Dans entretien organisé par Femmes actuelles et publié le 20 mars 2022, Jean-Luc Mélenchon recevait quatre lectrices du magazine pour répondre à leurs questions.
Brigitte : Vous comptez bloquer les prix des produits de première nécessité et de l’énergie. Comment mettre en œuvre cette mesure ?
Quand on a lancé l’idée du blocage, on était au début de la vague du Covid-19. J’avais la certitude que ça n’allait pas s’arranger, et maintenant celle que ça va empirer. Le code du commerce permet le blocage des prix. La mesure a d’ailleurs été mise en œuvre pour les gels hydroalcooliques et les masques. Quant aux produits concernés, le système en place à La Réunion me semble la bonne méthode. Les citoyens ont été associés pour déterminer les produits dont les prix font l’objet d’un contrôle. La mesure concernera donc les produits de première nécessité, ceux indispensables pour se nourrir, se vêtir, se laver.. En amont, nous garantirons un prix plancher pour les paysans. Qui passera à la caisse ? Les distributeurs. Leur marge sera revue.
Véronique : Vous remboursez à 100% les soins de santé en intégrant les mutuelles dans la Sécurité sociale. C’est à dire ?
D’abord, il ne s’agit pas d’un panier de soins comme l’a fait Emmanuel Macron. A chacun selon ses besoins et ses moyens. La prise en charge totale des soins implique la fin des dépassements d’honoraires. La raréfaction des médecins, conséquence du numerus clausus va de pair avec l’accès au médecin. Il vient seulement d’être supprimé, mais il faut dix ans pour former un médecin. On se trouve face à une situation de crash sanitaire. Quant à l’intégration des mutuelles, il s’agit bien de les nationaliser. Une partie des salariés des mutuelles sera intégrée au personnel de la Sécurité sociale. Nous y gagnerons l’économie de la concurrence, via la publicité, les frais de gestion dont les coûts sont très élevés. C’est ce qui permettra d’équilibrer les comptes.
Nadia : Vous voulez instaurer une nouvelle carte scolaire. Sur quel principe ?
C’est le prochain crash, celui de l’effondrement de l’école. On a mis en place tous les outils pour la faire exploser, notamment la compétition entre public et privé. Aujourd’hui, hélas, les établissements publics n’ont plus l’excellente réputation qu’ils avaient par le passé. Les contournements de la carte scolaire, ça suffit. Elle doit s’imposer à tout le monde. Pour y veiller, nous modulerons les aides en fonction du respect de la carte scolaire. Si le recrutement d’un établissement est à 40% dans son secteur, alors les aides publiques seront à hauteur de 40%. Ca ne peut plus durer. C’est une ségrégation sociale terrifiante. Avec, en bout de course, un diplôme du bac qui compte davantage par l’adresse de l’établissement que par les résultats obtenus.
Ghizlaine : La contraception est gratuite jusqu’à 25 ans. Etendez-vous la mesure à toutes les femmes, sans limite d’âge ?
Pourquoi serait-elle limitée à une tranche d’âges ? La seule limite est celle des menstruations. Si c’est un droit, alors oui, il doit s’exercer pour toute la vie des femmes.Et les personnes en situation précaire pour qui la moindre dépense est celle de trop ne doivent pas se passer de contraception pour raisons financières. Mais, la société est misogyne, bâtie autour du patriarcat. Et ça continue avec l’endométriose. Nous avons déposé une proposition de résolution à l’Assemblée nationale, adoptée à l’unanimité, visant à reconnaître cette maladie comme affection de longue durée. En matière de soins, le retard est immense. Cela concerne une femme sur neuf. J’en profite pour dénoncer l’hypocrisie absolue de Madame Le Pen qui a déclaré* qu’il fallait se préoccuper de l’endométriose et la passer en ALD ! Justement, ça tombe bien, c’est dans notre proposition. Elle n’avait qu’à être là le jour où on a voté la résolution. *LCI, 7 mars 2022
Brigitte : Vous entendez lutter contre la correctionnalisation des actes sexuels, jugés comme des délits et non des crimes. Comment procéder ?
La capacité d’évaluer la nature d’un acte doit être remise au juge. Les procureurs agissent en fonction de la feuille de route fixée par le gouvernement. Nous proposons de transférer cette aptitude à l’Assemblée nationale qui aurait à débattre des politiques judiciaires dans des consignes données au juge. C’est bien le procureur qui donnera la consigne de ne pas requalifier un viol en autre chose qu’un crime. Je ne voudrais pas banaliser la chaîne du crime.
Véronique : Etes-vous favorable à l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs comme le réclament plusieurs associations ?
(soupirs). Sagesse, comme on dit dans les assemblées. Que le législateur décide. A ce jour le seul crime imprescriptible est celui contre l’humanité. Les peines dont nous parlons sont accrochées à des violences insoutenables. Mais, la sagesse de la société, c’est aussi de savoir mesurer ces choses-là. Je ne suis pas en train de relativiser. Mais je m’en remettrai volontiers à l’appréciation collective des législateurs. Je ne me sens pas capable de vous dire qu’un crime peut être imprescriptible.
Nadia : Vous voulez supprimer la clause spécifique des médecins pour l’IVG. Mais il demeure la clause de conscience générale qu’ils pourront toujours invoquer pour refuser de pratiquer un avortement..
La double clause veut dire qu’il n’y a pas besoin d’en avoir deux. On ne peut pas forcer les médecins à faire ce à quoi ils se refusent. C’est effectivement une portée symbolique mais qui sous-tend notre stratégie : faire admettre, petit à petit à la société, la banalité d’un avortement. Beaucoup de femmes m’ont expliqué que la décision était difficile à prendre mais n’en faisons pas l’affaire que certains voudraient en faire. Car si on entre dans cette logique, à la fin, le fœtus est une personne. Et il ne peut en être question. J’ai toujours monté une garde vigilante sur cette dernière ligne.
Quelle serait votre première mesure et la grande cause nationale que vous défendrez ?
Augmenter le Smic à 1400 euros nets qui concerne 60% des femmes. C’est un décret à signer, ça ne prendra que quelques minutes. Quant à la grande cause, je préfère traiter une question de manière transversale plutôt que de prendre un point particulier. Si je parle de la condition des femmes, ça ouvrira le débat sur les salaires, la précarité, les transports en commun…Si vous me posez la question à moi, comme homme singulier, ma grande cause sera évidemment l’illettrisme. Je n’arrive pas à accepter l’idée que 3,5 millions de personnes soient en difficulté pour lire. Mais, mes goûts importent peu. Où faut-il fracasser le nœud de l’inégalité ?