Les grandes entreprises américaines du numérique sont les championnes pour contourner le paiement des impôts qu’elles nous doivent. Il faut dire que l’architecture de l’Union européenne les y aide beaucoup. L’Europe accepte en son sein parmi les pires paradis fiscaux, comme le Luxembourg. Ses traités interdisent toute restriction aux mouvements de capitaux, désarmant ainsi les États contre les tricheurs. Dans ces conditions, truquer ses résultats pour échapper à l’impôt est un jeu d’enfant pour les multinationales. Ainsi, Airbnb n’a payé en 2017 que 161 000 euros au fisc français soit l’équivalent de 30 centimes d’euros pour chaque logement proposé sur son site. Apple paye en tout et pour tout 50 euros d’impôts en Europe chaque fois qu’elle y réalise un million d’euros de bénéfices. Quant à Amazon, son montage avec le Luxembourg lui a permis pendant des années de ne rien payer sur les trois-quarts des bénéfices qu’elle réalisait en Europe. Et ainsi de suite.
La solution rationnelle face à ce problème consisterait à harmoniser vers le haut les taux d’impôt sur les sociétés dans l’Union européenne. Mais les traités européens imposent l’unanimité pour toute décision en matière fiscale et subordonnent d’éventuelles mesures d’harmonisation à l’application du dogme de la concurrence libre et non faussée. La Commission a donc fait une proposition a minima et bizarre pour la taxation des Gafa. L’idée était de rajouter une taxe en plus pour ces entreprises qui s’appliquerait sur leur chiffre d’affaire. Cette proposition est officiellement soutenue par la France. Bruno Le Maire l’a plusieurs fois défendue allant même jusqu’à déclarer à l’Assemblée nationale que sa non-adoption constituerait un « échec » pour l’Union européenne.
Mais cette posture combattive n’a pas empêché le ministre de l’Économie de chercher à tout prix un compromis avec l’Allemagne. C’est que le gouvernement Merkel est très hostile à cette taxe. Les Allemands craignent des représailles de la part des États-Unis, dont sont issues les entreprises voleuses, contre leur industrie automobile. Le secteur automobile représente 20% de l’activité industrielle de l’Allemagne et 25% des exportations allemandes aux États-Unis. 90% du marché américain des automobiles de luxe est occupé par des constructeurs allemands. En décembre 2018, Bruno Le Maire a en donc été réduit à présenter un piteux compromis franco-allemand. La taxe que nos deux pays proposent désormais officiellement au reste de l’Union européenne ne verrait pas le jour avant 2021. Elle ne s’appliquerait plus au chiffre d’affaire mais seulement aux revenus générés par la vente de publicité en ligne. Des entreprises comme Apple, Amazon, Airbnb ou encore Uber ne seraient donc pas concernées.
Mais même dans une version aussi édulcorée, cette taxe a très peu de chance d’aboutir au niveau européen. L’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg sont toujours bien décidés à bloquer le projet. Finalement, quelques jours après l’allocution de Macron du 10 décembre, Bruno Le Maire annonçait qu’en l’absence d’accord au niveau européen, il présenterait un projet de loi en France. C’est exactement ce que les Insoumis lui proposent de faire depuis novembre 2017, à travers des amendements à l’Assemblée nationale : agir au niveau national sans attendre. Mais il aura fallu la pression populaire des Gilets Jaunes pour que le gouvernement se décide.
Le projet de loi en question a donc été présenté devant le conseil des ministres le 6 mars. Il s’agit d’une taxe à trous, bien insuffisante pour rétablir une juste imposition des multinationales. Il s’agit d’une taxe de 3% sur le chiffre d’affaire pour des entreprises dont le chiffre d’affaire est supérieur à 750 millions d’euros au niveau mondial et 25 millions d’euros en France. Commençons par dire que taxer le chiffre d’affaire d’une entreprise n’a aucun sens économique. Certaines entreprises font peu de profits avec un très gros chiffre d’affaire, d’autres l’inverse. Surtout, ces multinationales trichent aussi sur le chiffre d’affaire qu’elles déclarent. Les deux filiales d’Apple déclarent en France un chiffre d’affaire de 800 millions d’euros quand pour Attac leur chiffre d’affaire réel est d’au moins 4 milliards d’euros. Et comme le gouvernement continue de supprimer des postes d’agents du fisc, les tricheurs pourront continuer leurs montages sans être inquiétés. Enfin, cette nouvelle taxe ne concernera que les entreprises du numérique. Aucune inquiétude, donc pour MacDo qui détourne pourtant des milliards via le Luxembourg. Au final, l’économiste Gabriel Zucman, spécialiste des paradis fiscaux estime que le projet de Bruno Le Maire est susceptible, dans le meilleur des cas, de récupérer un dixième de l’impôt détourné par les multinationales.