Quand on vit dans un combat politique comme le nôtre les évènements du monde nous impliquent autant qu’une circonstance nationale et parfois même personnelle. Et cela non seulement intellectuellement, mais aussi affectivement. L’Italie et l’Iran nous parlent fort. Dans ces deux circonstances inverses et si différentes, je ne peux m’empêcher de mesurer notre chance d’avoir un outil aussi puissant et influent que LFI et la NUPES. Le dos au mur en Europe, nous sommes un repère et un point d’appui. Mais cet outil ne vaudrait rien s’il n’était pas d’abord voué au combat. Plus que jamais.
Macron a menacé de dissoudre si l’Assemblée nationale lui tenait tête contre la réforme des retraites. La démocratie deviendrait une menace ? Le retour au peuple un sujet de peur ? À nos yeux, la souveraineté du peuple est toujours une opportunité pour celui-ci comme pour ce que nous représentons. Dissoudre nous donnerait l’occasion de voir pulvériser les partis du président. Nous pourrions gagner et notre programme s’appliquerait. Une droite républicaine pourrait renaitre. La lourde connivence du RN avec la macronie pourrait être punie par le peuple que Marine Le Pen a trahi en ne votant pas la censure ou en refusant l’augmentation du SMIC !
La marche du 16 octobre à l’appel de la NUPES et de toutes les organisations politique de gauche prend donc désormais une signification plus large. Il s’agit bien d’une mise en cause globale de la politique du régime macroniste. Cela parce qu’il refuse d’exiger des ultrariches profiteurs de crise leur part à l’effort et qu’il continue à les gaver. Cela parce qu’il décide d’un nouveau train de maltraitances sociales contre les chômeurs et les gens en âge de retraite alors que les comptes des deux systèmes sont en excédent. Autrement dit : rien ne justifie ces « réformes » sinon la volonté de créer un rapport de force avec le peuple au nom de l’oligarchie dont il incarne la domination.
Combattre frontalement la caste au pouvoir est notre seul horizon compte tenu de la violence de l’agression qui se déploie sur le front des allocations chômage et du système de retraite. Non seulement les deux comptes d’assurances sociales sont au vert, mais les hypothèses économiques sur lesquelles la décision est prise contredisent les évaluations du gouvernement lui-même. Nous n’avons pas le droit d’attendre je ne sais quel lendemain qui chanterait de lui-même. D’autant que notre adversaire, le président Macron et sa constellation disparate d’alliés sont en position très instable de façon durable. L’instabilité est dans les fondations du nouveau quinquennat. L’élection présidentielle n’a purgé aucun des problèmes qui se posent au pays. Elle a été vécue comme un rendez-vous sans objet à partir du moment où le deuxième tour fonctionnait de nouveau comme un lancer de bouée de sauvetage plutôt que comme l’affirmation d’un cap.
La première des preuves de cet échec est que nous avons pu gagner le premier tour de l’élection législative et par la même, en dépit de la grande coalition LREM-LR-RN, nous avons empêché la macronie d’avoir la majorité absolue. Si bien qu’un pouvoir sans ressort s’est installé. Il n’est pas parvenu à prendre la main. Au contraire cette paralysie a ouvert la brèche de la bataille de succession à peine cinq mois après la réélection. Pire dans le système monarchique, le président n’est plus la référence unifiante de son camp. La présidente de l’Assemblée le brave à juste titre et son mentor du Modem l’admoneste publiquement comme un petit garçon. Et chacun spécule dès maintenant sur la suite, puisqu’il ne pourra pas se représenter. Sans doute est-ce pourquoi Macron a joué délibérément la stratégie de la tension. Il pensait réunifier son camp et contraindre la droite à s’engager toujours plus loin dans l’obligation de le soutenir.
