Le calendrier peut être une mèche longue pour les événements explosifs. Une coïncidence de trop et boum ! Ainsi, la révolte rurale des éleveurs se déploie depuis plus d’une semaine. Elle va se conjuguer avec la réunion du Conseil européen où va se décider le ralliement sans condition au traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. La France a demandé le report de la décision. Ursula von der Leyen a dit non. La France ? Où c’est ? Qui c’est ? Le Danemark a eu le dernier mot, soutenu par les pays de l’est qui se gorgent des subventions payées par l’excédent de cotisations françaises. Comme dans le passé quand ils divergeaient d’avec la France, nos « amis allemands » ont regardé ailleurs pendant que se reformait la coalition anti-française déjà soudée par les exploits de Macron dans un passé proche. Ici, le dégât dépasse les bornes ordinaires de l’humiliation devenue désormais habituelle, en Afrique, en Asie et en Amérique du Nord quand on est Français sous la présidence Macron. Car la décision sur le Mercosur oblige le monarque présidentiel à se découvrir. Pour ou contre le traité ? Aucune des clowneries habituelles n’est possible. L’épisode de « l’adhésion sous conditions » et autres clauses de sauvegarde et « ultimes négociations », ces bobards pour faire passer l’accord avec le Canada ne sont plus possibles. La grand-messe de la signature est attendue en fin de semaine. Et Ursula von der Leyen compte bien figurer avec d’autres sur la photo des chefs d’État signant le document qui condamne l’agriculture paysanne à la fin de son histoire en Europe. La France était une nation souveraine et auto-suffisante en agriculture. Cette année, pour la première fois depuis soixante ans, elle sera importatrice nette.
Tel est le bilan de l’Union européenne en agriculture. Et celui des dirigeants du monde agricole français des trente dernières années. Les partisans de l’abattage total, ceux qui ont laissé toute la production française de vaccins partir à l’étranger rajoutent cette médaille à leur palmarès. Et le monarque est au pied du mur. Et mal lui prendrait de faire celui qui ne sait pas ou qui invente des dérivatifs. Car sur l’accord UE-Mercosur, la France a parlé. Clair et net. L’Assemblée nationale a tranché sans aucune ambiguïté : elle a dit « non » à l’accord UE-Mercosur. Un vote unanime des députés ! Unanime veut dire que pas une voix ne s’est élevée pour combattre le rejet. Pas une n’a voté contre la résolution insoumise de rejet. L’Assemblée a voté. Cela signifie en démocratie que l’unanimité des députés, c’est celle de la France. De quel droit Macron dirait-il autre chose ? Le texte adopté rejette tout arrangement, « clauses miroirs », « clauses de sauvegarde » et autres subterfuges pour faire passer le breuvage toxique de l’agriculture néolibérale.
L’accord UE-Mercosur s’articule parfaitement avec la crise de la Dermatose nodulaire contagieuse (DNC). Pour l’agro-business, le commerce doit pouvoir continuer et le marché mondial reste sa priorité. Son accès reste l’impératif absolu. Les gros agrariens des plaines fertiles arrosées de subventions n’ont rien prévu, rien organisé. Ils restent le nez dans le guidon de leurs bonnes affaires, dont l’abattage total est un point de passage obligatoire pour mériter les bonnes notes et les droits d’exportation. Les mêmes raisonnements qui ont ruiné l’industrie, l’innovation et les activités manufacturières atteignent leur optimum en agriculture. Sept millions de paysans en 1945 ne sont plus que quatre cent mille aujourd’hui, dont une bonne part travaille plus dur que n’importe où ailleurs. Et ceux-là vivent dans une épidémie de pauvreté et de tracas telle que chaque jour quelqu’un du métier met fin à ses jours. Mais le marché mondial est là. Il reste l’horizon indépassable. Chacun y aura sa chance, promettent les démagogues libéraux. Les secteurs de production, l’un après l’autre s’écroulent. Mais le jour se lève chaque matin et la routine de la destruction finit par paraître naturelle. Et soudain : boum !
