Ni parti ni avant-garde, le mouvement insoumis

Vous notez que je me suis remis au fonctionnement régulier de mon blog. Ici je traite du Mouvement « La France insoumise ». Ma formule sur le caractère « gazeux » du Mouvement dont j’ai parlé il y a quatre ans dans une interview revient sans cesse. Et quelques commentateurs en déduisent des conclusions conformes à leur propre engagement politique hostile aux insoumis. Le mieux donc est de fournir les données pour expliquer comment les choses se passent réellement chez les Insoumis. Ainsi chacun pourra se faire sa propre idée. Sur nous et autant sur l’honnêteté intellectuelle des campagnes de dénigrements permanents dont nous faisons l’objet.

Le mouvement insoumis est une construction sans précédent en France. En Europe, il est unique. Il est beaucoup regardé dans la « gauche radicale » des divers continents. En effet, son fonctionnement ne correspond à rien de connu jusque-là. Après des années d’articles, colloques et tribunes verbeuses sur la nécessité de « dépassement de la forme parti », quand un exemple concret se présente peut-être faut-il d’abord l’observer sans trop d’idées préconçues. Nos résultats en moins de dix ans devraient le suggérer au lieu d’en rester aux absurdités répétées à notre encontre en général et au mien en particulier. Mais pour être bien compris j’ai besoin d’abord de faire constater à nos lecteurs le niveau des affabulations colportées à notre sujet.

« Chez les verts, au PS, les militants sont appelés à voter pour choisir leur numéro 1. Pas chez vous, pourquoi ?Ainsi m’agresse dès sa première question Astrid de Villaines du Huffingtonpost, dans l’émission « Dimanche en Politique » devant près d’un million de téléspectateurs. C’est faux. Mais elle s’en moque. Les faits, quelle importance ? La légende est servie. Ce n’est pas le seul cas loin de là. Dans « Le Monde » c’est le dénigrement permanent sur ce sujet en plus de l’open bar à qui veut dire du mal des Insoumis et/ou de moi. Le plus souvent c’est à coup de témoins qui « préfèrent garder l’anonymat ». Pourquoi seraient-ils anonymes ? Quels risques courent-ils ?

La réalité occultée à notre sujet est à l’inverse de ce qui est rabâché. Commençons par le plus simple. Pas élus nos responsables ? C’est l’inverse : tous sont élus. Tous et toutes. Sans exception.

La présidente du groupe et tout le bureau du groupe à l’Assemblée nationale ont été élus par les députés du groupe. Le bureau se réunit chaque lundi et le groupe chaque mardi. Ils définissent eux-mêmes leur stratégie et contenu par consensus, tirage au sort et parfois par vote. Même situation au Parlement européen pour les deux présidentes de la délégation française insoumise et du groupe international européen « Gauche Unie ». Idem pour le « coordinateur » élu par la coordination des « espaces » (secteurs d’action) du mouvement. Leurs représentants sont eux-mêmes élus dans ces « espaces ». Cette coordination se réunit toutes les semaines. Ses décisions sont appliquées sans autre filtre. Le personnel du siège, les organes d’expression du mouvement sont réunis une fois par semaine pour des bilans de séquence. La fédération d’élus insoumis et apparentés élit son bureau national. Toutes les directions de secteur du Mouvement sont en doublon mixte (femme/homme). Les votes se font sur candidatures ou proposition des uns ou des autres. Le critère ? Être « connu·e et reconnu·e » comme actif. C’est-à-dire faisant « le boulot » et surtout « travaillant en collectif ». C’est pourquoi parfois l’élection n’est pas le seul moyen d’avoir des responsabilités au mouvement insoumis. Se proposer pour prendre en charge une tâche est parfois une voie simple et directe d’accès aux responsabilités. Il a bien fallu faire comme ça au début de notre activité. En tous cas, il n’est pas question ici de répartition entre états-majors de courant, ni de factions, ni de club de supporters, ni de vedette frivole, ni de titre ronflant sans engagement personnel ni résultats.

Et le Mouvement dans son ensemble ? Il tient des Conventions nationales à la cadence d’une tous les deux ans. Ses membres sont en parti élus par le secteurs d’action, et en partie (majoritaire) tirés au sort. De même pour les « Assemblées représentatives » (selon les besoins et les urgences, trois depuis cinq ans) ou les Assemblées représentatives des Groupes d’action dont les membres sont tirés également au sort.

