L’après Bayrou est servi

Pour le 4ᵉ nouveau gouvernement Macron en un an, le vieux monde politicien avait besoin d’un bain de jouvence, d’une joyeuse nouveauté, d’une pétillante redistribution de rôles, d’un dévidoir à bla-bla distrayant sur les chaînes d’info en continu. Puisque les élections ne peuvent plus « purger les crises », le spectacle doit prendre le relais et susciter les émotions compensatoires à la désolation d’un fond de scène immobile. Le sketch des ministres « inconnus » que l’on « découvre » à longueur de portraits ne donne plus rien depuis deux nouveaux gouvernements déjà. On ne sait pas qui c’est, ni avant ni pendant, ni après, et tout le monde s’en moque. Avoir un nouveau Premier ministre n’est plus surprenant quand on en change tous les trois mois en moyenne. La nouveauté du « nouveau premier ministre » fait long feu. Bref, bien des cartouches de la pyrotechnie politicienne ordinaire sont épuisées. Tel est le macronisme : il épuise tout ce qu’il touche. 

Comment tirer de la vase ce système macroniste embourbé jusqu’aux essieux depuis l’épisode Barnier ? D’autant que la scénographie des choses sérieuses est fixée depuis le début. Ici le président de la commission des Finances Eric Coquerel aura prévenu sur tous les tons et dès le début : en repartant du budget Barnier, la discussion sur le déficit est enfermée dans la diminution des dépenses prévue au budget. J’en ai repris le raisonnement dans mon précédent post. Point final. Faut-il croire que le soi-disant « parti de gouvernement », ce PS qui n’a déjà pas de programme, n’ait, de plus, aucun expert capable de les alerter ? Comment croire qu’il ait découvert en cours de route comment se discute un budget comme l’a avoué le hollandiste Philippe Brun ? Qui plaiderait de même pour l’ignorance de Faure ? Pourtant, ce n’est pas un perdreau de l’année après avoir été secrétaire général puis président du groupe parlementaire puis premier secrétaire du PS ? Ou pour l’incompétence de Boris Vallaud, ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée et actuel président du groupe socialiste ? Ou encore pour l’ignorance de Patrick Kanner, président du groupe PS au Sénat. Tout ce petit monde de grands esprits qui m’a, l’un après l’autre, appelé à « l’humilité » ne savait donc pas ? Il ne connaissait pas l’équation ? Ils ont entraîné tout leur parti et leurs proches alliés comme EELV et PCF dans une impasse sans savoir qu’ils s’y trouveraient aussitôt commencé à « négocier » ? Aucun journaliste n’a pensé à le leur demander parce qu’eux non plus ne savaient pas ? Non bien sûr. Autant d’incompétences additionnées n’est pas envisageable.

Donc, ils savaient tous ce qu’ils faisaient. Ils le savaient parfaitement. Mais en réalité, ils avaient renoncé à la bataille du budget puisqu’ils la savaient perdue à la fois par le blocage réglementaire du Sénat et par l’opposition politique de LR et des macronistes. Comme ils savaient qu’ils ne pouvaient rien obtenir sur le budget, ils ont choisi un autre terrain. Duplicité. Ils ont donc cru subtil de saturer le tableau par une bombe aveuglante : le retrait de la réforme des retraites. Pourquoi ? Parce que nous en avons fait le point de fixation de la trahison qui s’annonçait dans la « négociation ». Il n’était pas difficile de le deviner. Comme d’habitude, le PS sous-estime tout le monde autour de lui. Son arrogance le perdra tout le temps. Pour lui, la macronie serait offerte à l’encan : c’est mal la connaître. Car à l’évidence, les macronistes qui ont tant payé pour se maintenir au pouvoir, font de la question des retraites, le marqueur de leur politique néo-libérale. À juste titre. Ils en font le symbole central de la « Révolution » annoncée par le titre du livre de Macron. Ils l’assument déjà avec la réforme du Code du travail et le dépeçage du service public de la santé et de l’école. Le PS croit que Macron est comme eux, qu’il n’a aucun programme, ne tient aucun engagement, qu’il fait juste du Hollande maladroit.   

Le PS s’est donc avancé pour capter les lumières du spectacle. Ce fut le temps de « la négociation ». Il a adopté un registre de pâle resucée du syndicalisme modéré. Mais sans les moyens de celui-ci. Et en essayant de le remplacer. Il s’agissait de se montrer « raisonnable », de mettre à distance de LFI en l’insultant plus que jamais. Il fallait isoler LFI, construire une nouvelle alliance à trois. Et pour le faire, il y avait bien l’appui des nids médiatiques d’anciens du PS plus ou moins repentis. Pour le faire, ils comptaient avoir l’appui de la CFDT qu’ils voulaient appâter par le projet d’une « nouveau système de retraite ». D’autant que Bayrou a commencé par dire publiquement que c’était sa préférence. Mais la CFDT n’a pas besoin d’un parti politique pour mener ses affaires. Le PS comptait sur la bienveillance accompagnatrice de Sophie Binet reprenant mot pour mot souvent les formules d’Olivier Faure. Mais la CGT ne peut se réduire à des bonnes relations personnelles. Le bureau confédéral et le CCN de la CGT sont de vraies instances fédératives. La CGT a inventé la Sécurité sociale. Le PS comptait sur ses nombreux amis d’autrefois à FO. Mais FO a une longue histoire sur ce sujet. Et il lui est absolument impossible, génétiquement impossible, de renoncer à un système de retraite qu’elle a géré dès ses premiers pas… Quant à SUD ou FSU inutile de gloser… Ajoutons que le système de la retraite à points n’est pas du tout une bonne affaire ni pour les cadres ni pour ceux qui les emploient ! Les pendules ont donc été vite remises à l’œuvre, de tous côtés. Comment pouvait-on s’attendre à autre chose ? 