En quelques heures, on parle « d’émeutes rurales » comme hier « d’émeutes urbaines ». Un immense fossé est comblé par ce mot. D’aucuns veulent encore noyer tout le monde dans la même folie collective irraisonnée des « émeutes ». C’est « l’autre ruralité ». Pas celle décrite la même semaine par le Nouvel-Obs et le manifeste de la « social écologie » transformé en manifeste mondain par l’hebdomadaire. Les paysans coursés de nuit sous les grenades assourdissantes et les lacrymos ont vécu le sort commun de tous les relégués de cette société. Depuis l’été dernier et les mois qui l’ont précédé, la députée insoumise Mathilde Hignet, ouvrière agricole, avait alerté et fait un tour de France des zones rurales agricoles. Plusieurs d’entre nous avaient été sollicités par la coordination du mouvement pour aller sur le terrain parler de près. J’étais allé en Franche-Comté avec la députée insoumise Aurélie Trouvé, ingénieure agronome (entre autres) sur un site de production de Comté. Cette filière est un modèle de bon sens et de collectivisme productif bien pensé. Il s’agissait pour nous de montrer qu’une autre organisation du métier est possible, basée sur des normes exactement contraires à celles du néolibéralisme agricole. Quand le mouvement DNC a explosé, tout le groupe parlementaire Insoumis avait donc vécu une préparation collective appuyée par les députés insoumis des diverses régions agricoles. Ainsi, Manon Meunier et Christophe Bex, présents de longue date dans le vécu agricole, ont donc été aussitôt présents sur le terrain aux côtés des éleveurs. Le groupe parlementaire a rallié leur prise de position et s’est groupé autour de la question d’actualité au gouvernement présentée par Manon Meunier. À présent, nombre d’insoumis, là où ils sont, se sont engagés en soutien à l’action, répondent aux appels lancés par les responsables paysans et appliquent les consignes qui sont données. Sans faire d’esbroufe, chacun prend sa part. Comme d’habitude, le but est de donner un coup de main utile. Rien de plus mais rien de moins. Là encore, l’intérêt bien compris du pays est que les paysans arrivent à secouer le cocotier et parviennent à faire reculer les politiques néolibérales sur le terrain. Le reste se fait tout seul. Les milieux ruraux paisibles découvrent la violence policière et comprennent après coup tout ce que nous avons dénoncé. Les discussions sur le fond sont déjà courantes dans le milieu. Dans ces circonstances, elles gagnent en profondeur sous le feu de l’expérience vécue. Les militants présents dans le travail de solidarité gagnent de l’estime et les parlementaires du respect.
Mais tout cela n’efface pas le cœur du sujet. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi la vaccination de masse n’a-t-elle pas été possible ? Pourquoi ne l’est-elle toujours pas alors qu’elle est nécessaire pour faire de l’abattage sélectif ? Pourquoi la circulation des animaux hors des zones contaminées a-t-elle pu continuer ? Comment mettre en place un confinement local efficace pour éviter l’abattage ? Et comment ne pas attendre plus longtemps pour mettre en place une politique de recherche et développement pour les vaccins et engager leur production de masse en France ?
Moment de panique ? Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, répond aux courriers que lui envoient les syndicats mécontents du vote de son groupe en faveur de la loi de finances de la Sécurité sociale. Il est vrai que le vote des Verts et du PS en faveur du projet gouvernemental sont très mal vécus dans les syndicats fondateurs de la Sécurité sociale. Mais la présidente reprend dans sa réponse mot pour mot l’argumentaire du gouvernement pour faire pression sur les députés. Cela sur le mode de l’absurde, comme le fit en son temps Elisabeth Borne osant affirmer que les cartes vitales cesseraient de fonctionner si un vote favorable n’intervenait pas. Curieux de la part d’une présidente de groupe qui avait prouvé jusque-là une certaine prudence et refusé l’alignement de principe sur les demandes du PS et de ses nouveaux amis gouvernementaux. Donc les syndicats écrivent. Ils lisent la réponse. Et parfois ils répliquent aussi à ce qui leur est dit.
