La corruption néolibérale est la conséquence logique de l’appropriation privée de l’Etat. Dans cette forme de capitalisme, l’accaparement, par toutes les méthodes, de la sphère publique par quelques intérêts privés est une façon courante pour le capital d’ouvrir de nouveaux marchés, de faire de nouveaux profits. Une partie de l’accumulation primaire recyclée à l’infini dans la bulle financière provient du démantèlement de l’Etat social. Il est donc normal que l’accès à ceux qui dirigent l’Etat, fonctionnaires et élus, soit devenu une activité aussi importante et vitale pour les capitalistes modernes. On le voit par exemple en mesurant la part du patrimoine des milliardaires proches du pouvoir politique ou dont l’activité dépend de l’accès à des ressources contrôlées par l’Etat. Entre 1996 et 2014, il a augmenté partout dans le monde pour atteinte 33% du patrimoine total des milliardaires du Liban ou 20% en Europe.
La corruption n’est donc pas, contrairement à un préjugé, réservée à des contrées lointaines, étranges ou périphériques. Elle ronge au cœur du capitalisme mondial et donc en France. La publication récente d’un rapport l’a montré de façon éclatante. Le 9 janvier 2020, le Groupe d’Etats Contre le Corruption (GRECO) a rendu un jugement sévère sur notre pays. Ce groupe d’experts qui analyse les politiques étatiques pour lutter contre la corruption et formule des recommandations dépend du Conseil de l’Europe (un organisme indépendant de l’Union européenne). Son rapport est passé largement sous les radars des médias français. En effet, il est au vitriol contre notre gouvernement en général et contre les habitudes prises sous Macron en particulier. Le bilan de son action est accablant. Seules 35% des recommandations du groupe pour lutter contre la corruption sont mises en œuvre intégralement par Macron.
Le rapport cite dans son introduction le cas emblématique de l’affaire Benalla, des passe-droits et des protections dont il a bénéficié, de son usurpation de la fonction de policier ou des liens qu’il entretenait avec des hommes d’affaires étrangers quand il travaillait encore à la présidence. Il vise d’ailleurs directement le cabinet de la présidence de la République comme étant l’un des lieux les plus opaque de l’Etat en matière de corruption. Pour ses auteurs, « le cabinet de la Présidence n’est pas exempt de risque de corruption » et il faudrait par conséquent soumettre les collaborateurs à des règles de déontologie et de transparence. Des règles, qui n’existe pas pour le moment.
Les experts du conseil de l’Europe citent explicitement la pratique du « pantouflage » comme étant génératrice d’une corruption importante. Pour ceux qui ne le savent pas, ce mot désignent des élus ou des hauts-fonctionnaires qui passent dans des fonctions dirigeantes de grandes entreprises privées, emportant avec eux leur carnet d’adresse. Puis, éventuellement, revenant ensuite dans l’Etat et effectuant ainsi plusieurs allers-retours. Banale en macronie, le rapport juge très sévèrement cette habitude : « les allers-retours entre les secteurs privé et public sont de plus en plus fréquents et peuvent donner lieu au délit de prise illégale d’intérêts ». En clair, le pantouflage conduit à un pillage permanent de l’Etat et à la construction de privilèges toujours de plus en plus extravagants. C’est une grave atteinte à l’esprit républicain. Pourtant, Macron n’a rien trouvé de mieux que de l’encourager avec enthousiasme. Dans sa réforme de la fonction publique, il a diminué les prérogatives de la commission de déontologie en cas de départ d’un haut fonctionnaire vers le privé. Il ne se cache pas non plus de vouloir recruter de plus en plus les dirigeants des administrations publiques sous la forme, non de fonctionnaires titulaires, mais de contrats temporaires. C’est-à-dire recruter aux manettes de la grande machine de l’intérêt général, des mercenaires.