Bayrou jouait donc sur du velours en promettant de mettre en œuvre l’accord qui sortirait des discussions du conclave des « partenaires sociaux ». Il savait qu’il ne peut y en avoir. Car le Medef ne voudra jamais rien de tout ce sur quoi les syndicats de salariés se mettraient d’accord. Et si sort de cette palabre quelques points d’accord de détail pour être présentés à l’Assemblée, où serait une majorité pour l’accepter ? Donc droit de veto au patronat suivi d’un saut dans le vide parlementaires. Habilement Bayrou a verrouillé la situation et le PS a fait semblant de ne pas s’en rendre compte. Tout était donc une comédie. Un tel amateurisme est visible pour les connaisseurs de ces dossiers. Les syndicats de salariés le sont. Et très vite, les syndicalistes, sachant ce que négocier veut dire, ne pouvaient ignorer l’amateurisme du PS et le sens de sa manœuvre vers la retraite à point. Tout le monde a vu la débandade où cela allait « d’abrogation » en « suspension » puis en « gel » et en rien du tout.  

Mais oui, nous sommes passés à deux doigts du désastre. C’est-à-dire la rupture du NFP par un accord politique entre une partie de ses composantes et la macronie, et en plus avec la création d’une division syndicale ouverte au cœur de ce qui a fait la force de la plus grande bataille sociale du pays depuis un demi-siècle : la lutte contre la retraite à 64 ans. Mais pire que tout : la capitulation sur le cœur génétique de la gauche sociale : le système par répartition. Quel incroyable cadeau au capital que « changer de système », c’est-à-dire la gestion financiarisée des cotisations retraite des salariés  ! Le PS a donc entraîné toute la gauche dans l’impasse politique qui a coûté la vie à la gauche italienne allemande et grecque déjà. Ouf, on y a échappé. 

Cela ne peut s’effacer comme si de rien n’était. Le PS a ouvert une discussion avec la macronie et négocié un accord de non-censure sans aucune délibération ni accord au sein du NFP. Olivier Faure et les six hommes qui l’entouraient à Matignon peuvent compter sur l’amnésie permanente des bêlants et des rentiers de l’unité qui ne s’expriment en général que contre LFI. Nous les leur abandonnons. Mais ils ne peuvent compter sur nous pour oublier. On ne peut passer à la suite sans autre forme de procès après un tel évènement. On ne peut vivre et agir ensemble avec des gens prêts à tous moments à tromper tout le monde. Surtout après deux accords traités comme des chiffons de papiers comme ceux de la Nupes et celui du NFP. Nous ne contenterons pas de noter leur ridicule ni d’oublier la somme des insultes et des oukases personnelles dont ils nous ont accablés chemin faisant.  Nous voulons une autre vie commune quand nous faisons une alliance politique. Une vie qui attire à nous de nouveaux partisans, qui garantissent un pôle de stabilité politique populaire durable. Un pôle ou les revendications sociales ne soient pas abandonnées ou reformulées unilatéralement en cours de route dans des négociations secrètes avec le pouvoir macroniste. Un pôle où la revendication de la fin de la monarchie présidentielle votée par la SFIO n’empêche plus le combat pour une nouvelle République. Un pôle où les violences policières subies par le peuple ne soient plus niées, où les grands projets inutiles ne soient plus soutenus en sous-main ou bien ouvertement selon les régions. Un pôle où l’antiracisme soit bien assumé en tous points, la laïcité ne soit pas réduite à un athéisme d’État islamophobe. Une alliance où la défense des droits de la personne humaine et le refus des génocides identifiés par les instances internationales se pratique dans tous les cas.

Nous pensions avoir réglé tout cela par une discussion sérieuse dans nos programmes partagés même si nous déplorions de voir diminuer sans cesse le nombre des objectifs communs. Nous venons de voir la part d’ombres noires qui nous en sépare.

Je note tout cela sans joie. Je sais qu’on me reproche, ainsi qu’aux autres dirigeants insoumis d’avoir « ramené dans le jeu » à deux reprises des partis lourdement discrédités par leurs abandons, propos outranciers et collusions diverses. Ni moi, ni aucun dirigeant insoumis ne sommes des naïfs. Nous avons proposé et fait l’union, à nos frais,  en serrant les dents bien des fois. Nous n’avons aucune illusion sur eux. Leur mode de refus de la candidature d’Huguette Bello nous en a aussi beaucoup appris sur leur façon de voir la France. Mais nous avons tout supporté en pensant à l’objectif. À présent, il en va autrement.

