Combien savent où est Gergovie et ce qui s’y est passé ? C’est un nom de lieu. Aux alentours de Clermont-Ferrand. C’est le lieu de la bataille gagnée par Vercingétorix contre César et six légions romaines.
Lundi soir, j’étais en meeting avec Marianne Maximi à la Maison du Peuple de Clermont. Mardi matin, le meeting ayant été plutôt réussi, je suis allé au musée de la bataille de Gergovie construit sur l’ancien site de l’oppidum gaulois attaqué par César. Un site et un musée hors pair ! De l’oppidum on voit l’automne flamboyant sur tout le territoire jusqu’aux limites du regard sur les monts de Limagne, si loin là-bas. Un spectacle à 360 degrés. Le bâtiment du musée est incrusté sans agressivité et la rouille (volontaire) de sa façade facilite son effacement dans le paysage. Une fois dans le musée, l’enchantement continue par la vision que propose le système des immenses fenêtres tournées sur toute la région.
Évidemment, il y a l’exposition permanente. L’organisation des présentations a résisté à la mode ridicule et arrogante des panonceaux explicatifs accrochés presque au ras du sol et rédigés en petites lettres sur fond gris pâle comme on les voit désormais partout. Ici au contraire tout est accessible physiquement et intellectuellement. Clair, pédagogique, ouvert à qui veut savoir. Aux objets, tableaux, vidéos, tablettes évolutives s’ajoute une pure merveille de reconstitution de la bataille et de ses phases par des projections lumineuses animées. On reste bouche bée. Je ne cache ni mon admiration pour le travail des historiens et des archéologues ni pour les muséologues. Les gens qui travaillent ici sont des passionnés. Une passion communicative. Ce fut un vrai choc émotif et culturel bien partagé par l’équipe qui m’accompagnait !
J’avais une autre curiosité. J’ai lu et même relu « La guerre des Gaules » de César dont j’ai traduit des petits morceaux du temps de mes études. Je sais qu’il s’agit d’un ouvrage de propagande politique. Le texte parvenait à Rome par chapitre et il était lu aux coins des rues par des conteurs publics. Une nouveauté et un succès à l’époque. César n’est jamais parvenu à rééditer cet exploit de communication avec ses campagnes militaires suivantes. Gergovie y est présenté comme un repli tactique des Romains.
Hum ! hum ! César dit qu’il aurait perdu 700 combattants. Mon interrogation : César minimise-t-il la bataille pour sauver son prestige, ou bien en augmente-t-il l’importance pour mettre en valeur son endurance et sa victoire finale ? Les études laissent penser qu’il vaudrait mieux parler de plus de 4000 légionnaires tués sur place puisque le chiffre de 46 centurions tués est avoué. Je ne discute pas ici. Je n’en ai pas la qualification. Il est clair qu’une fois sur place, après avoir suivi la reconstitution et vu les lieux des deux camps romains où étaient installés 25 000 légionnaires on se fait une idée personnelle. J’évite de dire laquelle. Car je me souviens des polémiques que m’avait valu mon intérêt pour le site jurassien qui se réclamait être le vrai site d’Alésia… En France, l’Histoire est un sujet chaud bouillant comme on le sait et souvent un enjeu politique.
Ma seconde source de question porte sur la façon dont se construit le récit de l’histoire de France. Ici au musée nous sommes avec des scientifiques. Leur sujet ce sont les faits, les quantités, les lieux et ainsi de suite. C’est-à-dire tout ce qui relève du savoir objectif. Incroyable travail sur ce point à Gergovie. Les techniques les plus modernes pour scruter le sol ont permis de reconstituer tout ce qui se trouvait sur place : murs, fossés, emplacement des tentes et ainsi de suite. Mais pour les scientifiques, la « Gaule » est une notion politique telle qu’elle sort du récit de César. Dans les faits, il y a des Celtes, éparpillés en petits peuples distincts, des rives de la Méditerranée et de l’Atlantique jusque dans le milieu de l’Europe continentale.
Avec autant de pratiques, de rites et de langues que de groupes, même si ce qui leur est commun existe aussi fortement. Ici vient notre actualité politique contemporaine. Les romains sont déjà bien avancés sur ce territoire quand César y vient. Tout le sud du pays est « gallo-romain ». Le Gaulois « de souche » n’existe pas. La créolisation est la règle. Un grand mélange des cultures celtes entre elles et avec celles des Méditerranéens. Les premiers textes gaulois sont rédigés en grec car c’est eux qui ont leurs colonies comme Marseille sur le bord de la Méditerranée six siècles avant notre ère. César n’arrive que 50 ans avant l’ère chrétienne. Et si nos historiens de la troisième République ont forgé le concept de « gallo-romain » ce n’est pas seulement pour attacher à notre récit national la gloire de Rome aux bravoures gauloises. C’est parce que la créolisation sur cette terre de « Gaulle » a été en effet un processus fulgurant !
Gergovie en atteste. Lieu d’une victoire gauloise sur Rome c’est pourtant aussi un lieu où la créolisation avec la culture culinaire et architecturale romaine a été des plus rapides. Comme les fouilles effectuées le prouvent. Cette façon de faire ne s’est jamais interrompue dans notre pays. La langue française est une invention des poètes de cour à partir de la décision de François 1er. En effet, cette langue était seulement celle d’un coin de France. Mais surtout, elle manquait de mots. Joachim du Bellay écrit alors un manifeste à cette époque : « Défense et illustration de la langue française » où il fait le constat de cette pauvreté et recommande d’inventer des mots à partir du grec ou du latin et même d’emprunter au vocabulaire populaire des métiers qui était inconnus des gens de la bonne société. La créolisation encore ! La créolisation toujours. L’histoire qui a eu lieu à Gergovie atteste que le peuple français est un peuple créole.