Un Mouvement, comme un Parti, a trois problèmes à régler dans la Cinquième République. Le programme, la stratégie et les candidatures aux élections. Normalement, la discussion et la pluralité des avis portent sur ces trois sujets pendant des périodes déterminées. Le harcèlement médiatique a créé un déballage permanent très personnalisé sans règles ni limites rendant impossible toute maturation interne. Au contraire, chez les insoumis le programme fait l’objet d’une actualisation permanente. Un processus sérieux et tranquille depuis 2012 conclut par des votes en lignes. La mise à jour se fait par trois voies. D’abord le processus d’amendement au fil des textes de lois, rapports et commissions d’enquête à l’Assemblée nationale. Puis par les sessions ouvertes d’amendement en lignes (3000 amendements venus de cette façon à chacune des deux étapes dans l’édition actualisée en 2020 et 2021). Enfin par le travail de mise au point des « livrets thématiques » au long de l’année. Qui fait mieux ? Plus ouvert ? Plus collectif ?  Plus productif ? Et sans déchirement.

Voyons la stratégie à présent. Cette question a été tranchée avec la conclusion de l’accord NUPES. Mais la ligne unitaire avait été mise en échec à trois reprises auparavant d’abord avec l’offre de Front populaire puis ensuite avec le Big Bang au lendemain de l’élection européenne. Le cap fut tenu et atteint dans sa forme la plus claire : adoption d’un programme partagé de 640 mesures de rupture et un accord électoral de candidat unique dès le premier tour.

Autre sujet qui génère toujours son lot de mécontents (aussitôt médiatiquement encouragés pour divertir le public) : les candidatures aux élections nationales, européennes ou législatives. Chez les Insoumis, ces candidatures sont établies à partir des listes de propositions remontées du terrain et des groupes d’action ou des propositions de la commission nationale. D’abord soumises à des équipes territoriales dont les membres sont aux 2/3 tirés au sort. Elles sont au final tranchées par un comité électoral national. Celui-ci met en application les critères de choix établis par le mouvement (et parfois par la loi) : sociaux professionnels, parité, diversité, âges, etc.. Faut-il regretter le résultat ainsi acquis ? Les groupes parlementaires élus ne sont-ils pas plutôt une réussite de variété professionnelle observée par tout le monde ?

La candidature à l’élection présidentielle ? En 2022, les groupes parlementaires se sont réunis. La question a été posée devant eux de savoir qui était candidat. Je fus le seul. J’avais auparavant consulté en ligne (20 000 réponses) sur cette hypothèse (je n’en étais pas convaincu). Puis ma proposition a été acceptée. À l’unanimité. Elle fut ensuite subordonnée au recueil préalable de 150 000 parrainages. Puis une fois ceux-ci acquis il y eut le vote d’une Convention nationale à Reims qui fut également unanime. Ni lutte de clan, ni cliques, ni marchandage. Faut-il le regretter ? Le résultat de 2017 comme celui de 2022 ne montrent-ils pas l’efficacité de ces méthodes ouvertes plutôt qu’aux lamentables primaires auto destructrices pour ceux qui les pratiquent ? Qui fait mieux ? Quel modèle devrions-nous imiter ? Il n’y a en a pas. C’est plutôt nous qui servons de référence pour des tas d’organisations (si nos renseignements sont bons).

Il n’y a pas de « courant » dans le Mouvement Insoumis. Nous n’en avons pas voulu dès la fondation. Nous n’en voulons toujours pas. On voit chaque jour le résultat du modèle de fonctionnement sur la base des courants : de micro parti dans le parti, s’entredétruisant à longueur de confidences à la presse et réduisant à néant le travail des équipes militantes par des querelles vénéneuses et opaques. Il tourne pour finir à la compétition de simples écuries présidentielles ou à la salle des enchères pour les postes éligibles. La situation actuelle du PS et d’EELV et le pilonnage médiatique qu’ils subissent à cause de cela ne nous fait pas rêver. Dérapages internes et manipulations médiatiques ne sont pas séparables. L’expérience montre comment loin d’être un moyen de démocratie cette pratique est au contraire un obstacle complet au travail collectif. Bien sûr cette façon de faire à une histoire honorable dans le passé. Mais elle correspond à un état de la société et de la « forme parti » qui n’a plus de réalité. Les courants n’existaient autrefois qu’au PS. Ils étaient d’abord d’authentiques passerelles entre le monde salarial et associatif. Un milieu très développé à l’époque, implanté et structuré dans une population qui l’était tout autant. La pluralité de la presse accomplissait alors un travail civique d’animation du débat. Cette époque est révolue en tous points. La société est socialement explosée et la presse est à 90 % dans les 9 mains de gens qui pensent et veulent la même chose.

