Le Premier ministre a tourné autour du pot en réponse à la question de la droite parlementaire : « Oui ou non comptez vous avoir recours au 49.3 », lui a demandé Damien Abad, le président de ce groupe qui parlait le premier. « Pas tout de suite » a répondu le Premier ministre. J’en déduis que la semaine prochaine sera le moment décisif.
D’ici là, les marcheurs multiplient les incidents et cherchent à en provoquer. « Toi ferme là » vocifère hors d’elle une collègue qui s’est approchée à deux mètres d’Alexis Corbière. Puis « je vais t’en mettre une tu vas voir » poursuit l’exaltée. « Chiche » lui réplique Bernalicis venu en renfort. Ambiance. S’il en est ainsi c’est qu’ils savent que le débat n’a plus de sens parce qu’il va être écourté bientôt. La rage les égare. La plupart d’entre eux n’a aucune experience d’une joute verbale prolongée, ni d’un débat parlementaire. Et le commandement hésite sur la stratégie à suivre. Les marcheurs dérivent au fil de l’eau les yeux dans le vague en attendant le bon port de la fin des débats anticipée.
D’ici là la comédie continue. C’est parfois un jeu de rôle. Souvent il tourne aux dépends de ceux qui le jouent. Exemple : la majorité LREM a choisi un pauvre refrain de pleurnicherie « les insoumis sont responsable du blocage ». Mais à peine dit et voici déjà les gros malins pris à rebours : ce lundi soir, ce sont « Les Républicains » qui tiennent la tranchée en harcelant le pouvoir pendant deux heures et demi, c’est-à-dire presque toute la séance de nuit. L’après-midi n’avait pas été meilleur. Les députés de la majorité ont été convaincus que le 49.3 étaient imminent. Du coup ils multipliaient les interventions et les vociférations.
Il en résulta une interminables séries d’incidents de séance. La perte de temps fut considerable. On ricanait à s’etouffer sur nos bancs en observant les mouvements des bourgeois apoplectiques gonflés d’indignation. Jusqu’au ridicule. Ainsi quand le gouvernement retire un alinéa par scrutin public pour le rétablir ailleurs dans le texte également par scrutin public. Une manœuvre qui coûte une demie heure supplémentaire. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une promesse impossible à tenir : un plan pour augmenter les salaires des enseignants afin de leur garantir une retraite égale à celle qu’ils touchent aujourd’hui. Une telle promesse dans une loi ordinaire est inconstitutionnelle. Cet article sera censuré le moment venu. Mais d’ici là, pendant les municipales, le régime pourra se vanter de l’avoir promis.
Au total, le pilotage des marcheurs est dans le fossé. J’ai reçu en cadeau la liasse des arguments internes LREM pour le débat. Quoiqu’ils disent on a donc un coup d’avance. Impossible pour eux de nous prendre par surprise. L’amusant est de les voir recommencer les figures rhétoriques prévues par leurs paroliers. On arrive alors à juger de la capacité d’improvisation de chacun d’entre eux en repérant ceux qui se contentent de lire mot à mot.
Les éléments de langage de LREM prévoient de pilonner les Insoumis. Pour cela ils doivent citer moqueusement nos amendements, qu’ils soient de dénigrements ou d’humour. En fait, ces amendements de forme nous servent à défendre nos idées sur le fond. Chacun peut s’en assurer en regardant nos vidéos où en suivant les travaux. Que voudraient les députés de la majorité ? Que nous « améliorions le texte ». C’est impossible puisque nous voulons le faire retirer. Du coup les macronistes versent de grosses larmes de crocodiles sur la terrible obstruction parlementaire dont les méchantes oppositions les accablent. Nous ne nous laissons pas impressionner par ces pleurnicheries : elles sont juste un moyen de préparer les esprits au 49.3.
Car la bataille parlementaire que nous menons n’est pas de l’obstruction. Nous faisons seulement notre travail de députés d’opposition radicale à cette réforme des retraites : nous combattons pied à pied le projet de loi. Notre objectif est qu’il soit retiré. Les grandes guerres d’obstruction parlementaire connue dans l’histoire de la cinquième République ne ressemblaient pas à ce que nous vivons aujourd’hui.
