Entretien avec La Tribune Dimanche publié le 16 février 2025
Le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, estime que le débat sur l’identité nationale n’est “pas tabou”. François Hollande, lui, évoque “un débat inutile”. Vous vous situez dans quel camp?
Je ne prends au sérieux ni l’un ni l’autre. C’est un « débat » odieux. Il n’a pas lieu d’être. Il porte une dimension impensée par certaines élites. C’est la brutalisation intime qu’il engendre. Un Français sur quatre à un grand parent étranger. Nous sommes donc 17 millions d’agents de « submersion migratoire »! C’est d’une violence totale. Je suis dans cette situation et c’est comme cela que je l’ai vécu.
Il ne faut donc pas débattre d’immigration ou d’identité?
Est-ce qu’on débat de la forme républicaine de l’Etat? Non, c’est interdit dans la Constitution. C’est la raison pour laquelle je souhaite inscrire le droit du sol dans la Constitution.
Cette prise de position d’Olivier Faure vous étonne-t-elle?
C’est une bêtise de plus. Il est dépassé. Les mots qu’il emploie sont inadaptés. Il dit que nous sommes une République métissée. Non, pas du tout, ce sont les individus qui sont métissés, pas l’Etat. Il dit que nous sommes une société multiculturelle. Oui et non. Il y a aussi une culture collective. La créolisation dépasse le métissage qui un fait biologique et aussi le pluriculturalisme puisque c’est la production spontanée d’une culture commune.
Vous avez dit lors d’un meeting “oui monsieur Zemmour, il y a un grand remplacement”. Que voulez-vous dire?
Chaque génération est un peuple nouveau car chacune remplace la précédente. L’ immigration c’est aussi, en région parisienne 13 millions d’immigrés venus du Massif central, du Nord, de Bretagne, du Mali, du Maghreb. Rares sont ceux qui sont nés ici. La créolisation est un fait accepté : aimer le couscous ou la cancoillotte, écouter de la musique coréenne, passer dans une rue où toutes les boutiques se donnent un nom en anglais, à qui cela pose problème ?
Gérald Darmanin veut remettre en cause le droit du sol. Vous, vous souhaitez faciliter l’acquisition de la nationalité française?
Ressaisissons-nous : l’ouverture aux autres est un bienfait. Un peu de réalisme ! Il est absurde dans une société en lourd déclin démographique de vouloir être encore moins nombreux ! Les déclarations à l’emporte-pièce pour flatter l’arrogance raciste, c’est une chose. Gérer un grand pays comme le nôtre, nécessite plus de hauteur de vue. Il faut faciliter l’accès à la nationalité française. Proposons-là par exemple aux médecins étrangers. On a besoin d’eux, on les remercie d’être là ! Et cessons par médiocrité de les regarder de haut et de mépriser leurs diplômes. Au total ce « débat » n’est qu’un prétexte.
Un prétexte à quoi ?
A exploiter les sentiments les plus bas pour dresser les gens les uns contre les autres. Le cocktail du racisme et de l’anti-immigration, c’est la Trumpisation au prix d’une lourde fragmentation de notre peuple.
Vous visez Gérald Darmanin ou François Bayrou ?
Spécialement Bayrou. Car il a changé de discours. Pourquoi parle-il soudain d’un « sentiment de submersion migratoire ». Depuis 1987 il a vu comment on est déjà revenu six fois sur le droit du sol. Pour quel résultat ? Mais Bayrou veut à tout prix amarrer à lui l’extrême-droite. Un arc politique réactionnaire est en construction englobant depuis l’extrême droite jusqu’à l’extrême centre. Le RN contamine idéologiquement tous ces gens. Tous savent que notre peuple n’en peut plus des politiques libérales qui détruisent les personnes et la nature. Edouard Philippe n’a aucune chance de gagner des élections en expliquant qu’il veut la retraite à 67 ans. Donc tous vendent quelque chose qui leur paraît plus appétissant : du racisme, de la xénophobie.
Vous dites que François Bayrou est un xénophobe?
Non, pire : un opportuniste ! Il a choisi son nouveau rôle avec la lutte contre la « submersion migratoire ». Car son pacte de non-censure avec le PS c’est pour le vote dans l’hémicycle. Mais ça ne pèse rien dans la société à l’heure du pire budget depuis 25 ans. Il veut donc siphonner à la base de Madame Le Pen.
Vous pensez donc que François Bayrou veut être le candidat du bloc central pour la présidentielle ?
Oui et ce n’est pas nouveau. Cet homme a beaucoup de suite dans les idées. C’est lui qui a fait la victoire de Macron. Il a construit un fort groupe de députés et de ministres. Vous le voyez s’arrêter là? Jamais ! D’ailleurs il a eu son poste en tordant le bras de Macron. Il a un but. Le même que François Hollande et le PS : unir les centres gauche et droit pour se placer au second tour de 2027. Pour lui, périssent l’écologie et le social du moment qu’on flatte la finance en coupant dans les dépenses publiques !
Les socialistes vont défendre mercredi une motion de censure contre François Bayrou sur la question des valeurs après avoir refusé de voter la vôtre. Qu’allez-vous faire?
