Non ! La guerre, même décarbonée, n’est pas écolo !

Quel moment tourbillonnant ! On parle de paix à l’est et la France se cramponne à des conciliabules de préparation de guerre. Et cela sans formuler dans la discussion de paix la moindre exigence de sécurité pour elle-même ou sa région. On parle de guerre commerciale déclarée et d’annexion de territoires annoncées par Trump comme le Groenland et le Canada mais la France n’en dit pas un mot et n’en parle nulle part… Double contre sens. Dans ce moment absurde le débat public semble pourtant pouvoir exister. J’en visite ici quelques contradictions en discussion. 

J’ai du respect pour les déclarations de Dominique de Villepin d’une façon générale. Même si à l’évidence nos thèses et programmes divergent comme c’est prévisible entre droite et gauche. Ce jeudi matin, à France inter, il était comme d’habitude soucieux d’argumenter et c’est ce qui le rend intéressant. Mais je dois aussi dire qu’il m’a déçu sur deux points affirmés précisément parce qu’ils ont été assénés sans démonstration. Et pour cause. Dire qu’on ne peut plus être non aligné au motif que ce serait une idée des années 50 ou 60 est une très pauvre affirmation sans aucune évidence qui la dispense d’être prouvé. Car, tout de même,  nous sommes au moment où de nouveau tentent de se constituer des pôles antagoniques, des « camps » (USA- Chine et peut-être Europe). Le non-alignement doit sans aucun doute être reformulé dans des termes nouveaux, mais il reste un point de vue incontournable pour mobiliser de nouvelles dynamiques de regroupements dans le monde. Le programme insoumis appelle cela « altermondialisme des causes communes » de l’humanité. Ces causes communes visent à la fois les « nouvelles frontières » comme l’Espace, la Mer et la toile numérique mais elles reviennent le plus souvent aussi sur les dossiers des biens communs de l’humanité de façon plus générale. Le second point et non le moindre est son idée d’après laquelle le développement de l’industrie d’armement contribuerait à la décarbonation globale parce qu’on ferait attention à produire dans de meilleures conditions ! Je dois dire que nous avons relu à plusieurs le script pour être sûr de sa déclaration. Je la désapprouve absolument. Mais surtout je voudrais montrer que, pour le coup, c’est là se situer dans l’état d’esprit des années 50 ou 60 pour ce qui est de la formulation de la question écologique. 

Car il y a une face cachée dans les conflits militaires en cours et dans ceux qui menacent. En arrière-plan de toutes les postures, il y a les intérêts matériels. S’emparer des sources de richesse est la cause numéro un du franchissement militaire des frontières autant que les solidarités ethniques mises à mal par des gouvernements brutaux. Mais la dimension impériale de l’agressivité guerrière à notre époque se complique du surgissement des motifs écologiques générales de conflits. À côté de la course aux terres rares, au gaz et au pétrole qui reste le fond de scène le plus ordinaire, il y a dorénavant les questions de l’accès à l’eau, des famines liées aux sécheresses, de l’épuisement des ressource halieutiques d’une zone côtière ou même l’élévation du niveau des mers. La façon avec laquelle de telles questions deviennent des sources de conflits varie d’autant évidemment. Mais l’essentiel est là : si l’on veut abaisser le niveau des causes de conflits, la question écologique ne peut plus être contournée. Par exemple, dans la montée en tension entre Russie et Ukraine il y a eu aussi la décision ukrainienne de couper l’approvisionnement en eau de la Crimée. L’une des premières mesures de l’occupation russe du Donbass fut la réouverture du canal assurant la circulation de l’eau. Dans ce même conflit l’enjeu de la catastrophe nucléaire va de même. 

D’une façon générale, la question écologique a fait irruption dans les causes de guerre et cela va s’amplifier. La racine des problèmes écologiques est dans le changement climatique. Contenir ce changement et organiser la capacité des sociétés humaines à dominer leurs conséquence est à nos yeux la priorité. La répartition des moyens de financement que cela suppose est incompatible avec le discours va-t-en-guerre. Le « en même temps » ne fonctionne pas surtout si l’on veut « en même temps » contenir la dépense publique et faire la guerre à tout va par des commandes militaires massives.

