Identité moi non plus

Pourquoi ce « débat » sur l’identité française ? Qu’est-ce qui le justifie ? Rien, sinon la volonté d’un gouvernement sans majorité d’en trouver une en draguant sur les territoires les plus nauséabonds de l’extrême droite. 

C’est un prétexte coûteux. Car il porte en lui une brutalisation extrême du débat public. En effet, il touche à l’intime. L’identité est un ressenti personnel qui distingue le « moi » du « non moi ». Tout débat à ce sujet est d’abord une mise au pied du mur de soi-même, pousse au sentiment d’appartenance dans ce qu’il a de plus grégaire et stéréotypé. Mais rien n’est moins naturel que cela en France. En effet, comme on le sait, l’identité française ne tient ni à la langue parlée comme langue officielle, partagée avec 29 autres nations, ni une religion, puisque toutes sont présentes sur notre sol et aussi identifiables que le christianisme en première place d’entre elles et l’islam en second. La couleur de peau non plus, d’autant que les Français des Antilles par exemple sont des compatriotes depuis plus longtemps que ceux de la Savoie et de Nice. 

Nous sommes seuls dans ce cas en Europe. Aucun critère n’institue notre identité, sinon la clause politique qui fonde notre République universaliste. Les Français sont unis par le contrat de la devise de leur République : Liberté, Égalité, Fraternité. Point final. Être Français reçoit une définition simple : être titulaire d’une carte d’identité française. Aucun ajout ni qualificatif supplémentaire ne peut être vrai pour tous et toutes. Pour autant, la vocation universaliste de cette identité est bien incarnée aussi par… la Sécurité sociale, puisque son bénéfice est étendu à tous les cotisants réputés semblables, qui reçoivent alors selon leurs besoins, quand bien même n’ont-ils cotisé que selon leurs moyens. 

Dans ce contexte intellectuel, on mesure l’absurdité de la justification du « droit du sang ». Quelle personne au 21ᵉ siècle peut-elle croire que le sang contient autre chose que des globules ? Au demeurant, le sang ne peut fonder que les quatre groupes sanguins qui nous distinguent. Mais le groupe sanguin d’une personne ne nous dira jamais si elle est Allemande ou Italienne. Le droit du sang est une survivance de l’âge des tribus et des hordes. Il trie. Le droit du sol est celui des cités, où tout le monde votait dès lors qu’on y habitait. Il unit. 

Avoir voulu jouer sur le « sentiment de submersion » c’est à la fois baser un raisonnement sur des émotions et un sentiment d’appartenance indéfinie, là où il faudrait s’en tenir à la raison et aux faits ! Mais c’est aussi propager un sentiment d’exclusive sans tenir aucun compte de la réalité du peuple français. Un sur quatre compte un grand-parent étranger. Donc un quart d’entre nous tous sont des agents de submersion. Et comme quarante pour cent des Français dorénavant parlent une langue étrangère, on devine que la source des histoires de grand-parents n’est pas tarie, bien au contraire. Il y a 66 ans, au temps du premier jour de la Vᵉ République, il n’y en avait que dix pour cent. Mais quarante pour cent des Français parlaient une langue régionale. Aujourd’hui, ils sont moins de 10 % dans ce cas. 

L’identité française ne peut donc être une tradition. C’est une création en évolution permanente. Ce phénomène porte un nom : la créolisation, selon le mot choisi par un compatriote martiniquais, Édouard Glissant, sur le constat des conditions dans lesquelles les esclaves avaient conservé leur humanité niée en inventant une langue commune qui leur permettait de rester en communication entre eux. La créolisation n’est ni le métissage, qui suppose une relation biologique, ni le pluriculturalisme. Elle ne repousse ni l’un ni l’autre, mais elle dépasse tous deux. C’est le phénomène de création collective d’une culture commune et des nouveautés, des interprétations que cela permet. La créolisation est l’expression d’une volonté de vivre ensemble par les mêmes mises en mot ou en musique, et qui cuisine le mélange des marqueurs identitaires.

Le débat pourri sur l’identité fonctionne à l’inverse. Il veut cloisonner. Mais ses prétextes ne doivent pas nous leurrer. Ce qui est en vue, c’est la préférence nationale. C’est-à-dire au bout du compte la différence des droits sonnants et trébuchants comme des allocations. Évidemment, les amis de ces économies de prestations ne semblent pas se rendre compte qu’on ne pourra obliger à cotiser ceux qu’on refusera d’assurer. Cela resterait cependant une logique d’apartheid, c’est-à-dire de développement séparé. Les allocations familiales, en effet, souvent citées, ne sont pas une prime pour les parents, mais une contribution aux frais d’éducation des enfants. C’est donc bien leur développement et leur contribution future au bien commun qui est ici en cause. Et cela au pire moment. En effet, le dépeuplement oblige à être des terres d’accueil ET de mise en commun. 

En toute hypothèse, quoi qu’il arrive, chaque génération est un peuple nouveau qui ne ressemblera ni à la précédente, qu’elle créolise, ni à la suivante, qui la réinterprète. Ce remplacement est de l’ordre de la nature et de la société. Dès lors, retenons bien cela : la France ne sera jamais autre chose que ce que nous en ferons.

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