Intervention de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée nationale le samedi 21 mars 2020 dans le cadre des débats sur les mesures liées au coronavirus. Le président du groupe « La France insoumise » a appelé à mettre tout le monde à contribution à proportion de ses moyens et donc à rétablir l’ISF pour faire face à la crise sanitaire. Il a aussi appelé à faire les réquisitions et nationalisations nécessaires pour assurer la production des biens dont nous avons besoin pour affronter le coronavirus (masques, oxygène, etc.).
Voici la retranscription de cette intervention. Seul le prononcé fait foi.
« Nous mesurons le poids des responsabilités qui sont sur vos épaules, Monsieur Edouard Philippe. Devant votre conscience, devant tous ceux qui sont impactés par vos décisions – et cela vaut pour tous ceux qui ont des décisions à prendre, en tous lieux et en toutes circonstances, et ce jusque dans chaque chambre d’hôpital où le personnel sanitaire est appelé à prendre des décisions.
À eux tous, et à vous, nous ne nous contenterons pas de vous dire : « Bon courage ! ». Nous voulons vous assurer que nous serons toujours au rendez-vous de l’intérêt général. Nous sommes une opposition, et nous le resterons, politique. Mais nous pratiquons cette opposition sans acrimonie, avec vigilance et exigence. Souvenons-nous, tout le temps, que la liberté de conscience et l’esprit critique sont des lumières pour les décisions à prendre, plutôt que des embarras.
En ce moment, nous savons que le pic et devant nous. Il nous reste 8 à 10 jours pour atteindre ce qui, pour l’instant, est prévu comme un maximum. Ce que nous avons à faire dans l’intervalle est assez clair : le confinement, les gestes barrières ont pour objectif de ralentir l’expansion d’une contamination qui, pour le reste, est inéluctable. Ralentir pour que n’arrive pas le point de saturation des équipements hospitaliers. C’est dans cet objectif que nous luttons. Empêcher cette saturation.
Et, pour cela, tous les moyens, sans barguigner doivent être mobilisés de gré ou de force. La mobilisation et l’extension de la réserve sanitaire. La réquisition publique de tous les moyens de santé privés, la nationalisation des entreprises défaillantes. Comme par exemple Luxfer à Clermont qui produit des bouteilles d’oxygène à usage médical. Que son actionnaire a décidé de fermer tandis que la CGT et les personnels se sont déclarés disposés à la remettre en route pour reprendre immédiatement la production.
Nous avons besoin d’une planification, Monsieur le Premier ministre, qui dissipe les rumeurs. D’une planification de la production de millions de masques, de respirateurs et de tests – pour peu qu’on se soient mis d’accord sur la nature de ces tests et qu’on le fasse vite. Il n’y en aura jamais trop, car quand nous en aurons fini avec les besoins des Français, il nous faudra courir à la rescousse des autres peuples et je pense spécialement à tous ceux de l’espace francophone.
Il faut une sécurisation de la situation sociale des gens, de leur salaire, de leur logement, de leurs fournitures de base, pour qu’ils consentent à la discipline à laquelle ils sont appelés. Enfin, qu’on impose les réunions de personnels sur les lieux de travail avec les syndicats. Oui, qu’on impose car eux sont les meilleurs experts pour savoir quels sont les bons gestes sanitaires qui permettent de continuer la production et l’échange dans les conditions optimales de sécurité personnelle. L’unité d’action de notre peuple est le moyen essentiel dont nous disposons dans une situation de péril commun.
Monsieur le Premier ministre, cette discipline et cette unité n’est pas acquise sur ordre. Pensez, Monsieur le Premier ministre, à la force des symboles. Que nous soit refusée la suspension, même temporaire, de l’impôt sur la fortune (ISF) rend plus difficile d’exiger des efforts supplémentaires à ceux à qui on annonce qu’on va confisquer des jours de congé ou rallonger la durée de travail – mais surtout des jours de congé. Il faut que tout le monde fasse un effort, à proportion des moyens dont il dispose, à proportion des moyens dont il dispose. Ceux qui ont le plus, sont amenés à donner le plus.
Nous instaurons un état d’urgence sanitaire. Pourquoi pas. À nos yeux, il n’y avait pas de vide juridique. Mais pourquoi pas. Nous sommes d’accord pour vous aider à le faire. Mais pourquoi avez vous trouvé cette idée de reporter de 12 jours à un mois le délai dans lequel vous saisirez les assemblées ? Les assemblées ne sont pas de trop. Nous sommes prêts, jour et nuit quand on nous convoque, à venir délibérer pour prendre ensemble les décisions. Notre République est une République sociale. Les droits sociaux ne sont pas la seule variable d’ajustement sur laquelle, dans les grands moments, on doit peser.
J’achève. Vous nous avez parlé du monde d’après. Et bien moi je vais vous dire que le monde d’après, il doit commencer maintenant. C’est maintenant que doivent cesser toutes les doctrines et le catéchisme de l’égoïsme social. C’est le moment de faire valoir l’intérêt général, l’entraide, la solidarité, au sommet de hiérarchie des normes plutôt que la concurrence de chacun contre tous, libre et non faussée. Collègues, nous allons certainement tous beaucoup changer dans cette période. Mais le plus important est de changer d’état d’esprit. »