Mais le raisonnement vaut à l’échelle du monde. Les dépenses militaires mondiales sont de 2400 milliards par an. C’est exactement la somme nécessaire pour passer à 100% d’énergies renouvelables en 2050. C’est l’Agence internationale de l’énergie qui le dit. La remarque vaut aussi pour la « défense européenne ». Elle coûte actuellement 300 milliards par an. C’est, une nouvelle fois, exactement la somme pour passer au 100% énergies renouvelables en toute souveraineté d’ici 2050 toujours selon l’Agence internationale de l’énergie, organe de l’OCDE. La réattribution des budgets militaires est donc un impératif écologique si l’on veut faire face au problème soulevé. Elle l’est de deux façons. D’abord comme moyen de faire diminuer les risques d’escalade et donc de guerre. Et elle permet de financer la bifurcation écologique. Mais le délire des huit cents milliards de dépenses militaires supplémentaires décidé par l’Union européenne n’a conduit aucun parti strictement écolo à dénoncer le coup de bluff que contient cette décision. Alors qui va se soucier des comparaisons qui fixent le sens de cette somme ? Pourtant ce budget, c’est quinze fois celui de la Politique agricole commune indispensable pour aller vers l’autonomie alimentaire du vieux continent. C’est soixante-trois fois le budget européen de la recherche pourtant indispensable pour ouvrir les portes des techniques du futur. De même les cent milliards par an en France pour la défense annoncés comme un idéal par le ministre Sébastien Lecornu :  c’est quatre fois et demie le budget de l’écologie, trois fois le budget français de la recherche et une fois et demie celui de l’Éducation nationale. Cette hiérarchie budgétaire des priorités est insupportable !

Je reviens sur le cadre des discussions dont nous voulons reformuler les prémices. Je l’avais fait dans ma précédente note en interpellant les militants écologistes d’EELV sur le rapport entre la guerre d’Ukraine et les enjeux de sécurité nucléaire. J’y reviens sur le thème de la nécessité d’abaisser les causes de guerre. Mais pourquoi EELV a-t-il rallié la cause inconditionnelle de la guerre contre la Russie ?

L’écologie est un sujet global. Bien sûr, et heureusement, son exigence n’appartient à aucun parti puisque pratiquement tous en sont porteurs aujourd’hui. Mais certes de façon bien différente. En particulier les partis définis par le seul paradigme écologiste, pendant longtemps seuls en scène et jouant un rôle fondateur, ont beaucoup évolué. La plupart sont devenus « réalistes ». C’est-à-dire ralliés à l’économie de marché. Et à toutes ses conséquences concrètes. Et cela  jusqu’aux plus ultimes comme la guerre. Du coup en contre-point dans nombre de pays émerge une écologie radicale qui à son tour stimule la réflexion et contraint l’autodéfinition des autres organisations dans le champ politique. C’est évidemment le cas du mouvement insoumis en France. Il lui revient alors de porter seul (non par choix) la cohérence d’un discours anticapitaliste étendu à tous les aspects du vivant et de la civilisation humaine en particulier. La guerre, activité spécifiquement humaine, s’inscrit comme objet de réflexion à l’intérieur de cet ordre de pensée critique. Il y a une écologie politique de la guerre et nous en assumons l’exigence intellectuelle.

Mais l’avenir de l’humanité n’est pas de saison semble-t-il actuellement. Après les kilomètres d’article sur le sujet du réchauffement climatique il y a tout juste un mois, tout danger semble écarté dans la mémoire des poissons rouges médiatiques. Le thème reviendra à la mode quand les plateaux de télé verront faiblir les audiences sur les délires guerriers. D’ici là, le rôle des insoumis dans le combat pour la paix est de bien rester calé sur le refus argumenté de la guerre. Ni Trump, ni Poutine : la paix ! Ce sera une des raisons de la marche du 22 mars prochain.

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