Mais la division du camp macroniste rend cette manœuvre plus périlleuse. Et même très dangereuse pour eux tous si l’on se souvient de la détermination populaire face à Juppé puis contre la réforme de la retraite à point sous Édouard Phillipe. De plus, la situation n’a cessé de se dégrader pour lui. Par contre, la division syndicale dans les journées d’action perlées s’est estompée. Face à la réforme des retraites, l’unité syndicale la plus large pour s’opposer au projet est déjà affichée. Macron peut craindre le pire, car la détermination des organisations syndicales n’est pas feinte. L’horizon d’une grève générale reconductible comme elles l’avaient fait dans le passé n’est plus à exclure. La diversion du soi-disant débat entre la gauche du travail et celle des assistés a fait long feu. Comme le « débat » sur les « barbecues ». De même pour l’opération contre « le tweet de Mélenchon ». Comme c’était le septième coup de communication de dénigrement depuis juin il a eu une portée limitée dans des milieux somme toute confinés du fait même des exagérations et du jusqu’au-boutisme qu’il a libéré et encouragé.
Quel atout reste-t-il pour Macron ? Son calcul, c’est la division encore et toujours. Face à la gauche, l’offensive vise à séparer les forces syndicales d’avec la NUPES, puis la NUPES d’avec La France insoumise et dans la LFI si possible les uns contre les autres. Pour l’instant, il est vrai que Phillipe Martinez a été aussi brutal que possible dans l’affirmation d’une « chasse gardée » syndicale contre l’action plus large prônée par la NUPES. Mais là encore le bilan du passé et l’outrance du propos ont desservi son auteur. Fermement mais tranquillement la mobilisation pour la marche du 16 octobre s’est construite dans l’union de la NUPES.
Le refus du PCF s’est joué à huit voix dans le Conseil national de ce parti. Il n’est pas représentatif de l’opinion communiste sur le terrain. Reste la stratégie du dénigrement permanent. Ce plan pilonne depuis le lendemain de l’élection législative. Je l’ai dit, nous en sommes au septième « badbuzz » depuis juin soit un tous les quinze jours, août inclus. L’actuel jeu de massacre des animateurs connus de la NUPES complète ce plan. Il reçoit l’appui des tireurs dans le dos obsédés par la « lutte des places » et la compétition des égos. C’est assez banal. Mais comme chaque fois, le pilonnage que nous subissons est aussi une école de masse car vient toujours le moment où le déclic s’opère quand les gens se rendent compte qu’il s’agit d’une manœuvre. Ils retiennent la leçon. Le niveau de conscience augmente dans l’épreuve. On l’a vu : huit mois de moqueries quotidiennes contre moi, tous les soirs dans le générique d’une émission grand public, trois ans de mention régulière de mon « image abimée » dans le bulletin paroissial de la caste, la rengaine calomniatrice de l’antisémitisme et combien d’autres diffamations ont déjà fait la preuve de leur échec le 10 avril dernier avec mon score à l’élection présidentielle. Elle nous a confirmée dans l’idée que nous nous faisons sur la façon avec laquelle se forge une conscience populaire de masse dans la conflictualité. Ce qui perd nos adversaires à chaque confrontation c’est qu’ils ne savent pas se maitriser : ils ne peuvent s’empêcher d’exagérer au-delà du raisonnable. Et surtout ils ne comprennent absolument rien aux mentalités du grand nombre qu’ils confondent avec celle des indignations de posture des dîners en ville parisiens.
D’une façon ou d’une autre, la marche du 16 octobre est le moment clef de la séquence politique, car c’est celui qui montrera le rapport de force central de la société : Macron contre le peuple / le peuple contre Macron. Le peuple ? Oui pas seulement les salariés qui peuvent faire grève (à juste titre), mais aussi les chômeurs avec et sans allocations, les retraités, les étudiants, les lycéens, les précaires, les saisonniers, etc. C’est ici une divergence stratégique de fond. Pour moi, le peuple est le nouvel acteur social et politique de notre époque. Vouloir le confiner dans le rôle de spectateur est une absurde limitation. Elle ne sert que l’adversaire. Et elle ne tient aucun compte de la prise de conscience large qui s’est opérée dans le très grand nombre. C’est lui la société réelle. Il comprend le caractère global de la crise que nous traversons et il sait combien seule une solution globale y répondra. Mais il ne sait par où elle passera. Notre devoir est d’éclairer les chemins et de proposer des déclencheurs.
