26.12.2022

Ce n’est pas un fait divers

Ce fut un 24 décembre triste avant la soirée du repas et des cadeaux. L’assassinat en plein Paris au centre culturel kurde de trois militants politiques dont la présidente des femmes kurdes de France soulevait le cœur de colère, de dégoût et de tristesse.

Rendu au point de rendez-vous proposé par les dirigeants de la communauté, nous étions quelques-uns disponibles à cette date dans Paris. Vous aurez sans doute suivi tout cela. J’y reviens pour marquer une impression d’extrême malaise ressentie à tout ce que j’ai vu et entendu. Le meurtre des trois dirigeantes kurdes qui est déjà resté depuis dix ans sans coupable arrêté était déjà un épisode qui laisse une ombre étrange autour de tout ce qui se joue en France avec les Kurdes. Le dossier est resté ouvert en dépit de l’imminence de son classement prévu. Cela seulement grâce à la détermination des avocats qui ont su trouver les failles dans la logique juridique du classement. Mais pourquoi le « secret défense » n’est-il toujours pas levé dix après ? Et pourquoi ce « secret défense » ?

Évidemment, on ne peut rien envisager sans penser à la Turquie. Sous Erdogan, que le journal « Le Monde » qualifiait « d’islamiste modéré » quand il gagna les élections dans son pays, nous n’aurons connu que répressions, meurtres et procès politiques contre les courants politiques démocratiques de la Turquie. En dépit de toutes les difficultés, ces derniers ont su remonter la pente face aux menaces et aux violences et harcèlements incessants du pouvoir. Au fil du temps, depuis le Parti de Gauche, les Insoumis ont été de fidèles compagnons de ce combat. Jean-Christophe Sellin et Éric Coquerel ont été présents à tous les procès faits aux responsables de la coalition politique démocratique (HDP). Et, ici à Paris, de même dans les temps forts des mobilisations que ce soit pour les commémorations des assassinats ou au moment de la lutte en Syrie contre Daesh.

À cette époque, Mathilde Panot et Danièle Obono s’étaient rendues sur place au Rojava en Syrie. Au Conseil de Paris, Danielle Simonnet avait levé le lièvre de la collusion de la firme Lafarge payant une dîme à Daesh pour maintenir en activité sa cimenterie en Syrie dans la zone du prétendu califat. Elle fut d’abord bien seule jusqu’à ce que le scandale ne puisse plus être contenu et que les dirigeants de la firme ne soient mis en examen. Au Parlement européen, nos députés ont agi pour que cesse le scandale du classement du parti communiste du Kurdistan (PKK) comme « organisation terroriste ». Car telle est la situation selon le vœu d’Erdogan et pour complaire à l’OTAN dont la Turquie est membre.

Comme d’autres des nôtres, j’ai pris ma part à ce qui est devenu au fil des ans un des combats identitaires de longue durée de notre famille politique. Ce vingt-quatre décembre, il y avait un rassemblement place de la République et nous étions une délégation. Éric Coquerel m’a demandé de m’exprimer en notre nom à tous pour que cela projette la force de toute notre représentativité dans le soutien à la démonstration contre l’assassinat du centre culturel kurde.

J’ai présenté les demandes de nos parlementaires et de notre comité d’action sur le sujet : levée totale du secret défense sur le dossier d’il y a dix ans, saisine du parquet anti-terroriste sur les assassinats du 23 décembre. Une enquête est en cours. Certes. Mais notre expérience et celle de nombreux militants de tous bords présents à cette occasion a aussi sa valeur. Il est prouvé que l’expertise militante en matière de vie internationale vaut assez largement les approximations de ceux qui découvrent les dossiers sans un seul jour de pratique ni des évènements ni des milieux ni des habitudes des protagonistes. C’est sans doute ce type de carence qui explique pourquoi avait été refusé l’asile politique à la présidente des femmes kurdes qui était pourtant une ancienne combattante du Rojaïa blessée au front. Car personne ne croirait que l’anticommunisme, ou le classement du PKK comme terroriste, ou l’envie de ne pas avoir d’histoire avec Erdogan et la Turquie ait été la raison d’être de cette décision de police.

