18.09.2022

Le krach qui vient

Au risque de rater le commentaire des grands sujets du moment comme l’enterrement de la reine d’Angleterre, la défense du barbecue par Fabien Roussel ou ses diatribes contre les allocataires, ou le divorce de camarades, je me permets un sujet politique dont l’acuité ne me semble pas prise en compte.

Aujourd’hui, la sphère du climat est sans doute moins instable que celle de la finance mondiale. Cette donnée majeure est le fond de scène des évènements à venir. Un gros nuage s’avance à l’horizon. J’en propose ici un examen rapide. Car tout le monde connaît les caractéristiques de notre temps. Le moment politique est mondial (toutes les nations sont impliquées), global (tous les compartiments d’activité sont concernés par contagion) et planétaire (chaque catégorie de phénomènes naturels de la planète impacte tous les autres et toute l’activité humaine). Dans ce contexte, de nouvelles données économiques se déploient du fait des décisions dangereuses des banques centrales d’Europe et des USA.

Toutes les banques centrales augmentent leur taux d’intérêt. Pour « attaquer l’inflation » disent-elles en ralentissant autant que possible l’émission de crédits. Sauf que l’inflation n’est pas liée à l’abondance de la circulation monétaire. Notamment, et à coup sûr, en Europe. Les banquiers centraux l’admettaient jusqu’à il y a peu. Mais maintenant il s’agit « d’envoyer un signal aux marchés ». On se demande lequel ! Ou plutôt si, on sait. Il s’agit de leur annoncer un ralentissement de l’activité et de le provoquer en baissant la masse de crédit disponible. Ceux-ci coûteront plus cher et les banques privées vont commencer à prêter moins, de peur d’accumuler les créances douteuses.

Aux États-Unis, le lien entre l’inflation et la masse monétaire n’a aucun sens puisque les USA éditent une monnaie d’usage mondial sans lien avec leur activité économique productive. Là encore, il s’agit d’un « signal ». L’augmentation des taux va provoquer une baisse de l’activité car aux USA la consommation populaire la plus immédiate est totalement liée au crédit. La décision de la FED est censée faire remonter le chômage et donc bloquer la course à la hausse actuelle des salaires en période de taux de chômage bas. C’est donc le chômage de masse la stratégie du capital pour contrer l’inflation et protéger la rente par la baisse du prix du travail. Augmenter la concurrence entre les travailleurs, faire accepter des baisses de salaires (directes et indirectes), voilà le programme. Faire travailler les gens plus longtemps dans la journée, dans la semaine et dans la vie pour la même paye, c’est le pendant naturel de cette tactique.

L’économie n’a jamais cessé d’être un rapport de force entre les classes. Mais il y a encore d’autres choses dans les tablettes du possible. La contraction de l’activité ne va pas faire mal aux seuls salariés et chômeurs. Il n’est pas sûr qu’elle fasse tant de bien que ça à la rente minée par l’inflation.

La finance elle-même se met en péril. Les chaines de production rompues et les restrictions de crédit ralentissent la production possible en diminuant la consommation. Autant d’impacts négatifs sur tous les acteurs économiques déjà en limite d’équilibre. Cette interdépendance de fragilité est encore aggravée par les errements de la masse de crédit direct entre les entreprises (banque « grise ») et la transformation de leurs dettes en titres échangeables (achetable et vendable sur le marché parallèle officieux ou officiel).

Dès lors, tous les acteurs sont étroitement impliqués dans l’instabilité globale de la sphère financière. Et avec eux toutes les parties de la production et des échanges que ceux-ci soient réels ou purement financiers (surtout spéculatifs à la hausse ou à la baisse ). La bulle financière et les sous-bulles qu’elle contient sont donc à la merci d’une avalanche de défauts de paiement ou de faillites. Elle peut être à tout moment déclenchée par un agent quelconque même très marginal. Car tous sont connectés au grand tout de la financiarisation globale de l’économie. Et chacun d’entre nous avec sa carte bancaire et ses crédits a sa place dans la grande toile des « bits » qui enserre tout et tout le monde. Ce qui s’annonce dans ces conditions, c’est la crise de 2008, mais en puissance « x », bien supérieure.