Ainsi la CGT Finances, après avoir rappelé qu’elle avait appelé à voter pour les candidats NFP, proteste. Et le syndicat demande un vote « contre » au retour devant l’Assemblée du texte de loi :
« Par un vote favorable ou une abstention sur le PLFSS 2026 le mardi 9 décembre 2025, certains groupes ou membres du NFP, n’ont pas pris en compte le monde du travail qui avait pourtant choisi de leur faire confiance, notamment en avalisant la retraite à 64 ans, au prétexte d’une suspension provisoire de quelques mois pour une partie de la population de notre pays, alors que des millions se sont mobilisé·es pendant plusieurs mois pour l’abrogation de cette contre-réforme, soutenu.es par 80% de la population.
Ces votes avalisent également une nouvelle économie suicidaire en matière de budget de l’hôpital public, de nature à plonger ce pilier de la santé de notre pays dans une misère encore plus importante que celle qui n’est plus à démontrer aujourd’hui.
Le mardi 16 décembre, le PLFSS va revenir devant l’Assemblée nationale pour une ultime lecture, en vue de son vote définitif. Par leur combat dans la campagne électorale, les militant.es de la CGT Finances Publiques, avec des agent.es des Finances Publiques, ont conduit à votre élection sur les bases sociales de ce programme. Elles et ils ont soutenu le programme de NFP car porteur de valeurs de progrès social défendant, entre autres, les emplois et les missions de la DGFIP.
C’est dans la perspective du prochain vote sur le PLFSS que nous nous adressons à vous : si les votes d’abstentions se transforment en votes contre, nous pourrons faire échec à la destruction de la DGFIP et de la fonction publique en portant le programme auquel ont adhéré les travailleurs et les travailleuses. »
Après la réponse gouvernementale du groupe Vert, des syndicats répliquent. Ainsi FO des Employés et Cadres des Organismes de Sécurité Sociale et Allocations Familiales de la Région Ile-de-France :
« Madame la Présidente,
Nous avons pris connaissance de votre réponse et des éléments que vous avancez pour justifier votre abstention sur le PLFSS 2026. La Chambre syndicale des employés et cadres FO de Sécurité sociale et Allocations familiales d’Île-de-France tient cependant à exprimer un désaccord clair et profond avec l’analyse proposée.
Sur le plan budgétaire, nous refusons l’idée selon laquelle un PLFSS insuffisant vaudrait mieux que l’absence de PLFSS. Un budget construit en-deçà des besoins réels n’est pas une protection, mais l’officialisation d’une austérité durable. L’écart entre l’ONDAM voté et l’évolution naturelle des dépenses de santé condamne les hôpitaux, les établissements médico-sociaux et les organismes de Sécurité sociale à absorber seuls l’inflation, la hausse des charges et la pénurie de personnels.
La reconduction d’un budget par douzièmes provisoires ne saurait être présentée comme l’unique scénario catastrophe, alors même que le vote d’un PLFSS insuffisant acte la poursuite de la dégradation du service public de santé et de protection sociale.
Vous indiquez aussi que certaines mesures particulièrement pénalisantes ont été écartées du texte. Nous rappelons toutefois que leur retrait du PLFSS ne constitue en rien une garantie pérenne pour les assurés sociaux. Le recours aux décrets est une réalité politique que nous connaissons bien.
Aussi, à titre d’exemple, nous pouvons vous citer le décret relatif à la dissolution du Service du Contrôle Médical, décret paru en juin 2025 alors que le Conseil constitutionnel l’avait censuré du LFSS 2025.
Nous pouvons aussi vous citer le décret du 20 février 2025 qui a fait passer le plafond maximal de l’indemnité journalière à 1.4 fois le SMIC au lieu de 1.8 auparavant.
Comment croire à cet argument de mieux vaut ça que rien dans un contexte où le gouvernement via le premier ministre a annoncé vouloir poursuivre les attaques contre la Sécurité sociale via la proposition de mettre en place une Allocation sociale unique.
Aussi, en laissant passer le PLFSS 2026, vous acceptez :
- Que les assurés les plus précaires soient pénalisés via la remise en cause de l’ALD et l’exclusion de la prime de noël pour celles et ceux qui n’ont pas d’enfants.
