J’ai eu un rendez-vous avec trois nouveaux députés LFI : Manon Meunier (Haute-Vienne), Carlos Martens Bilongo (Val-d’Oise) et François Piquemal (Haute-Garonne). Je les ai rencontrés à l’Assemblée nationale et je n’ai pas perdu mon temps. Ce sont trois députés de la nouvelle génération insoumise. Petite trentaine chacun. Maxi implication associative avant l’élection. Ils constituent ensemble une mission d’information de l’Assemblée nationale sur les pollutions lumineuses.
Peut-être vous souvenez-vous que j’ai évoqué le sujet dans mon discours à Toulouse pendant l’élection présidentielle. Je suis donc très enthousiaste de voir que trois camarades se soient emparés du thème. Moi-même j’avais été sensibilisé par Mathilde Panot il y a deux ans. Je sortais d’une exposition à la Fondation Cartier sur le thème du silence et des bruits dans la nature. Je lui raconte ma visite et l’intérêt du thème (elle était ma vice-présidente de groupe et on parlait de tas de choses en se rencontrant pour le boulot d’animation du groupe).
La mission des trois députés LFI s’appelle « Rendez-nous la nuit ! ». Comme on n’en avait pas parlé avant, cette commission s’est faite spontanément et c’est un signe. Quelque chose est désormais capté en profondeur de la société comme en atteste l’origine géographique si diverse de ces trois députés. Pour être bien franc, je dois dire qu’en me présentant leurs motivations sur le sujet (j’avais posé la question), aucun des trois n’a contourné la dimension poétique, magique, de la nuit. Ils commençaient par ça. Je ne cache pas mon bonheur. Enfin, j’ai enfin rencontré la nouvelle génération des responsables politiques qui assument le besoin de plénitude humaine. Ils ne se contentent pas de psalmodier des chiffres et de raisons économiques. Même si pour finir, on y est venu dans la discussion. Je crois qu’on est prêt à beaucoup pour pouvoir accéder à une nuit bleue sous la lune dans une prairie encerclée de sapins sur un plateau du Jura. Mais sûrement pas autant pour une quantité de kilowatts économisés. François Piquemal parle du ciel de Toulouse, cité du spatial d’où on ne voit pas les étoiles la nuit. Que vaut l’espace sans les étoiles ? Manon Meunier, de la ville qu’on est obligé de voir au loin comme si le regard était enchainé. Juste parce que la ville impose son immense halo lumineux à tous les yeux dans la nuit. Carlos Martens Bilongo, des bureaux allumés toute la nuit Porte de Clichy comme si l’obscurité était une nuisance ou un bien gratuit dont le propriétaire des bureaux disposerait sans limites.
Le sujet avait fourni par surprise un thème dans mon discours à Toulouse pour les présidentielles. « Quel est ce monde ? Savez-vous que le quart de l’humanité ne sait plus ce qu’est la nuit ? » ai-je lancé. Un quart de la surface terrestre est éclairée en permanence artificiellement. Je me souviens bien d’avoir eu le sentiment de planer un peu. Ce passage du discours n’était pas prévu du tout. Pourquoi ça et à ce moment ? Peut-être parce que l’instant d’avant j’avais vu, perché derrière moi sur du mobilier urbain, un auteur ami qui me souriait : Abdourahman Waberi. Mais pensez-y : quel tableau est alors effacé ! « Aux premiers âges les premiers groupes humains ont acquis dans la nuit la possibilité de tirer des leçons de ce qu’ils observent dans le ciel. Ils en déduisirent à partir de là des conclusions mathématiques et de sciences. Ces conclusions permirent à l’humanité de cesser d’être ces petites troupes errantes sans futur maitrisé, craignant le changement des saisons et ne sachant à quel moment semer ou récolter sans la peur de tout perdre ».
La nuit est un livre ouvert sur l’univers où sont écrites les correspondances utiles et souvent nécessaires entre les cycles utiles à l’être humain et ceux de la nature. Ce livre reste fermé en tant de lieux désormais. À Paris, une trentaine d’étoiles tout au plus peuvent être observées à l’œil nu. Et encore… Au parc du Morvan, on peut voir 2 000 à 3 000 étoiles. En Europe et aux États-Unis, 99 % de la population ne vivraient plus sous un ciel étoilé. La progression de la pollution lumineuse se poursuit actuellement à un rythme de plus de 2 % par an. La question rejoint les urgences de l’actualité. « L’International Dark Sky Association estimait avant la hausse actuelle du coût de l’énergie que la lumière artificielle nocturne représentait 20 % de la consommation mondiale de l’électricité. Pour les seuls États-Unis, au moins 30 % de l’éclairage nocturne est gaspillé, avec un coût de 3,3 milliards de dollars par an et une émission de 21 millions de tonnes de CO2. »
Quoiqu’il en soit le cycle du jour et de la nuit est celui sur lequel se règlent les horloges internes des êtres humains, des végétaux et des animaux. Faute de nuit, tout le vivant est déréglé à toutes sortes de moments vitaux. La pollution lumineuse nocturne perturbe la pollinisation, décale la fleuraison, brouille les déplacements des oiseaux et des tortues de mer, absorbe la vie des insectes. Les humains ne sont pas moins atteints. La perturbation du cycle peut entrainer aussi bien des troubles de la croissance ou de l’apprentissage chez les enfants. Mais aussi du stress et de l’anxiété, de la perte d’appétit. J’ai lu aussi qu’on pouvait craindre un accroissement des risques de cancer et de diabète du fait des dérèglements des horloges biologiques.
Une nouvelle fois, on doit penser le problème à partir du temps social et des dominations qui le structurent. Le phénomène est global, profond, généralisé. Le temps des chandelles économisait les heures nocturnes. On se couchait tôt et on se levait tôt parce qu’il en coûtait d’agir autrement. 4 millions de salariés travaillent désormais la nuit. Et les autres dorment moins longtemps pour faire face aux contraintes des temps de transport. Alors depuis le début du vingtième siècle, le temps de sommeil moyen est passé de 10h à 6,5h. C’est là une nouvelle fois une illustration de la façon dont les rythmes et le temps sont des réalités sociales dans la civilisation humaine. On ne peut les penser sans vouloir en reprendre le contrôle. Et ce contrôle sera social, c’est-à-dire politique, volontaire, légitimé par la demande des citoyens. Je compte sur mes trois camarades pour nous aider à avancer dans cette direction en nous permettant de mieux comprendre ce qui se passe et ce qu’il faut changer.