En 2006, sur le projet de loi de privatisation de GDF, plus de 137 000 amendements avaient été déposés. Les députés de 2020 sont vraiment très raisonnables avec leurs 41 000. Les seuls députés communistes en portaient 43 0000 : le double des amendements des Insoumis sur les retraites. Quant aux socialistes, ils avaient mis en discussion 93 000 amendements. On voit bien que nous sommes loin aujourd’hui de ces chiffres. Quant au record de durée des débats, nous en sommes encore loin. En 1983, le gouvernement de Pierre Mauroy avait présenté une loi pour limiter la concentration de la propriété dans la presse. Quelques parlementaires de droite avaient alors fait durer, à coups de manœuvres dilatoires, les débats pendant deux mois, soit 166 heures.
L’essentiel est que nous débattons sur le fond. Toutes nos interventions portent sur le contenu du texte. Certes, nous abordons dès le début des sujets qui sont traités par les derniers articles. C’est la conséquence de la menace du 49.3 : nous savons que la fin du projet de loi ne sera peut être pas débattue. Nous en avons déjà fait l’expérience en commission spéciale où En Marche a refusé de prolonger les discussion pour que nous puissions aller jusqu’à l’article 65. Mais au moins nous parlons du projet de loi. Ce n’est pas le cas des macronistes qui consacrent au moins la moitié de leurs prises de parole à se plaindre de l’opposition. Lundi soir, la présidente de la séance, vice-présidente de l’Assemblée Les Républicains leur a suggéré « d’arrêter de perdre du temps à intervenir pour dire qu’on perd du temps ». En vain.
Mais surtout, ce que les macronistes passent sous silence, c’est tous les amendements des Insoumis censurés avant même de commencer à discuter. Parmi ceux-ci, beaucoup portaient sur nos contre-propositions. Nous voulions bien sûr défendre la retraite à 60 ans avec 40 annuités dans l’hémicycle : ces deux amendements ont été déclarés irrecevables. Même sort pour celui qui proposait qu’aucune pension ne soit en dessous du seuil de pauvreté. Nos solutions de financement basée sur la redistribution des richesses ont aussi été directement à la poubelle. Nous n’avions pourtant pas été gourmands : nous demandions un simple rapport sur les recettes supplémentaires aux caisses de retraites induits par des hausses de salaire.
La liste ne s’arrête pas là. On n’aura pas le droit non plus de discuter de maintenir les hauts salaires dans le régime par répartition, contrairement à ce que fait Macron, ou réintégrer les critères de pénibilité supprimés par Pénicaud en 2017. Au total, le verrouillage fonctionne d’après une technique en deux étapes. D’abord, nos amendements sont déclarés irrecevables. Ensuite, les marcheurs nous reprochent de ne pas avoir de propositions. Sinon ils nous reprochent de ne pas avoir de solutions et l’instant d’après ils nous jettent à la figure ce qu’ils jugent aberrant dans notre contre-projet.
La vérité est que la discussion parlementaire n’est pas ralentie. Elle avance à un rythme normal, et non pas plus lentement de ce qui est l’habitude du débat parlementaire. Depuis le début de la semaine, 75 amendements ont été examinés chaque heure. C’est plus d’un par minute ! En fait, si nous continuons sur cette lancée, la lecture du projet de loi durera en tout entre 5 et 7 semaines. Cela n’a rien d’extravagant : moins de deux mois pour étudier une loi qui concerne 312 milliards d’euros gérés par la solidarité entre travailleurs. Le gouvernement et la majorité vont devoir trouver d’autres arguments. L’utilisation du 49.3 ne peut pas se justifier par les excès de l’opposition. D’abord il n’est pas fait pour ça. Son objet est de mettre la majorité au pied du mur. Ensuite, l’opposition ne fait en l’espèce pas d’excès. Elle fait son travail : elle s’oppose. Lui refuser ce droit, c’est de l’autoritarisme. Multiplier les injonctions à se comporter comme ceci ou comme cela, vouloir dicter aux oppositions leurs sujets sous la menace de leur interdire le débat à coup de 49.3 c’est déjà l’odeur du totalitarisme.