Dans divers secteurs des « investisseurs-spéculateurs » alertent d’ores et déjà sur la fragilité de plus d’une des « bulles » de la finance mondiale. Et tous le savent bien : une bulle qui éclate dans un secteur et vire à la baisse brutale peut contaminer tout le système. Tel est l’un des futurs immédiats possibles. Sa probabilité s’accroit à mesure que la pression à la baisse d’activité va s’alourdir. C’est donc le contraire de ce que prévoient les banques centrales. Tel est le cercle vicieux parfait. Pour protéger la rente et l’empêcher de fuir vers des biens matériels dont le prix exploserait (comme l’immobilier, la terre, l’or, et tout ce qui est réel) les banques allument ailleurs un incendie qu’elles sont incapables de contrôler. En Europe, le cocktail de l’augmentation des prix de l’énergie avec le resserrement du crédit va provoquer une thrombose de première grandeur. Surtout si l’on se souvient comment Mario Draghi, banquier central de l’Europe, avait injecté des milliards mensuels pour empêcher l’écroulement de l’économie européenne dans la récession.

Une stratégie politique lucide demande donc de préparer le grand nombre à l’épreuve. C’est-à-dire : savoir opposer une résistance active et une capacité d’auto organisation forte. Il faut se préparer à l’effondrement possible non seulement de l’État et des services publics en cours, mais de l’économie de notre temps tout simplement. Il serait faux de croire que tout cela serait une affaire concernant les seules tempêtes dans la sphère financière. Le fonctionnement de l’économie de la production est également entré en déséquilibre.

Car l’impact de la Covid sur les mécanismes de l’économie monde est loin d’être achevé. Au contraire, il ne fait que commencer. La désorganisation des chaines de production étirée tout le long des lieux de production les « moins chers » dans le monde s’est rompue en de nombreux points et provoque une inflation diffuse sur les biens manquant à l’appel de la production. Cette pagaille est de longue durée avant que peut-être – je dis bien « peut-être » – le système retrouve un point d’équilibre. La spéculation et le coût énergétique des mesures de blocus prises contre la Russie aggravent lourdement cette situation. Là encore, les décisions d’augmentation de la production pétrolière ne compenseront pas les besoins de la demande. Pour conserver leur niveau de profits actuels, les pays de l’OPEP ont fixé des niveaux de production inférieurs aux besoins. Résultat : une inflation durablement structurelle et surtout spontanément contaminante. Du prix du bois et du fer non transportés faute de containeurs jusqu’au prix du mètre carré neuf en construction, tout se tient surtout quand l’acheteur final voit son salaire diminuer, son emploi menacé et surtout les taux d’intérêt de ses crédits augmenter. Ce mécanisme de base est lui imparable. Et son impact social autant qu’économique est parfaitement prévisible.

L’impact du changement climatique ne semble pas davantage être pris en compte dans le raisonnement économique. Je ne parle pas seulement par exemple des productions compromises comme le furent les capteurs électroniques en provenance de Taïwan qui ont bloqué l‘industrie automobile allemande. Ni de l’impact sur la finance des assurances à cause des destructions des biens et installations. Mais du fait que des centres névralgiques de l’économie mondiale soient détruits ou paralysés. Car ainsi de nouveau seraient rompues les chaines de production. Et surtout les canaux de circulation de l’information entre les acteurs du monde de la finance et les robots d’intelligence artificielle qui décident chaque seconde de la circulation des « investissements ». Quand le Japon est atteint par de vents de 270 km/h on se demande quel centre névralgique se trouve sur le passage de ce typhon. Et que se passera-t-il quand ce sera Washington par exemple. L’impact du changement climatique n’est pas un sujet climatique seulement. C’est directement un facteur de bouleversement économique.

Un dernier rappel : ceci n’est pas une prédiction. J’utilise la méthode d’analyse du matérialisme probabiliste. Il s’agit donc d’une vue sur le comportement probable d’un système globalisé interactif. Il répond en effet à certaines caractéristiques systémiques désormais connues et analysées depuis plus de trente ans. Cette connaissance n’a pas davantage changé quoique ce soit que les alertes du GIEC. En effet, le système désormais compte un nombre non négligeable d’acteurs qui vivent des catastrophes qu’ils déclenchent. Un spéculateur à la baisse est intéressé à la baisse. L’écroulement n’est pas son problème. Comme l’industrie pharmaceutique face aux grandes pandémies mondiales qu’elles combattent en vendant leurs produits. Ou la grande distribution à la hausse des prix qu’elles étendent à des produits dont la fourniture n’a pas pourtant augmenté de prix. C’est pourquoi nous pouvons être certains qu’absolument rien ne sera fait pour anticiper l’avalanche dépressive. Au contraire les gouvernants rabâchant le catéchisme des années libérales triomphantes vont aggraver tout ce qui peut l’être par des restrictions et diminutions de moyens d’activité. Comme en 1929. La confrontation sociale est donc assurée.

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