Dans la campagne présidentielle de 2017, j’avais tenu meeting à Lyon pour aborder le thème des nouvelles frontières de l’Humanité : la mer, l’espace, la toile internet. Ces thèmes entrent à présent assez bien dans le débat public. La toile y est de plain-pied sous la forme des batailles contre la toute-puissance des GAFAM. La mer est devenue un thème récurrent de nombreux champs d’expression politique ou scientifique publics en relation avec le changement climatique et la lutte contre la plastification des océans. Mais l’espace reste encore le grand méconnu de la politique. De mon côté, je n’ai pas cessé de m’intéresser à l’exploration et aux activités spatiales. L’exploration spatiale a d’ores et déjà amené sur terre beaucoup de bienfaits. Elle a contribué à des avancées majeures dans les domaines de l’imagerie médicale ou des matériaux. Elle a également permis le développement des ordinateurs modernes et de nouveaux services comme la téléphonie mobile, les prévisions météorologiques ou le guidage GPS.
Et la politique là-dedans ? Elle existe. Elle se manifeste sous la forme de traités internationaux dont le contenu exprimait une pensée formidable : l’humanité est un tout et l’univers ne doit appartenir à personne en particulier. L’occupation de l’espace par l’humanité a donc longtemps été encadré par des règles écrites dans un traité international. Il s’agit du traité de l’espace de 1967. Il établit les principes de l’exploration spatiale. Le premier d’entre eux est la liberté d’accès des États. L’espace est un lieu sans frontières. N’importe quel État, du moment qu’il a les capacités technologiques, y a les mêmes droits que tous les autres. Ensuite, le traité pose le principe que tout ce qui est dans l’espace, les ressources naturelles, les astres sont Res nullius. Cela signifie qu’elles n’appartiennent à personne. Le traité interdit pour un État ou une entité privée de s’arroger une ressource stellaire. Enfin, il fait de l’espace une zone démilitarisée en interdisant le déploiement d’armes nucléaires ou d’armes de destruction massives en orbite et proscrivant tout usage des corps célestes à des fins militaires.
Aujourd’hui, ces principes qui font de tout ce qui se trouve au-delà de notre atmosphère un bien commun sont mis à mal. Évidemment, l’appât du gain fait son œuvre. Cela signifie que les États-Unis sont ici encore en embuscade comme chaque fois qu’il s’agit de faire de l’argent à n’importe quel prix. En 2015, le congrès américain rompt unilatéralement une première fois le traité de 1967 en votant le Space Act. Dans cette loi, ils autorisent leurs entreprises privées à explorer, extraire et vendre les ressources spatiales. C’est un viol du principe de Res nullius que je viens d’évoquer. Ils sont suivis un an plus tard par… le Luxembourg. Le Grand-duché croupion s’est doté d’une nouvelle règlementation en 2016 pour autoriser les entreprises minières installées sur son territoire à exploiter des ressources spatiales. Rien de moins. De paradis fiscal, ce petit État, sans aucune capacité technologique propre, se rêve désormais en paradis spatial. Aussitôt, des compagnies malsaines se sont intéressées à une localisation de leurs activités dans ce paradis fiscal qui promet de garantir leurs rapines spatiales.
Ce n’est pas tout. En plus de la commercialisation de l’espace, les États-Unis et d’autres grandes puissances engagent aussi sa militarisation. Depuis une décennie, on assiste à une véritable course aux armements dans l’espace. Le 27 mars 2019, l’Inde a fait la démonstration de sa capacité à abattre un satellite dans l’orbite basse avec un missile tiré depuis la terre. Trois autres États en sont capables : la Chine, la Russie et les États-Unis. Mais cette technique reste assez dangereuse pour la puissance qui l’utilise. Les débris qu’elle provoque peuvent endommager son propre matériel. Depuis quelques années, on remarque aussi la présence de petits objets hostiles autour des installations spatiales indispensables à l’armée comme les satellites de télécommunications ou de cartographie. Les dirigeants de l’armée française ont déclaré en 2016 que les États-Unis, la Chine et la Russie disposaient de telles capacités.
La réponse de la France à cette évolution inquiétante fut la création par Macron d’un commandement de l’espace. Pour l’instant rattaché à l’armée de l’air, cette structure transitoire doit aboutir à terme sur un État-major de l’espace de plein droit. Il est bien clair que face à l’armement des autres puissances, nous devons être capables de nous défendre et donc à la hauteur en termes technologiques. Cependant, cela ne signifie pas que nous devons encourager cette évolution et pousser à la militarisation de l’espace. Or, cette nouvelle organisation porte en elle une fuite en avant. Pour l’instant en violation des traités antérieurs, l’espace est un lieu utilisé pour appuyer les batailles sur terre. En organisant publiquement la présence française dans cette dimension, nous acceptons que l’espace devienne un champ de bataille à part entière.
La France est une puissance spatiale. C’est le deuxième budget par habitant du monde pour la recherche et l’exploration spatiale. La fusée Ariane est le lanceur de satellite le plus fiable du monde et nous possédons sur notre sol la base de Kourou. Nous devons, au contraire de ce que fait Macron, mettre cette puissance au service d’une politique qui défend les principes qui font de l’espace un bien commun. En ce moment à l’ONU, des négociations ont lieu pour réécrire le traité sur l’espace. Nous devons y défendre les principes de non appropriation des ressources spatiales et de démilitarisation. Nous avons bien d’autres choses à faire là-haut. Des projets qui nécessitent au contraire de la coopération internationale : dépollution de notre orbite ou travailler à un vol habité interplanétaire.
Ce qui est certain, c’est que la suite de l’aventure de l’humanité dans l’espace est en train de s’écrire. Il n’est pas question d’être naïfs et de tenir une position destinée à être dépassée par les évènements et les autres protagonistes. La France est une puissance et son devoir est de se déployer dans toutes les directions de l’épopée humaine. Mais c’est à nous d’être le porteur de la mémoire de l’Histoire quand il s’agissait d’occuper le territoire terrestre. La conquête militaire et le saccage des ressources naturelles et culturelles ont donné des fruits trop vénéneux pour qu’on oublie les causes qui les ont produits. Il faut être capables de penser l’humanité comme un acteur de l’Histoire et comme un projet qui, pour se construire concrètement, a besoin d’horizons communs désirables. Il en va ainsi avec les batailles écologistes. Il en va ainsi avec la conquête de l’espace.