L’influence des lobbys est aussi pointée du doigt par le rapport du groupe d’experts du Conseil de l’Europe. Les obligations de transparence sont en la matière très faible pour les membres de l’exécutif français. Quant à celle de rendre des comptes, elle est inexistante. Lorsque ce sont les ministres qui sollicitent des réunions avec des lobbys des multinationales, personne n’a aucune obligation de le déclarer. Quant au contenu de ces réunion, contrairement aux recommandations du Conseil de l’Europe, il n’y a aucun moyen pour les citoyens d’en avoir connaissance. On ne sait donc jamais d’où viennent, de quelle réunion avec quel lobby voire de quelle faveur accordée viennent telle ou telle lubies néolibérales. Jamais, sauf quand c’est trop gros pour qu’on ne le devine pas. Comme par exemple dans le cas de la réforme des retraites. Ce projet favorise grossièrement les fonds de pension qui vont pouvoir vendre beaucoup plus de plans de retraites par capitalisation. Comme par hasard, on découvre que le haut-commissaire qui la portait était aussi membre d’un conseil d’administration dans un institut du monde de l’assurance privée. Et que le président du plus grand fond de pensions du monde, BlackRock, a rencontré, à huis-clos Emmanuel Macron dès son élection. Ou encore que le président de la branche française de ce même fond de pension fît partie du conseil d’experts qui conseillait le gouvernement sur la réforme de l’Etat.
Les auteurs du rapport abordent ensuite le cas des conflits d’intérêts. Dans ce domaine également, ils constatent qu’il n’y a rien pour les limiter : « il n’existe pas de mesures visant à interdire, à proprement parler, la détention d’intérêts financiers par les hauts responsables publics » écrivent-ils. En effet, ces dernières années regorgent d’exemples de ce type. Ainsi, l’ancienne ministre de la culture de Macron, Françoise Nyssens, était en même temps responsable des subventions aux maisons d’édition et elle-même propriétaire d’une maison d’édition. Le secrétaire général de l’Elysée en personne est soupçonné de corruption passive et de prise illégale d’intérêts pour avoir peut-être avantagé une entreprise dont il a été le directeur financier et dont la cofondatrice est de sa famille dans le dossier industriel STX. Les différentes formes de corruptions pointées par le rapport, lobbying, pantouflage ou conflits d’intérêts illustrent bien l’enjeu central de la corruption : dépecer l’Etat et ses immenses ressources tournées vers l’intérêt général pour en faire des machines à fric.
Ces habitudes de non-respect pour l’Etat républicain, de ses règles, de sa vertu nécessaire en haut de la hiérarchie offrent un spectacle dont les mauvaises habitudes « ruissellent » sur les agents de base. La corruption se développe alors d’autant plus dans des secteurs où les puissants sont prêts à offrir l’impunité aux petits… Le rapport cite à ce sujet la police. C’est l’autre secteur, avec l’exécutif, étudié par le rapport. Là encore, il note le décalage total entre les moyens déployés pour lutter contre la corruption dans ce corps et son importance. En effet, la lutte contre la corruption dans les forces de police est confiée à un service de l’IGPN. On imagine le résultat. Les auteurs ne peuvent comme nous que constater les énormes violations de la confidentialité des informations auxquelles ont accès les policiers. Et la faiblesse des sanctions.
Ce rapport émanant d’une institution comme le Conseil de l’Europe devrait sonner comme une alerte pour la France. Il faut sortir la tête du sable, arrêter de faire l’autruche. La corruption est, aussi chez nous un mal endémique. Elle constitue pour une caste détachée du reste de la société un ensemble de méthode systématiques, récurrentes et banalisées de vol de l’Etat. Un coup de balai ample et profond s’impose pour nettoyer l’Etat des pratiques qui le détruise. Les insoumis y sont prêts. Ils ont fait de très nombreuses propositions à l’Assemblée nationale pour mettre fin au pantouflage et bannir les lobbys de nos institutions. D’ailleurs, le jour venu, il faudra aussi créer une commission chargée d’examiner les différentes privatisations des décennies passées pour déterminer qui s’est enrichi indûment dans ces épisodes.