Le vote en Italie nous déprime de tristesse et d’angoisse. Nous aimons l’Italie d’une façon qui ne s’explique pas toujours rationnellement. Beaucoup la vive comme la nation sœur la plus proche de nous. Nous admirons l’esprit et la créativité italienne. Nous étions tous autrefois en attente d’Italie quand elle avait le plus puissant parti communiste d’Europe de l’Ouest dans une ambiance où la conquête du pouvoir pouvait alors paraître à la fois proche et en même temps définitivement impossible dans le cadre du monde de la guerre froide. Le PCI semblait bloquer sous le plafond de verre des 30% et sa stratégie de « compromis historique » avec la démocratie chrétienne se fracassa dans l’assassinat d’Aldo Moro son leader.
L’angoisse, c’est en voyant se resserrer l’étau autour de nous en Europe. La dynamique de la situation italienne est connue. L’extrême droite a fédéré toutes les extrêmes droites et la droite traditionnelle italienne. En face de cela une « prétendue gauche » à côté de laquelle François Hollande ferait figure de Che Guevara. Dans mon livre « Enquête de gauche » en 2007 je faisais de l’effondrement de la gauche italienne (qui avait alors commencé dans l’auto dissolution du PCI) la raison de mon départ du Parti socialiste. À partir de là, d’étape en étape nous avons construit l’outil qui a permis le score présidentiel du 10 avril 2022 puis la fondation de la NUPES sur une ligne de rupture avec le système qui rejette vers l’extrême droite les masses populaires désorientées par la droitisation de la gauche.
La dynamique des évènements en France, pour ce qui concerne le « bloc bourgeois » des diverses droites, se formate sur le modèle italien. Le RN prend lentement mais surement le contrôle du bloc par un effet d’emprise sans contre parade. Les macronistes ont besoin de LR qui ne peut bouger dans ce sens sans se faire dévorer à due concurrence par le RN. Dans cette manœuvre, chacun reprend le vocabulaire et les thèmes du RN pour ne pas être dévoré par lui. Parfois on voit cela aussi par la vieille « gauche » qui après avoir perdu le terrain pense s’y réadapter avec les mots de l’ennemi. Aberrant. Du coup, chacun de ceux-là sert de légume au plat principal.
La différence, c’est notre existence qui ouvre une alternative. D’où l’extrême rage à nous détruire par tous les moyens. Et l’extrême légèreté de ceux qui ne le comprennent pas quoiqu’ils aimeraient hériter du travail accompli par d’autres.
La révolution citoyenne en cours en Iran réveille les fantômes des jours lointains où la chute du Chah Reza Pahlavi par la mobilisation populaire en 1979 soulevait l’espoir. Déjà le pays vivait dans l’onde de choc du putsch contre le Premier ministre de gauche Mohammad Mosaddegh. Le pétrole déjà était l’enjeu après la nationalisation de la compagnie « Anglo-Iranian Oil Company », l’ancêtre de BP. Ce coup d’État a été reconnu depuis par la CIA. Et juste après le Chah Pahlavi fut mis sur le trône et resta aux ordres de Washington à la tête d’un régime de terreur orchestré par la sinistre police politique SAVAK. Cela jusqu’à son renversement en 1979 par un ample mouvement populaire que le clergé Khomeyniste capta à son avantage. Clergé qui fonda une théocratie odieuse en massacrant un par un tous ceux qui lui résistaient dans la gauche et le syndicalisme. Je m’honore de n’avoir jamais approuvé de quelque façon que ce soit le régime Khomeyniste. Il a menacé de me le rendre. Mais combien de naïfs biens intentionnés le prenaient pour une nouvelle avant-garde. Ils campaient à Neauphle-le-Château où était réfugié l’Ayatollah. À présent, je vois le combat qui se lève comme un formidable espoir de changement bien plus profond que sur le port du voile. Il inclut tous les aspects de la revendication de dignité que déclenche la période de crise mondiale actuelle dans chaque pays. L’impact de cet évènement comme je l’ai écrit dans mon précédent post s’étendra dans toute la région.
La mobilisation du groupe parlementaire insoumis avec ses pancartes sur les marches de l’Assemblée nationale en soutien au mouvement était une superbe idée dont l’écho est bien parvenu sur place. Mais la violence macronienne absurde de la répression policière contre les manifestants soutenant la révolution iranienne à Paris prouve que nous en sommes toujours aux méthodes aveuglées du préfet Lallement. Dans le monde, les images de cette répression font comprendre quel pays nous sommes devenus. Hélas.