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Le nouveau texte sous 49.3

Bien sûr en voyant les députés LREM s’énerver et nous provoquer dans l’hémicycle on comprenait qu’ils voulaient une ambiance pour préparer les esprits. Mais on voyait aussi que le désaccord existait dans leurs rangs. Certains nous faisaient des confidences sur le sujet. On décida de continuer notre travail sans forcer. On a donc adapté notre comportement. Pas de répliques, pas de montée en conflits. On a vu cependant que la fraction dure de LREM était prête à aller loin. Le marquage dont nous avons fait l’objet dans l’hémicycle et la montée de la grossièreté de ces trois derniers jours étaient suffocants. Et on trouvait dans les médias des déclarations inquiétantes. Le point faible des marcheurs est qu’ils lisent des éléments de langage. Souvent deux ou trois d’entre eux débitent au mot près les mêmes formules. Loin d’être des habitudes de militants, puisqu’ils ne le sont pas et n’ont souvent aucune culture politique, ces éléments une fois repérés permettent de deviner ce qui se trame. Ici les indices étaient d’abord dans cet article du Monde en date du 26 février. « “L’idée est de dépasser le record d’heures passées dans l’Hémicycle avant de constater l’impossibilité d’adopter le texte sans 49.3”, explique l’un de ses collègues. » 

Puis ce fut un mot pour mot dans la déclaration du président du groupe LREM, Legendre, le 27 février à France Inter : « “En début de semaine prochaine, nous battrons le record de durée d’un débat parlementaire pendant la Ve République. Jamais nous n’aurons siégé autant. À l’heure où nous nous parlons deux articles ont été voté. Il en reste 63″, a-t-il indiqué. » 

Autant de grossiers mensonges, c’est certain, mais c’est leur répétition qui nous alertait. Vers 13 heures le samedi ce fut le président du groupe Modem qui invitait le gouvernement à « prendre ses responsabilités ». À 17h30 Edouard Philippe arrivait à l’Assemblée. Le 49.3 était déposé. Mais on ne réalisa pas de suite le clou de la situation.

Dès dimanche j’ai publié une note rapide pour alerter. Le gouvernement invoque l’article 49.3 sur un texte que les parlementaires n’ont jamais eu à disposition. En effet, ce n’est pas le même texte que celui dont il a interrompu la lecture par son coup de force. 181 amendements le modifient. Il demande donc à l’Assemblée nationale d’adopter sans vote un texte que les députés n’ont jamais vu. Un parlementaire qui se respecte ne devrait pas accepter un tel procédé. 

Non content de ce bras d’honneur à la représentation nationale, le régime l’utilise de surcroît pour nourrir sa propagande. L’intégration d’amendements à son texte serait la preuve de son ouverture, de son écoute et de sa disponibilité au débat. Les modifications apporteraient « des amélioration substantielles » pour « prendre en compte la pénibilité, lisser les transitions, ou améliorer l’emploi des séniors ». Prendre le Parlement pour son paillasson devient alors un « acte d’apaisement ». C’est la novlangue habituelle qui accompagne l’autoritarisme du pouvoir Macroniste. 

Car, bien sûr, il n’y a aucune amélioration. Au contraire, les éléments ajoutés à la loi auraient provoqué de notre part de vifs débats dans l’hémicycle s’ils avaient été là depuis le début. Commençons par dissiper la fable selon laquelle le pouvoir aurait pris en compte des amendements des députés de l’opposition. « De tous les groupes sauf de la France insoumise » précise Laurent Pietraszewski dans « Les Echos ». Les méchants sont désignés mais la ficelle est un peu grosse. Surtout que dans le détail, les concessions faites aux groupes parlementaires n’en sont pas. Les UDI voient retenus des amendements qui demandent la rédaction de rapports sur l’emploi des séniors ou la possibilité d’ouvrir la réversion aux couples pacsés. Ça ne mange pas pain. En vérité, près des deux tiers des amendements ajoutés proviennent du gouvernement ou des rapporteurs. Et la moitié de ceux qui restent viennent de la majorité. 

Aucune ouverture donc. Aucune avancée non plus, on s’en doute. Sur la pénibilité, le gouvernement promeut un système cynique. Il ne garantit un départ plus tôt que pour les salariés exposés pendant leur carrière à des facteurs de pénibilité, y compris ceux qu’il a supprimé en 2017. À la place, il propose une visite médicale obligatoire à 55 ans. Il faudra alors qu’une incapacité de plus de 10% soit constatée et son lien avec l’exposition à des facteurs de pénibilité au travail prouvée pour avoir le droit de partir en retraite… 5 ans plus tard ! Le droit à la retraite à 60 ans, mais seulement quand le corps est déjà cassé. Il va sans dire que cette non prise en compte de la pénibilité ne nous convient pas. Si nous avions pu en débattre en séance, nous aurions au contraire défendu une prise en compte de la pénibilité grâce à des critères définis par les organisations syndicales et ouvrant automatiquement des droits. 

Voyons maintenant en quoi consiste « l’amélioration du texte » sur l’emploi des séniors. Là encore, il ne s’agit en aucun cas d’une avancée. Le nouveau texte que le gouvernement va faire passer sans vote étend le dispositif « retraite progressive » aux fonctionnaires. De quoi s’agit-il ? Il s’agit de salariés qui continuent de travailler à temps partiel après avoir atteint l’âge de la retraite et touchent en même temps une petite partie de leur pension. Les salariés qui le font, est-ce par plaisir ? Non, évidemment par nécessité : s’ils s’arrêtaient complètement, leur pension moyenne serait inférieure au seuil de pauvreté. Pour les employeurs, c’est une aubaine : cela leur permet de transformer les vieux en main d’œuvre pas chère, précaire, subventionnée par la sécurité sociale. Un tiers est payé moins de 500 euros par mois et la moitié moins de 1000 euros. Étendre cela aux fonctionnaires n’est en rien un progrès. C’est plutôt la preuve que la réforme va considérablement faire baisser leurs pensions, au point qu’ils seront obligés de rester au travail pour survivre. 

Il y a aussi 7 ordonnances qui sont transformées en articles de loi rédigés. Pourquoi le faire maintenant que les députés ne peuvent plus examiner le détail ? Et pourquoi seulement 7 sur les 29 ? On ne le sait pas. Le pouvoir n’a pas besoin de se justifier. L’ordonnance sur les fonctionnaires de la « catégorie active » qui pouvaient partir plus tôt en retraite a par exemple été détaillée. Les personnels soignants qui bénéficiaient de cela vont le perdre et voir leur âge légal de départ décalé à 62 ans.  En revanche, d’autres ordonnances ont été « enrichies » et devraient alerter certaines professions. Ainsi, les conditions de licenciement des danseurs et danseuses de l’Opéra font maintenant partie du champ d’une ordonnance. De même que les cotisations des notaires. 

En définitive, le gouvernement ajoute à l’autoritarisme des stratagèmes grossiers et déloyaux. Son but est, dans le fracas provoqué par son acte inouï, de passer inaperçu certaines dispositions. Les insoumis ne tombent pas dans le panneau. Le régime doit comprendre que, quoi qu’il fasse, il trouvera toujours en face de lui une opposition inépuisable. 

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