Contre le programme NUPES, un contre-chiffrage très bricolé

Depuis quelques jours circule un prétendu chiffrage critique de notre plan pour l’économie. Il est présenté comme une note originale de la fondation sociale-libérale Terra Nova. Cette fondation est celle qui a conseillé aux socialistes dans le passé de laisser tomber les milieux populaires en se concentrant sur les classes moyennes supérieures réputées plus reconnaissantes et plus volontiers mobilisables pour aller voter.

J’ai réalisé les lignes qui suivent à partir des données fournies par le groupe du conseil des économistes de l’Union populaire. Je pense qu’elles seront utiles à tous ceux qui doivent s’attendre à des reprises en média dans la forme accoutumée c’est-à-dire sans aucun recul critique ni analyse sérieuse du bien-fondé de ce « document Terra Nova ». Il sera donc facile à l’usage de ridiculiser ceux qui auront recours à ce genre de procédé. Car il est excellent de faire la démonstration que ceux qui nous affrontent sont incapables d’un véritable point de vue argumenté. Si l’occasion s’en présente, mettez au défi d’un débat avec nos conseillers économie ou avec moi-même. Ce serait une belle aubaine de pouvoir anéantir leur argumentation à l’échelle du plus large public.

Cette note Terra Nova est signée par Guillaume Hannezo. Le personnage est présenté partout comme « ancien conseiller de Mitterrand ». Certes il l’a été au début des années 1990. Mais sa vie a été longtemps tout à fait ailleurs. Car il a fait ensuite une belle et longue carrière dans la finance notamment chez Rothschild. Il a sa part au naufrage de Vivendi au début des années 2000 comme directeur financier. Il a participé à l’écriture, sur commande de Macron, du rapport « action publique 2022 ». Ce document aura été jugé trop libéral par le gouvernement lui-même qui a renoncé à sa publication. Mais le plus lamentable de cette pauvre contre-offensive prétendument sérieusement chiffrée est le ridicule des paramètres utilisés pour bâtir la démonstration.

Un chiffrage hasardeux

En réalité, le rapport Terra Nova ne s’appuie pas sur les chiffres que nous avons publiés nous-mêmes mais sur ceux de l’Institut Montaigne. Rappelons que cet « institut » a été fondé par le PDG d’AXA. De nombreux représentants d’entreprises du CAC 40 participent à son conseil scientifique. Le document Terra Nova est donc plutôt un commentaire d’un autre rapport qu’un travail original. Il ne réalise pas de chiffrage lui-même. Dès lors, les choix faits par le commentateur sont le plus souvent à côté de la plaque. Ainsi il ne prend pas en compte des recettes décisives prévues par notre programme. Ni celles de la lutte contre l’évasion fiscale ni celles issues de notre réforme de l’impôt sur les sociétés. Par contre le « chiffrage » Terra Nova / Institut Montaigne nous attribue des dépenses qui ne sont pas prévues par notre programme. Ainsi n’avons-nous pas décidé le retour aux 10 meilleures années pour le calcul des pensions de retraite (au lieu de 25 actuellement). Et nous n’avons pas davantage décidé une CSG sur 5 tranches puisque notre programme prévoit 14 tranches ce qui lisse considérablement la charge en mode progressivité.

Faire peur

« L’augmentation des dépenses publiques est 7 fois plus importante qu’en 1981 » pérore le soi-disant analyste. En réalité l’augmentation des dépenses publiques est l’équivalent de celles du quinquennat de Jacques Chirac 2002-2007. On parle d’une augmentation de +15%. Ensuite, dans la même logique « panique à bord », cette note parle d’une « hausse de 20% de l’impôt sur le revenu ». Ce chiffre est totalement inventé. Notre barème à 14 tranches correspond à une hausse de 6% centrée sur les plus riches puisque tous les revenus en dessous de 4 000 euros individuels paieront moins qu’à présent. Mais le plus grave des manquements de cette note est dans le choix des paramètres de base retenu par Guillaume Hannezo. Tous les analystes sérieux reconnaissent maintenant que la dépense publique a un impact positif sur la croissance de l’économie. Mille euros distribués renvoient 1 300 euros produits. On parle alors d’un « coefficient multiplicateur ». Ici il est supérieur à 1 comme l’avait reconnu Olivier Blanchard, alors chef économiste du FMI, dans un article paru en 2013. Le rapport Terra Nova retient un multiplicateur de 0,8 sans aucun fondement. Mais c’est parce qu’il retient un tel multiplicateur inférieur à 1 qu’il peut en déduire des effets « catastrophiques » du programme partagé de la Nupes. Le chiffre d’un coefficient multiplicateur de 1,18 retenu pour le chiffrage de l’AEC est donc beaucoup plus pertinent et sérieux tout en restant modéré.