C’est pourquoi nous avons décidé de dire à cette tribune publique ce que nous pensons, sans détour. Nous ne croyons pas que l’assassin se soit rendu par hasard au lieu et à l’heure d’une réunion des femmes kurdes pour préparer la commémoration de l’assassinat il y a dix ans des trois dirigeantes kurdes. Qu’il soit psychologiquement perturbé n’est certainement pas étonnant. Se préparer à aller faire un carnage de femmes militantes n’est pas le fait d’une personne en état mental normal. Tuer de sang-froid trois militants dont la présidente des femmes kurdes comme il l’a fait le prouve. Son passé aussi. Mais cela ne fait que rendre plus curieux tout ce qui a suivi depuis sa libération jusqu’à son armement clandestin en douze jours.

Dans le cas de l’assassinat de Samuel Paty, le parquet anti-terroriste avait été saisi. Pourquoi ? Parce qu’il est le meilleur connaisseur des coups tordus des organisations capables de repérer et manipuler des « personnalités » perturbées au point d’être capables de meurtres. Il a été décidé, à juste titre, que la présomption de lien avec des milieux terroristes avait du sens pour élucider les conditions du meurtre. L’assassin des Kurdes ce 23 décembre avait attaqué au sabre un campement de réfugiés. Il s’est revendiqué dans ce cas de ses connexions intellectuelles avec les milieux de l’extrême droite violente. Il aurait avoué avoir agi cette fois-ci par racisme. Il peut être un exemple de ce type d’individu.

La conjonction avec la date anniversaire du triple meurtre il y a dix ans et l’objet de la réunion à la porte de laquelle est venu l’assassin mérite que la piste soit explorée. Surtout dans l’ambiance actuelle de violences répétées venant de l’extrême droite en France. Dire « qu’aucun élément qui privilégierait la nécessité de la saisine » du parquet anti-terroriste parait donc discutable. Car c’est précisément à l’enquête de faire le clair sur ce point. Et on peut dire à l’inverse que la personnalité des personnes tuées, le lieu de leur assassinat et le contexte laissent à penser d’abord qu’il s’agit d’un coup monté et non l’inverse. Mais l’enquête anti-terroriste le dirait avec plus de compétence que qui que ce soit. Certes, bien du monde peut avoir à l’esprit le prix payé par notre pays dans le passé pour avoir poursuivi des bras armés de l’extérieur du pays. Mais la valeur de la stratégie contraire n’est pas prouvée.

Je ne dis pas que ce soit toujours simple à décider. En déclarant que « la communauté kurde était visée », le président de la République a inscrit l’évènement dans un contexte bien précis. Il serait anormal de n’en tenir aucun compte. Le dommage serait que la thèse du fou raciste tuant au hasard de ses lubies ne paraisse être un bon moyen d’éviter des problèmes diplomatiques ou autres. Quoiqu’il en soit, ce serait une erreur profonde. Laisser penser qu’on peut tuer sans problème des opposants politiques pourrait très mal tourner. Encore faut-il avoir à l’esprit le nombre des pays et des régimes violents qui ont des opposants réfugiés à Paris. Aucun signal de faiblesse ne doit être donné à qui que ce soit.

Quant aux délicatesses avec l’extrême droite « pour ne pas attiser » (comme vu à une autre échelle dans la Creuse) c’est aussi une erreur complète compte tenu des principes politiques de cette mouvance qui interprète toute parcimonie comme une faiblesse encourageante. De tous ces points de vue l’affaire de l’assassinat des Kurdes le 23 décembre n’est pas un fait divers. Ce n’est pas sinon plus le problème de la seule communauté kurde. C’est un fait politique grave de sécurité intérieure et extérieure. Tout ce qui sera fait sera regardé en détail dans les quatre pays (Turquie, Iran, Syrie, Irak) où vit le peuple kurde, par celui-ci comme par les régimes qui les dirigent.

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