Le mouvement des « gilets jaunes » a pris un contenu révolutionnaire dans la mesure où il a posé la question de l’exercice du pouvoir politique. C’est ce qu’exprime l’appel à la démission du président de la République qui retentit chaque semaine dans les rues de façon si peu courante dans notre pays. Mais c’est aussi la montée des revendications d’extensions démocratiques. La réponse d’Emmanuel Macron est à coté de la plaque. Il n’a pas pris la mesure du fait que sa stratégie du pourrissement a un coût pour lui. Elle augmente le niveau auquel se règlent les questions posées. Il croit habile de refiler en douce des bricolages institutionnels issus du projet de révision constitutionnelle que nous avons vu échouer à l’Assemblée nationale en juillet 2018. Rien de neuf. Absolument rien. Dans ce qu’il propose, rien ne redonne le pouvoir si peu que ce soit au peuple. Au contraire, si ses projets cette fois réussissent, ils accompagneront et accéléreront la dérive autoritaire du régime.
Il n’y aura pas de référendum d’initiative citoyenne. Même au niveau local, Macron refuse le RIC. C’est la principale information de cette allocution présidentielle. La macronie a décidé de camper sur ses positions de mépris et de peur face à la question du besoin d’intervention populaire dans le fonctionnement des institutions. Les « gilets jaunes », comme le programme « L’Avenir en commun », proposaient que ce droit puisse s’exercer pour abroger une loi, en proposer une ou révoquer un élu. Ces propositions avaient été également présentée sous forme de proposition de loi dans la niche parlementaire des insoumis et avant cela en amendements dans le débat du texte constitutionnel.
Pour le reste, il y a l’abaissement des seuils pour la procédure dite du « référendum d’initiative partagée ». Un leurre. Cette invention de Sarkozy est un autre moyen d’éviter l’intervention du peuple souverain dans ses affaires. En effet, même lorsqu’une proposition de loi recueille assez de signatures de citoyens et de parlementaires, l’organisation d’un référendum n’est pas automatique. Elle n’intervient que si l’Assemblée nationale n’examine pas la proposition dans un délai de 6 mois. Délai dans lequel elle peut très bien la rejeter sans autre forme de consultation ou de vote populaire.
Le reste des propositions sont le réchauffé du projet de loi constitutionnelle que l’Assemblée nationale avait commencé à discuter en juillet dernier. Le pouvoir avait dû reculer pour cause d’affaire Benalla. Son objectif essentiel était d’affaiblir le Parlement afin d’ôter toute limite au pouvoir présidentiel. Aller vers une monarchie présidentielle absolue en quelque sorte. Ainsi, la réduction du nombre de parlementaires est un trompe l’oeil. Elle est faite en apparence pour répondre au sentiment dégagiste. Mais son effet essentiel est d’affaiblir la représentativité des députés. Surtout, elle entraine un redécoupage des circonscriptions à la main de l’Élysée. L’affaiblissement des oppositions nous inquiétait il y a un an. Mais c’était avant le raidissement oligarchique du pouvoir au fil des 23 dernières semaines. C’était avant les 2200 blessés, les 23 éborgnés et les 5 mains arrachées. Avant les arrestations de journalistes et leur interdiction de couvrir les prochaines manifestations. Avant l’acharnement judiciaire contre des opposants. Autant dire que la concentration supplémentaire des pouvoirs sur le président dans ce nouveau contexte a de quoi faire peur.
Macron ressort aussi son « pacte girondin ». Là encore, ce n’est rien de nouveau. On en reste au contenu de sa révision constitutionnelle à l’arrêt depuis cet été. Le but est de créer des collectivités locales « à la carte » et de permettre des lois locales dérogatoires à celles votées au niveau national. Le résultat de telles idées est connu : c’est la compétition entre les collectivités et une course vers le bas. On imagine bien la concurrence malsaine qui s’exercerait du moment que l’on donnerait aux collectivités la possibilité d’édicter leur propre loi sur les domaines sociaux ou environnementaux. Par ailleurs, c’est en contradiction totale avec les principes républicains d’unité et d’indivisibilité de la loi. La loi est, dans la tradition républicaine, l’expression de la volonté générale du souverain : le peuple. Celui-ci n’est pas réductible à une addition de communautés, eussent-elles un fondement géographique. Dans la Nation, l’égalité de tous devant la loi prévaut. Qu’on soit à Marseille, à Lille, à Brest ou à Strasbourg, on est soumis à la même loi car on appartient au même peuple. Comment un principe aussi elementaire et aussi fondateur pourrait-il être remis en cause sans autre forme d’interrogations sur ses fondements ni sur son impact sur la forme républicaine de notre État ?
La souveraineté est justement l’enjeu central de la période. Reprendre le pouvoir sur sa vie, sur notre pays, sur les institutions politiques et économiques : c’est au fond la revendication centrale du peuple. C’est d’ailleurs la question des élections européennes. Les modalités précises pour atteindre cet objectif ne peuvent pas dépendre du bon vouloir du monarque ou d’une petite partie seulement du peuple. Bien sûr, la France insoumise, en tant que mouvement politique en a proposé : référendum révocatoire, reconnaissance du vote blanc ou encore intervention des salariés dans les décisions économiques. Mais l’instrument essentiel du peuple pour se refonder est la convocation d’une assemblée citoyenne constituante dans le but de remettre à plat toutes les règles du fonctionnement de la démocratie dans notre pays. Tel est le sens du passage à la sixième République. Ce n’est pas une affaire de numéro mais une question de fond sur l’identité républicaine du pays.