l’équivalent du geste de tri de 24 millions de personnes. Le site dispose par ailleurs d’une station d’épuration pour traiter sur place les eaux usées. Elle dispose aussi d’un accès direct à la Seine et d’un raccordement au rail. Ce fleuron industriel dégageait encore 16 millions d’euros de bénéfices en 2019.
Cette entreprise est un atout majeur de la bifurcation écologique. Plusieurs repreneurs se seraient manifestés. Mais certains d’entre eux lorgnent sur une petite partie seulement de l’activité. Cela nuirait à la cohérence de l’ensemble. D’autres ne seraient pas des investisseurs aux plans de financement crédibles. Au contraire, l’intégralité des activités doit être maintenue sur le site et faire l’objet d’investissements adéquats. L’État dispose des moyens juridiques et financiers pour cela. Qu’attend le gouvernement ?
L’entreprise Photowatt
Photowatt est pionnière de la fabrication de cellules et modules pour panneaux solaires. Elle a été créée en 1979. Il s’agit aujourd’hui du dernier fabricant français de panneaux photovoltaïques. C’est aussi l’une des rares entreprises en Europe dans ce secteur. Elle emploie 215 salariés. Une cinquantaine d’emploi en sous-traitance en dépend également.
Depuis 2012, EDF est l’actionnaire majoritaire de Photowatt. Cette entreprise aurait dû être un atout majeur au service du plan solaire d’EDF lancé en 2017. Il s’agissait alors de faire d’EDF le leader du photovoltaïque en France avec 30% de parts de marché à l’horizon 2035 et l’un des leaders du solaire dans le monde.
Pourtant, EDF semble avoir progressivement réuni toutes les conditions de l’affaiblissement de sa filiale. En 2018, elle a décidé de ne plus maintenir en France que la production de plaques de silicium. L’assemblage des panneaux a été délocalisé en Chine. Mais cela ne s’arrête pas là. Depuis le mois d’avril 2020, EDF a gelé les investissements qui auraient permis le retour à l’équilibre de sa filiale.
Pour finir, en juillet 2020, EDF n’a pas inclus les panneaux Photowatt dans ses dossiers déposés lors de la dernière période des appels d’offre. Cela signifie qu’elle ne souhaite plus acheter les panneaux de sa propre filiale. Désormais, elle préfère passer commande auprès de fournisseurs étrangers. Pourtant, Photowatt est capable de produire des panneaux moins polluants.
EDF cherche aujourd’hui à céder sa filiale. Pourtant, la France n’atteint pas ses propres objectifs en matière d’énergies renouvelables. Cela apparaît donc totalement contradictoire avec les enjeux de bifurcation écologique et les objectifs français de transition énergétique. Par ailleurs, l’atteinte du 100% énergies renouvelables ne peut passer outre l’impératif de relocalisation et de souveraineté. Pour l’heure, l’essentiel de la production mondiale provient de Chine. L’abandon de Photowatt dessert clairement les intérêts français.
La défense d’un pôle public de l’énergie et de chacune de ses composantes s’impose. Au lieu de cela, le gouvernement participe du morcellement et de l’abandon de nos industries à la concurrence internationale la plus féroce. Il est urgent de défendre une véritable stratégie industrielle française au service d’une transition énergétique exigeante. Photowatt a conservé tout le savoir-faire pour produire des panneaux solaires de qualité. Des investissements et une intervention de l’État sont donc urgents.