La semaine où la scène politique est pulvérisée

Depuis le débat avec Éric Zemmour sur BFM, une meute médiatique surexcitée propose du Zemmour comme tête de gondole à tous les rayons. Pas une chaîne sans un moment d’exposition exceptionnelle de Zemmour. Il y vient avec toute sa panoplie : inventions racistes, messages pétainistes, délires paranoïaques. Formats spéciaux, durée inhabituelle, il surfe. Il déroule sans pause, et c’est à peine s’il doit subir de temps à autre quelques picotis stimulants. Car il faut bien aussi réveiller la bête et lui faire cracher son venin avant l’épuisement qui la guette à force d’être soumis à des heures de présence en plateau sous la lumière des projecteurs.

Du matin au soir, ça matraque donc en cadence les thèmes qu’il est question une nouvelle fois d’agiter pour faire le vote de 2022 : sécurité, islam, immigration. Et bien sûr, pas un mot de protestation des grandes âmes qui me trainèrent dans la boue pour avoir voulu imposer à Zemmour une confrontation qui marque une pause dans son soliloque. Reste que la rencontre avec Zemmour sur le plateau de BFM est devenue un évènement populaire électrisant la scène politique. Je l’ai traité dans mon précédent post. Je n’y reviens pas.

Le sondage Harris pour « Challenge » a conclu la séquence avec d’abord une estimation à la hausse des intentions de vote en général. On est donc enfin entré en campagne présidentielle. Et la première conséquence est une véritable explosion de la carte électorale. Elle est directement liée à l’onde de choc du débat sur BFM. L’accès au deuxième tour est tombé à 16 %, c’est-à-dire au niveau auquel se situe désormais la mieux placée aujourd’hui : madame Le Pen. L’événement est que ce second tour est à portée de main désormais pour trois autres candidats : Zemmour, Bertrand et…moi, distancés de seulement trois points par Marine Le Pen.

Naturellement, cette situation est en dynamique. La percée de Zemmour ouvre une large brèche dans le dispositif branlant de LR au moment où ce parti s’est imposé un calendrier interminable qui finit de paralyser son action et d’aiguiser ses contradictions internes. Personne ne voit comment cette brèche pourrait être colmatée. Le siphonnage zemmourien a de beaux jours devant lui. De son côté, la réaction de panique à bord chez Le Pen s’est reproduite une nouvelle fois avec une conférence de presse improvisée pour reprendre pied sur le terrain de l’immigration et des fantasmes sécuritaires. Je crois que c’est trop tard pour elle. Zemmour va la rattraper car leurs électeurs préféreront l’original à la copie. Et l’original dorénavant, c’est lui.

Pour autant, il n’est plus le même et sa guerre éclair a montré des limites. Dans le débat, il n’a pas assumé son propre terrain. Sur la « re-migration » (retour forcé des immigrés au pays d’origine et de leur descendance française) il n’a pas assumé, et pas davantage sur le droit à l’avortement (il est contre) par exemple. Je pense qu’il ne peut pas porter en débat contradictoire ses propositions telles qu’il les a pourtant formulées dans le passé au fil des déclarations sans réplique. Puis, comme on s’en souvient, il a dû accepter de passer sur le terrain que je proposais après qu’on aurait traité son thème : écologie et social. Il est devenu clair alors qu’il n’avait rien à dire sinon ânonner des poncifs mal digérés.

Dans cette nouvelle séquence, la conclusion de la primaire d’EELV est un moment important même si elle s’est trouvée en partie invisibilisée par l’agitation médiatique autour de « la percée de Zemmour » (la mienne, au même niveau que la sienne, ayant aussi subi ce sort dans les premiers commentaires). Les insoumis ont agi sagement: ils ne se sont pas mêlés de cette élection dont ils ont tous respecté le caractère interne. Maintenant que le vote est clos, son résultat serré avive les regrets que Sandrine Rousseau ne l’ait pas emporté. Je crois que nous ne sommes plus tenus à la même réserve.

En tous cas, il est évident que la proximité avec nous de son point de vue d’écologiste en rupture avec le capitalisme, dégageait un vaste espace commun où il aurait été plus facile de gérer des compromis et peut-être des ententes en fin de parcours. Et cela même si le désaccord sur des sujets assez essentiels comme le rapport à l’Europe des traités restaient présents. Mais le film alors aurait mis en mouvement deux visions à partir d’un même point de vue de départ en rupture avec le système économique. On pouvait donc compter sur un élargissement de l’influence de nos idées dans la société.

C’est aujourd’hui le véritable enjeu : reconstruire des hégémonies culturelles « collectivistes » face à la vague de la différence des droits que porte l’idéologie d’extrême droite et ses satellites. La situation est différente avec la candidature de Yannick Jadot, tout le monde le sait. Pour autant il ne faut pas se hâter de le juger et encore moins de le condamner sans appel. Il a fait sa première sortie en milieu ouvrier, il y a réclamé une nationalisation temporaire de l’entreprise. C’est la position que j’ai exprimée sur place en juin dernier. Hélas dans son tweet de conclusion il n’y en avait plus trace. Il se contentait de demander l’annulation du plan social. Le tarif minimum para-syndical. Qu’est-ce qui est vrai alors et sincèrement porté ? On ne sait pas. Pourtant il faut patienter, car dans ce même tweet final il y avait du vraiment bon et très nouveau.

C’est le cas avec sa référence à la souveraineté nationale de la France sur cette production stratégique qu’est l’aluminium. Personne ne l’a relevé parmi les commentateurs qui l’accompagnaient. Mais c’est pourtant du totalement neuf dans la bouche d’un leader EELV ! La souveraineté nationale n’est pas dans le vocabulaire de cette famille politique. Venant après son adhésion à la planification écologique (de plus où « l’État donne l’orientation ») et au protectionnisme, on peut dire que Jadot a fait un grand pas dans notre direction. Est-ce sincère et cohérent ? On a le droit de se poser la question tant l’évolution est spectaculaire et tant elle est nouvelle par rapport au discours habituel de stricte obédience européiste. En toute hypothèse, on doit se saisir de tout ce qui élargit le champ d’influence de nos idées. On verra à mesure.

De manière assez comique, la radio gouvernementale « France Info » a demandé a Manuel Bompard si le moment n’était pas venu pour moi de me désister en faveur de Jadot. Tel quel. Le directeur de notre campagne présidentielle a retenu son fou rire face à une ineptie de cette ampleur car le malheureux « journaliste politique » avait vraiment l’air de se le demander. En faisant valoir que le rapport d’influence dans les sondages était du simple au double entre Jadot et moi, Bompard n’avait pas l’intention de rabaisser l’intérêt de la candidature du Vert. Mais il s’agissait, sans blesser le planant « journaliste » de ramener au constat qui est celui du lendemain du débat : dorénavant, dans les conditions actuelles, le deuxième tour est à portée de main. La question qui se pose n’est donc pas de savoir si je dois m’effacer au profit du centre gauche mais plutôt de se demander quel est le sens des autres candidatures qui ont leur place dans le pôle populaire et dont la présence nous prive de la pôle position pour le second tour. Malheureusement cela non plus n’a été ni compris ni entendu par le brillant analyste médiatique. Et pourtant la question est posée. Elle est le verrou de notre situation face au deuxième tour au seul profit des candidats de la droite et de l’extrême droite avec qui nous sommes en compétition pour y accéder.

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