- Qu’une chasse aux sorcières soit menée contre les assurés en arrêt maladie.
- La poursuite des réductions d’effectifs à la Sécurité sociale et l’éloignement des assurés, allocataires et pensionnés de leurs centres de sécurité sociale.
- Que les agents de la Sécurité sociale qui sont à 80% du personnel féminin ne bénéficient pas d’augmentation de salaire.
- Que les parents soient pénalisés financièrement via le report de la majoration des Allocations familiales.
- Que les bénéficiaires d’une complémentaire santé paient la facture liée à l’augmentation de la taxation des complémentaires santé.
- Qu’il y ait une santé à deux vitesses.
- Que les étudiants soient exclus du bénéfice des APL au motif qu’ils seraient étrangers.
Nous tenons à aussi à préciser une chose essentielle pour nous, madame la présidente. La Sécurité sociale concerne tous les assurés et leurs ayants droits et non que les Français comme vous l’avez écrit.
Il est important de rappeler cela dans le contexte actuel et nous vous renvoyons à l’ordonnance du 19 octobre 1945 et son article 5 qui prévoit que les assurés étrangers ont les mêmes droits que les assurés français.
Avant 1995, la Sécurité Sociale fonctionnait sans avoir son budget voté par les parlementaires et elle s’en portait bien.
Le rejet du PLFSS 2026 ne remettra donc aucunement en cause son fonctionnement. La preuve étant le fait que les budgets 2026 sont actuellement votés dans les caisses nationales et organismes locaux.
Pour la Chambre syndicale FO, la responsabilité politique consiste à refuser les logiques de renoncement, à ne pas valider des budgets qui organisent le sous-financement chronique et à s’opposer à toute remise en cause des droits des assurés, qu’elle prenne la forme de franchises, de décrets ou d’exclusions déguisées des ALD. »
À voir si les Verts vont au devant des syndicalistes devant l’Assemblée le jour du vote.
CHILI. Je dois dire ici mon amertume au vu du résultat de l’élection présidentielle au Chili. L’extrême droite des héritiers politiques du dictateur Pinochet a fait élire régulièrement son candidat à la présidence du pays. Comment en est-on arrivé là ? J’aurais à dire. Le moment venu, on fera le bilan de « l’esprit d’apaisement » des forces politiques rassemblées dans une union du centre droit démocrate chrétien et du centre gauche PS nommée « concertation ». Puis celui d’une « gauche alternative » vivant de la peur commune des fascistes et tétanisée par eux. Cette prudente « gauche alternative » amie des compromis et autres balivernes démoralisantes et désorganisantes. Dans le moment ma peine éclate en silence dans mon esprit.
Pinochet est mort dans son lit. Sa junte a duré de 1973 à 1990, avec un bilan effroyable. Cela signifie officiellement près de 38 000 personnes torturées, plus de 3 200 disparues et assassinées. Et plus de deux cent mille personnes contraintes à l’exil dans le monde entier. Pendant dix-sept ans, l’opposition, les peuples autochtones et les mouvements syndicaux ont été surveillés au plus près et sauvagement réprimés au moindre mouvement. Évidemment, les partis politiques de gauche ont tous été interdits. Et avec l’aide d’économistes envoyés par les Etats-Unis, Pinochet fait du Chili le laboratoire où ont été testées pour la première fois la panoplie des recettes du néolibéralisme. Et maintenant, ses partisans gagnent l’élection présidentielle à la loyale. Ils gagnent cette élection menée dans le cadre de la Constitution que Pinochet avait imposée et que les gauches ont été incapables de changer en trente ans.
Ombres des amis qui ont péri sous les coups, les tortures, les exécutions, visages qui sourient dans nos mémoires de luttes en commun, êtes-vous morts pour rien ? Et même pour moins que rien, quand rien ne change et que cela se paye du déshonneur d’une telle défaite ? Demain j’aurai moins mal, c’est certain. Mais cette défaite est plus grave qu’un événement politique. Un monde vacille en moi. Je ne pourrai jamais oublier. Ni le crime initial, ni les morts, ni les vivants coupables de cet abaissement.