Nous votons toute motion de censure venant de gauche. Mais, le PS a déjà dit qu’il la retirerait si jamais il y avait une menace que le gouvernement tombe ! C’est lamentable. Le PS a refusé cinq motions de censure et sauvé Bayrou avec un budget où les apprentis et les auto-entrepreneurs sont taxés plutôt que les milliardaires. Quant à nous, on connaît notre but. Faire tomber la macronie qui a volé le vote des Français en juillet et faire gagner le programme des besoins populaires.
Le lien entre les socialistes et les insoumis est-il définitivement rompu après cette séquence budgétaire ?
Nous ne voulons pas être confondus avec leur soutien à Bayrou et Macron. Ce ne sont plus nos alliés. S’ils veulent être des partenaires ce sera dans l’action et s’ils cessent d’aider ce gouvernement à survivre. Nous exigeons la fidélité à la parole donnée aux électeurs.
On n’entend pas la même chose dans la bouche de Marine Tonnelier ou de Fabien Roussel. Vous les classez dans quel camp?
Les députés écologistes et communistes ont voté la censure avec nous. Ils sont donc avec nous dans l’opposition.
Le “tout sauf LFI” s’ancre dans le paysage politique et singulièrement à gauche…Avez-vous un sentiment d’isolement?
Non. Jamais notre implantation et soutien populaire n’ont été aussi forts. Pour l’instant c’est le PS et la macronie qui sont isolés et divisés . Certains moments ont été plus durs que d’autres mais ça ne nous a pas empêché de gagner un million de voix aux européennes. Quelle raison aurais-je de douter? C’est dur, et alors? Ça fait seize ans qu’on nous prédit l’effondrement de notre projet. Mais on est toujours là. Et toujours plus forts.
Deux candidats LFI ont été battus aux dernières élections législatives partielles. Vous n’en tirez aucune conclusion?
Si. Dans deux élections partielles très difficiles nous avons amélioré le score de la gauche. Nos PS et Verts ont perdu plus lourdement les leurs et les macronistes se sont effondrés. Autre conclusion : nous devons tourner la page d’une alliance toxique. On ne peut avoir pour alliés des gens qui ont pour activité principale de nous tirer dans le dos. Je me suis lourdement trompé sur un point : les socialistes n’ont jamais eu l’intention d’être des partenaires. Ils voulaient juste profiter de nous.
Mettez-vous François Hollande et Olivier Faure sur le même plan?
La bataille entre eux nous saoule. Ni l’un ni l’autre n’a de programme ni écologique ni social ni national. Et ils seraient bien mal en peine de dire en quoi consiste le socialisme. François Hollande à la main. Il a retourné tout le groupe socialiste en un an. Ce n’est pas rien. Il est au cœur de la compétition pour le leadership des Centres.
C’est tout de même Olivier Faure qui dirige le Parti socialiste…
Je ne sais pas. Il nous a tout le temps demandé de l’aider à gagner son congrès. François Hollande compte gagner aussi sans nous et contre nous. Ce n’est pas notre affaire tant qu’ils sont là pour sauver Bayrou et Macron.
Laissez-vous totalement de côté l’hypothèse d’une présidentielle anticipée?
La non-censure du PS éloigne cette perspective. Faure et Hollande ont peut-être sauvé Macron.
Vous n’avez pas gagné les paris que vous aviez engagés, ni sur la destitution d’Emmanuel Macron ni sur la chute du gouvernement de François Bayrou…
Et Barnier ? Nous avons un objectif politique : il s’agit de transformer un peuple désorienté, explosé, qui n’en peux plus de privations, en une force politique cohérente. Nous avons fixé nos priorités : les quartiers populaires, la jeunesse, et les défavorisés de la ruralité. Dans ces secteurs nous avançons à pas de géant. L’action aux côtés des intellectuels avec l’Institut la Boétie est aussi un partenariat réussi. Si nous amenons un million d’abstentionnistes à voter, on a gagné ! C’est aussi simple que cela. Dans la politique, il y a une dimension artistique, c’est un art de réalisation.
Vous êtes l’homme politique le plus détesté de France. Comment pouvez-vous vous imaginer réunir 50% dans une élection présidentielle, y compris face à Marine Le Pen ?
A l’Elysée Il y a plus détesté que moi semble -t-il ! Pour ce qui me concerne, compte tenu des performances des sondeurs à mon sujet depuis seize ans, comment y croire ? Et si par hasard c’était vrai, ? Cela ne durera pas. Nous avons déjà retourné d’autres situations ! Notre peuple est plus subtil que la caste médiatico-sondagière. En 2013, un sondage prétendait déjà que j’étais « un boulet pour la gauche ». « Le boulet » est passé à un cheveu du deuxième tour en 2022, cinq fois plus haut que le premier suivant de la gauche « bien aimée »! Et le PS et le PC ont été cloués autour des 2%.
Les attaques du 7 octobre en Israël ont marqué une bascule pour vous. Une partie de la gauche s’est détachée de vous.
