Sur l’Union européenne, le discours de Marine Le Pen est devenu des plus conciliants pour ses traités et ses institutions. Elle explique que son but est d’être une « alternance en Europe » : il n’est donc pas question de changer le cadre. Au fil du discours, elle confirme que son parti, contrairement à la « France Insoumise », n’a pas l’objectif de sortir des traités européens. « Tout se fera dans la négociation, dans le respect des règles juridiques, institutionnelles et diplomatiques » précise-t-elle pour que chacun comprenne que son nouvel objectif est de s’inscrire dans le cadre européen actuel. Faut-il comprendre qu’avec elle au pouvoir, la France ne désobéira pas unilatéralement pour cesser d’appliquer la directive travailleurs détachés ? Qu’elle accepterait l’autorisation du glyphosate pour 5 ans supplémentaires ? Le Pen débite donc une version liftée de « l’autre Europe », proposée à chaque élection depuis 30 ans par le Parti socialiste. Ce tournant européiste est confirmé par l’inclusion sur sa liste, à la troisième place, de Thierry Mariani. Cet ancien député a notamment voté en 2008 pour le Traité de Lisbonne que le peuple avait rejeté par référendum deux ans plus tôt. À l’extrême-droite, on peut donc afficher sur la scène d’un meeting le slogan « le pouvoir au peuple » et mettre en avant une personnalité qui a trahit sans difficulté une décision populaire aussi importante.
Pour donner corps à cette nouvelle ligne, elle met en avant ses alliés qui gouvernent dans d’autres États européens. Matteo Salvini, vice Premier ministre italien, est cité plusieurs fois. Drôle d’exemple. Le gouvernement auquel il participe a fini par capituler face à la Commission européenne sur son budget, après avoir fait mine de résister. Pour rentrer dans les clous des traités budgétaires, il a sacrifié les mesures les plus redistributives, qui venaient du mouvement 5 étoiles : le projet de revenu minimum a été divisé par six, les retraites ont été désindexés de l’inflation et les investissements publics ont été divisés par trois.
L’allié autrichien, le FPÖ, qui gouverne en coalition avec la droite, est aussi pris comme modèle. Sur le plan social, le principal fait d’arme de ce gouvernement est d’avoir augmenté le temps de travail autorisé à 12 heures par jour et 60 heures par semaine. Quant à Orban, en Hongrie, il fait face à un mouvement de contestation d’ampleur contre une loi surnommée par les ouvriers hongrois « loi esclavage ». Elle augmente le nombre d’heures supplémentaires autorisées par an de 250 à 400. Cela représente l’équivalent de 50 journées de travail en plus par an, soit la suppression de fait d’une journée de repos hebdomadaire. Surtout, elle permet de payer ces heures de travail trois ans après qu’elles aient été effectuées. Le tout est fait pour satisfaire les demandes de l’industrie automobile allemande, fortement implantée en Hongrie.
Dans ces conditions, comment croire, nonobstant quelques phrases creuses sur les règles budgétaires ou le libre-échange, que le Rassemblement National et madame Le Pen représentent le débouché logique des gilets jaunes aux élections européennes ? Ne sachant que dire des sujets mis sur la table par ces derniers, Marine Le Pen est revenue dans son discours à ses fondamentaux : une vision ethnique de la communauté politique et paranoïaque de l’immigration. Elle déclare : « Notre Europe est multimillénaire. Elle est riche de son héritage chrétien ». Elle entre donc en contradiction totale avec la tradition française de défense d’une identité politique fondée uniquement sur la citoyenneté et absolument laïque.
Les passages les plus applaudis de son discours sont ceux les plus grossièrement anti-migrants. Ses enthousiastes sont peu regardant. Car si elle dit vouloir rétablir les frontières nationales elle affirme aussi vouloir conserver en même temps Frontex, l’agence européenne de garde-frontières. Cette Europe-là lui convient. Elle prévient : « avec nous, l’Aquarius n’abordera pas les côtes européennes », confirmant que sa politique migratoire consiste à laisser les gens se noyer. Voilà qui devrait faire réfléchir les commentateurs qui croient voir des convergences entre nous et l’extrême-droite. Nous avons toujours défendu l’honneur de l’Aquarius. Lors du débat sur le budget à l’Assemblée nationale, nous avons défendu un amendement pour que l’État français débloque les fonds qui lui manquaient. Ce jour-là, les députés lepénistes et macroniens furent coalisés pour empêcher notre proposition d’être votée. Le tandem fait mine de s’affronter pour mieux se compléter.