Nous avons donc fait un autre choix d’organisation en analysant notre époque et l’inadaptation de la « forme parti » face à notre projet politique et à l’état de notre société. Et d’abord celui d’être un Mouvement et non un parti. Dans ce cas la seule référence commune « obligatoire » est le programme. Tous sont appelés à travailler à son perfectionnement et à sa victoire. A rien d’autre. Tout le reste est à la libre appréciation de chacun. Nous n’avons aucun «passé commun » à défendre, aucune prophétie à réaliser, aucune propriété exclusive de nos idées. Nous sommes provisoires et conscients de l’être dans un moment très spécial de réorganisation générale de la société et de l’action politique.

La pluralité des opinions et des analyses n’a de sens que sur les points où une décision doit être prise. C’est le cas de la discussion sur le programme ou la stratégie. Comme je l’ai dit nous avons réglé cette question d’une manière originale : « au long cours » au fil de l’année et des travaux des députés et des livrets thématiques, puis au cours des sessions de réactualisation. Aucune autre formation politique n’accorde une telle place et un tel pluralisme à la définition de son programme. Un sondage a montré comment l’adhésion au programme était la première motivation pour 80% du vote insoumis. C’est un très grand succès pour nous et une puissante motivation pour persévérer.

Ainsi le modèle des courants n’en est pas un pour nous. Il ne correspond ni à la « forme Mouvement » ni à la nature de la liaison de celui-ci avec la société telle que nous les concevons. Nous en avons eu la confirmation avec l’évolution de nos amis de PODEMOS. Leur mouvement a choisi pour finir d’adopter le système des courants (« plateformes ») avec prime au vainqueur, secrétaire général et interdiction de la « double militance » dans un autre parti. Nous ne sommes pas intéressés à reproduire ce qui en est résulté. Notre formule a fait ses preuves. Elle continue d’évoluer autant que possible en dépit des pressions ininterrompues de certains médias dans laquelle je vois pour ma part une volonté de prendre le pouvoir sur nous ou de nous désorganiser pour le seul profit des objectifs de leurs propriétaires. Le comprendre nous aide à n’en tenir aucun compte.

Ce qui fédère concrètement le mouvement, ce qui rend possible sa cohésion et sa discipline de travail, c’est l’action. Tout le reste est du domaine de la libre détermination de chacun (références théoriques, philosophie, lien dans l’histoire). Y compris pour ce qui concerne la structure de base qu’est le groupe d’action : chacun peut créer ou quitter celui de son choix. Cela peut parfois comporter des inconvénients comme lorsque des gens s’approprient mon nom pour créer des groupes Facebook ou autre. Ou quand des gens s’approprient le nom Insoumis ou notre sigle ici ou là pour des aventures locales ou des règlements de comptes. Ce n’est pas si dur à régler en bonne intelligence. Mais le régime de liberté générale et d’incitation à l’initiative spontanée (« la consigne est : n’attendez pas les consignes ») à d’innombrables vertus. Je les mesure d’autant mieux quand je regarde autour de nous. Ou quand je me réfère à mes propres souvenirs au PS. En effet les gens ne savent pas combien les courants soit-disant « garants de la démocratie » sont peu démocratiques avec ceux qui les composent. Notre système met notre fonctionnement hors de portée du star système, des gens qui marchandent leur pouvoir de nuisance des pique-assiettes et des ralliés de la vingt-cinquième heure.

L’action qui nous unit c’est celle des campagnes d’opinion et de mobilisations. Celles-ci sont déterminées par des consultations en ligne. Ce sont ensuite nos participations à des luttes déclenchées sur le terrain par les uns et les autres et spécialement par des collectifs de citoyens. Et enfin ce sont les campagnes électorales puisque c’est le lieu de la démocratie républicaine. Cela forme un tout cohérent sur le plan doctrinal et politique. Mais cela insupporte aussi. « Le Monde » enrage : “L’action, la campagne permanente une méthode efficace qui a aussi permis à LFI et sa direction d’éviter les débats et les discussions”. Sans commentaire.

Je ne regrette pas cette longue description. Il m’a paru utile de la faire pour qu’on comprenne mieux comment nous essayons de construire d’un genre si différent. Des personnes qui me lisent auront sans doute l’idée de la diffuser à l’occasion quand on reverra paraitre des caricatures fielleuses comme on en trouve dans « Le Monde » chaque fois qu’il est question de notre mouvement ou de moi. Dans le prochain post je traiterai de la forme du Mouvement en relation avec son fondement théorique dans la thèse de l’Ere du peuple. Où l’on trouvera l’explication du mot « gazeux » à propos du Mouvement.

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