Plus étonnant encore. L’auteur de la note considère que l’inflation est un phénomène monétaire. Il suggère aussi qu’elle sera le résultat d’une boucle où les salaires augmentent pour rattraper les prix. Les faits récents prouvent pourtant le contraire. La politique de la BCE consistant à injecter massivement de la monnaie dans le circuit bancaire (quantitative easing) a vu la masse monétaire augmenter très fortement pendant plus de deux ans. Et cela sans que cela ne se transforme en inflation. L’inflation actuelle a d’autres sources. Notamment dans les ruptures de chaines d’approvisionnement à la suite de l’épisode COVID. Mais surtout, à l’étape actuelle, sa racine se trouve dans une boucle prix/profit. En effet profits trop élevés et spéculation sans bornes sévissent parce que les firmes ont désormais un pouvoir quasi sans limites pour fixer les prix. À quoi s’ajoute la liberté quasi totale de la finance spéculative.

Le faux souvenir de 1981

À ces données de fond qui faussent toutes les prétentions de la note Terra Nova s’ajoutent quelques arguments si biaisés qu’on peut les attribuer à une mauvaise fois délibérée davantage qu’au raisonnement. L’auteur prend le prétexte que les niveaux de dette/PIB et déficit/PIB sont beaucoup plus élevés aujourd’hui qu’en 1981 pour disqualifier le programme de la Nupes. Bref c’était moins pire alors qu’à présent. Mais c’est « oublier » de dire que les situations sont aussi totalement différentes. Depuis s’est construite une financiarisation accrue des économies et se sont multipliées les politiques d’austérité. De plus, ce sont les crises financières comme celle de 2008 et les crises sanitaires qui ont généré la plus grande part de la dette publique et non des politiques de dépenses publiques généreuses.

Ce n’est pas tout. La comparaison avec 1981 est plus inopérante encore qu’il n’y parait. La relance en 1981 fut décidée alors que les autres économies voisines installaient chez elles des politiques néo-libérales de réduction de la demande locale. Aujourd’hui, l’absurde serait d’intensifier la mise en œuvre du néo-libéralisme alors qu’il a montré tous ses effets pervers. Et surtout au moment où il est à bout de souffle pour répondre aux défis du moment et notamment aux besoins du défi écologique qui nous oblige à une réaction d’ampleur. Ajoutons une dernière critique sur cette comparaison avec la situation de 1981. Les taux d’intérêt étaient alors très élevés : 4% en prenant en compte l’inflation sur la dette française. Ils sont très faibles et même négatifs aujourd’hui : -2% en prenant en compte l’inflation. Disons enfin que comparer la France à la Grèce comme le fait cette note Terra Nova n’a pas de sens, en raison du rang qu’occupe l’économie de la France au sein de l’UE : 18% du total contre 2% pour la Grèce. Cette comparaison est donc nulle et non avenue.

Enfin, la note Terra Nova prédit évidemment une hausse du chômage et du déficit public. Cela repose en partie sur la vision biaisée retenue par l’auteur. Pour lui, tout est dans le niveau du prix des choses vendues. Guillaume Hannezo et Terra Nova pensent donc que les hausses d’impôts et taxes du programme de la Nupes entrainent une hausse périlleuse des coûts de production pour les entreprises. Mais il ne tient aucun compte du fait que ces hausses s’accompagnent d’un accroissement des revenus, donc de la demande qui remplit les carnets de commandes.