Je ne le crois pas. C’est vrai toutefois que nous avons reculé dans ce qu’il reste de gauche dans la communauté juive de notre pays. Hélas elle a été plus largement acquise à la politique de Netanyahu que celle des Etats-Unis. Mais une partie de la communauté française a exprimé avec courage un point de vue indépendant. J’ai confiance dans l’avenir. Là comme dans le reste de la gauche le poids des calomnies contre nous se dissipera sous le vent des combats communs contre l’extrême droite et le racisme. Je reste optimiste.
Marine Le Pen n’est-elle pas plus puissante que jamais?
Elle l’est ! Mais le surgissement de Monsieur Retailleau modifie la donne de la présidentielle. Madame Le Pen est moins assurée d’être au deuxième tour. Il chasse sur les mêmes terres. Pour plein de gens de droite, Bruno Retailleau est plus rassurant qu’elle. Retailleau est la meilleure chance de l’arc réactionnaire, à cette heure.
Serez-vous candidat en 2027?
J’ai dit que je souhaitais être remplacé, Je le souhaite toujours. Nous formons une belle équipe et nous avons des personnes qui sont au niveau de cette ambition, comme Manuel Bompard, Mathilde Panot, Clémence Guetté, Eric Coquerel. J’en oublie. Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura une candidature insoumise. Nous sommes prêts à en discuter avec tous ceux qui viendraient faire équipe avec nous.
Ceux que vous citez sont très jeunes…
C’est sans doute un problème après l’épisode Macron, en effet. Et moi, je suis plus âgé. Ça peut être aussi un problème. Notre force c’est le programme et les presque huit millions de voix qu’il a déjà rassemblé. Et notre unité.
L’envie est-elle toujours présente chez vous?
Cela dépend des jours. Je suis d’abord un intellectuel engagé dans l’action et je le serai jusqu’à mon dernier souffle. Je n’imagine pas la vie, pour des raisons philosophiques, autrement que dans l’engagement. Sur le plan intellectuel, la tournée à l’étranger que j’entreprends pour mon livre traduit en trois langues me fait un bien fou. Je vis dans un pays où l’on me crache dessus trois ou quatre fois par jour à la télé. Et quand j’ouvre un journal, c’est pour y lire des injures. L’acide passe parfois sous l’armure. Mais l’affection populaire que je reçois et le bonheur de voir nos équipes en symbiose avec le peuple me remplit de fierté. Mon but, reste d’être remplacé.
Les Insoumis ont saisi la justice pour “non-dénonciation”, visant François Bayrou dans l’affaire du pensionnat de Bétharram. Le gouvernement vous accuse d’en faire une “affaire politique”. Que leur répondez-vous?
Paul Vannier est dans son rôle en tant que rapporteur de la mission sur le contrôle des établissements privés sous contrat. Personne ne prévoyait la réponse absurde et le déni que François Bayrou a faite dans l’hémicycle à l’Assemblée nationale. Quand il a dit n’être au courant de rien, les bras nous en sont tombés. Tout le monde sait que par la force des choses il était au courant. Nous ne lâcherons pas l’affaire parce que c’est notre devoir. L’omerta n’est plus supportée.
François Bayrou doit-il selon vous démissionner?
Oui, parce qu’il ment! Si le président de la République se moque des élections et que le Premier ministre ne respecte pas l’Assemblée nationale, dans quel régime vivons-nous ? Quel sera le prochain bon plaisir de nos princes ?
Richard Ferrand ferait-il un bon président du Conseil constitutionnel?
C’est devenu une tradition dans ce pays, on dirait : on nomme les anciens présidents de l’Assemblée. Je ne suis pas dupe : Richard Ferrand est le seul qui avait envisagé un troisième mandat du Président de la République et je prends le pari que cette question reviendra bientôt . Madame Vichnievski, Modem, n’est pas plus neutre que lui.! Elle s’est exprimée contre le fait d’envoyer pour leur action les ministres devant la Cour de justice de la République. Je conclus qu’il ne peut rien se passer d’autre dans une taverne qu’une beuverie. Donc il faut passer à la 6eme république et à la Constituante comme dit le premier chapitre de notre programme. C’est la position commune du PCF et de nous depuis 2012 et désormais de Marine Tondelier.
Donald Trump envisage de discuter d’un cessez-le-feu avec Vladimir Poutine, au risque de voir l’Ukraine amputée de son territoire. Vous êtes sur la ligne Trumpiste ?
Je suis surtout amer. L’Europe s’est ridiculisée. Elle a été incapable d’ouvrir une issue diplomatique et elle ne sait pas faire face à un conflit sur ce continent. Et la France a disparu du tableau par des positions aussi irréalistes les unes que les autres… Les Américains vont régler cela en direct avec Monsieur Poutine. C’est le retour de l’impérialisme américain… sans les sécurités de la guerre froide.
Donald Trump envisage un départ des Palestiniens de Gaza pour en faire “une riviera”. Emmanuel Macron juge cela “extrêmement dangereux”. Etes-vous aligné sur le Président?
Donald Trump est odieux ! Il fait la voiture-balai de Monsieur Netanyahou : après un génocide, on a une purification ethnique. Où va-t-on comme ça? Il faut reconnaitre l’Etat palestinien pour construire la paix.