Les comportements qu’ils affichent nous discréditent dans le peuple que nous travaillons à représenter et dont nous voulons garder l’estime conquise. Nous ne sommes pas seulement l’opposition au macronisme mais son alternative. Le contrat du Nouveau Front Populaire doit être revu pour redevenir honnête et assumé à cent pour cent. Cette honnêteté et droiture politique du respect de la parole donnée, nous voulons que ce soit notre marque de fabrique et notre pacte de confiance avec les électeurs. Nous ne nous battons pas pour des places et des postes. Ni pour passer à la télé ou à la radio pour blablater avec des potes de soirées, de promotion et autres. Et le moment politique commande la cohésion dans l’action, la discipline dans l’exécution des manœuvres, le refus de se tirer dans le dos ou d’adopter les insultes de l’adversaire contre les personnes, la solidarité face aux menaces et aux agressions (nous n’irons pas jusqu’à demander la fraternité). Pourquoi ? Parce que nous affrontons déjà le pire, social et politique partout dans le pays et que la bourgeoisie des centres n’a pas l’air de le savoir ! Le pire du chômage, de la maltraitance sociale, de la faim et du froid. Le pire du racisme et des maltraitances autoritaires. Nous voulons tout changer et nous le pouvons si nous proposons une vraie alternative. Pas un arrangement bidon avec un gouvernement déjà détesté. 

La vie politique actuelle, c’est comme au mikado : tout se concentre en un point de blocage. Pour la macronie et les centres, il faut briser le NFP. Non seulement pour être débarrassé d’un danger, mais pour pouvoir domestiquer le RN et le contraindre à un doux pas d’accompagnement dans la compétition pour diriger la droite. Sinon les insoumis lui prennent la main sur le dégagisme du pays. Le surgissement du NFP a déjà coûté à la droite et aux macronistes une défaite électorale, une majorité au bureau de l’Assemblée, deux présidences de commissions parlementaires, deux vice-présidences de l’Assemblée, une procédure de destitution du président de la République bloquée in extremis. Et pour finir, horreur horrible horrifiante, une censure. La première censure en Europe depuis un siècle obtenue par un motion parlementaire d’une gauche radicale ! 

Pour les « dialogueurs » François Bayrou serait une pâte à modeler. Ils commettent une lourde erreur. Ils le croient acquis à eux par nature, par impuissance, par mollesse. Comme s’il était trop inconsistant, pour pouvoir avoir un autre but. Ils ne voient rien. Bayrou n’est rien de ce portrait qu’ils voudraient voir. C’est un guerrier endurant. C’est Bayrou qui a refusé la fin de l’UDF, même tout seul. C’est Bayrou qui a fait Macron en 2017 en le rejoignant quand Macron stagnait derrière la droite traditionnelle ! C’est Bayrou qui leur a ouvert la porte pour papoter et se donner des airs depuis son arrivée à Matignon. Pourquoi ? Il les connaît bien, eux. Ils voient aussi comment ils se comportent avec nous qui sommes pourtant leurs alliés. Il n’a pas confiance, non plus. Il a juste besoin de temps. Mais l’aura-t-il ? Il utilise celui dont il dispose dans une forme et avec une méthode de travail qui est un investissement en toute hypothèse. Voyez son modèle. Henri IV a changé deux fois de religion sans changer lui-même. Il a fini par incarner un camp : celui qui refusait les deux autres camps et leurs violences inépuisables. Lui-même était un violent et un chef de guerre. Mais « ça l’a fait ». Et Bayrou croit que ça marchera encore. Alors, davantage même que du temps, il lui faut construire une image devant l’opinion à conquérir. Une image à laquelle il croit, et pour laquelle le PS, de Hollande et Faure, est en compétition avec lui. Les « macronistes de gauche » dont rêvent les PS, c’est aussi une partie de son objectif. Ils ne le voient pas. Leur arrogance les aveugle sur tout et tout le monde. Dans leur dialogue, Bayrou a le point dans les milieux « modérés ». Pas eux.

Si le RN fait le choix du soutien à Macron le 16 janvier prochain, il ne sera pas tiré d’affaires, mais nous saurons en tirer parti en le présentant pour ce qu’il est : une roue de secours et rien de plus. Mais quinze jours plus tard, ce sera le budget ! Alors ? S’il ne vote pas la censure alors ce sera le soutien sans participation ? En fait, oui. Il n’y a pas de milieu dans ce domaine. Mais il sera obligé de voter la censure à ce moment-là s’il veut rester dans l’opposition. Dans ce cas, Bayrou tombera et il le sait. Il agit en le sachant. Ne le prenez pas pour plus rustique qu’il ne l’est. Nous allons donc pouvoir tranquillement faire payer au Front national le prix fort son soutien au macronisme chez les dégagistes populaires. Car la campagne suivante, celle de l’après Bayrou est commencée.

DERNIERS ARTICLES

Rechercher