Pour nous, les principales difficultés des entreprises sur le long terme sont du côté de la demande insuffisante plutôt que du côté de l’offre des produits. Et ce sont les entreprises elles-mêmes qui le disent dans les enquêtes de conjoncture de l’Insee. Et si cela ne suffisait pas, les observations concrètes en Espagne et en Allemagne montrent qu’il n’y a pas d’effet négatif de la hausse du SMIC sur l’emploi. Au contraire. Mais le rapport Terra Nova considère que la hausse du SMIC aura un effet négatif. Sans l’ombre d’une démonstration.

La catastrophe annoncée est un prétexte

La note Terra Nova prédit des attaques financières et une situation dramatique de l’endettement. On sourit. Une attaque des marchés financiers sur le refinancement de la dette française s’étendrait par contagion à l’Espagne et l’Italie. Mais aussi à la Grèce et au Portugal dans une moindre mesure. Si les 2e, 3e et 4e économies de la zone euro sont sous pression, la BCE sera contrainte d’agir. Sinon ce serait risquer une crise systémique, l’explosion de la zone euro et un impact terrible de la banqueroute alors que 5 banques systémiques sont logées en France. Qui peut vouloir cela ? La BCE ne laissera pas ce risque se matérialiser et la banque centrale dispose d’outils pour casser les attaques spéculatives contre les Etats.

Elle le fera notamment parce que la France, actionnaire de cette banque, le demandera. Comment ? En prolongeant sa politique de rachats de dettes publiques. Ou bien, comme nous le proposons, en annulant la dette en la transformant en dette perpétuelle à taux nul. Enfin on peut envisager plusieurs mesures de court et moyen terme pour protéger l’endettement public des éventuelles attaques spéculatives. D’abord en utilisant le pôle public bancaire lors des émissions de dette publique française s’il y a des tensions sur les marchés. Ensuite, en augmentant les niveaux de détention de dette souveraine des composantes du pôle public bancaire. Et même, si besoin, en mobilisant la trésorerie abondante et mobilisable, quand c’est le cas, des entreprises et institutions publiques et parapubliques. Enfin, en imposant des planchers de détention de dette souveraine française aux banques privées et aux compagnies d’assurance opérant en France. Tous ces remèdes sont des solutions de crise.

Si le message de prudence n’est pas entendu ni respecté par le secteur financier il n’y aura aucune faiblesse dans leur mise en œuvre. A cela s’ajoutent d’autres mesures de crise tout aussi drastiques mobilisables en peu de temps. Comme de réformer les émissions de dette souveraine en obligeant les principales banques privées à participer (sans frais) aux émissions, et en les soumettant à des planchers d’achat. Le comique du rapport Terra Nova n’est ni dans ce bidouillage de chiffres ni dans sa mauvaise foi ni même dans son catastrophisme. Il est dans le fait de douter que nous ayons pleine conscience du fait que nous ne raisonnons pas à partir du même cadre. Et que nous n’ayons rien appris de l’improductivité totale de la soumission du gouvernement Tsípras aux diktats germano-français. L’économie est pour nous un circuit de service des besoins humains. Pour les satisfaire, nous sommes déterminés à n’accepter les injonctions d’aucune vache sacrée.

Le bilan archi nul du macronisme réel

Surtout, en considérant les états de service du modèle qui nous est opposé. Pour rappel, voici les chiffres des exploits de gestion du premier quinquennat Macron. Il a lui-même augmenté la dette publique de 600 milliards d’euros. Et il a appauvri les caisses publiques de 48 milliards d’euros par an. Avec ce qu’il a prévu pour son 2ème quinquennat, c’est une perte de 54 milliards par an qui s’annonce. A noter : c’est l’équivalent du plan d’investissement de la Nupes pour la bifurcation écologique.

Il est important ici de rappeler que notre chiffrage a été confronté au modèle d’analyse de la banque de France. D’après ce modèle, les prévisions de dépenses faites et leur affectation produisent un résultat positif. Pour 250 milliards de dépenses, il génère 267 milliards de recettes. Donc un solde bénéficiaire. Il débouche notamment sur la création de 1,5 millions d’emplois privés supplémentaires. Terra Nova se garde bien d’indiquer ce que la cure d’austérité que recommande son rapport produirait sur les comptes publics et sur l’emploi dans le pays.

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