Interview publiée dans France-Guyane le 1er septembre 2020
France-Guyane : Jean-Luc Mélenchon, merci de nous accorder cette interview…
Jean-Luc Mélenchon : Vous êtes le seul titre de presse en Guyane. Alors en m’adressant à vous, j’ai l’occasion d’adresser un message à tous nos compatriotes qui vivent en Guyane.
Je sais que vous avez connu des difficultés il y a quelques mois. Vous avez failli disparaître. C’est une chose très grave : l’effacement médiatique des outremers conduit à un effacement politique encore plus important. Je ne le veux pas. La presse locale en Guyane comme en Martinique ou en Guadeloupe doit continuer à nous interpeller, à informer, à provoquer la controverse sur les grands enjeux qui se présentent à ces territoires.
La crise du Covid-19 a démontré qu’ils étaient nombreux et traités avec beaucoup trop de négligence par le pouvoir en place. Ce manque de visibilité médiatique risque encore de s’aggraver depuis que le gouvernement a ordonné la fermeture de la chaine France Ô du service public intervenue brutalement il y a quelques jours. C’est un très mauvais coup qui a été fait là.
La gestion de la crise vous semble-t-elle avoir été à la hauteur par le gouvernement ? Qu’avez-vous pensé de la visite de Jean Castex ?
Si j’en crois mes amis guyanais, il y a eu au cours de cette visite des inélégances qui resteront dans les esprits.
Les Guyanais attendaient que le Premier Ministre s’adresse à eux. Il doit entendre l’analyse qu’ils avaient faits eux- mêmes de la gestion de la crise. Il doit faire des annonces claires et fortes plutôt que d’en rester aux exercices d’autosatisfaction.
Le gouvernement, comme en France hexagonale, a été dépassé par les événements. Il a réagi dans l’urgence et parfois dans la panique. Cela nous a valu un lot d’ordre, de contrordres, d’approximations, de décisions parfois farfelues qui ont désorienté … La situation de la Guyane est révélatrice. Les populations ont été confinées en même temps qu’en France hexagonale alors que le virus n’y circulait pas. Mais deux mois plus tard, la vague épidémique dévastait l’État voisin de l’Amapa au Brésil. Pourtant les autorités françaises ont voulu jusqu’au bout rouvrir les établissements scolaires de Guyane le 11 mai et renvoyer les enfants à l’école. Heureusement les élus locaux s’y sont opposés. Cette forme d’insoumission républicaine a sans doute permis d’éviter une catastrophe.
Seul le gouvernement n’a pas vu venir la vague épidémique. Je le dis et je le répète, la plus grande frontière terrestre de notre pays est celle que nous partageons avec le Brésil : 730 km ici en Guyane. Cette frontière nous plongeait donc dans une proximité immédiate avec l’un des foyers de la pandémie en Amérique du Sud. Il y a aujourd’hui plus de trois millions et demi de cas au Brésil. Cette contamination exponentielle est à imputer directement aux irresponsabilités du Président Bolsorano.
Dans l’Amapa plus particulièrement, la contamination et la vague de décès s’est abattue avec une grande cruauté. Dans cet état favorable au mouvement politique de Lula, essentiellement composé de paysans, de peuples amérindiens et de garimperos miséreux, les populations ont été livrées à elles-mêmes par le pouvoir en place. Sans doute avez-vous relaté à vos lecteurs ces appels de maires ou de personnalités brésiliennes de l’Amapa qui ont sollicité l’aide à la France pour faire face à la pandémie. Ces appels ont-ils été entendus par les autorités françaises ? Pas du tout. Quelle honte !
À propos d’intérêt général justement, la crise semble avoir mis à nu le retard et les difficultés dans lequel est plongé le système de santé guyanais. On parle du plus grand « désert médical » de France. Quelles pourraient être vos propositions pour y remédier ?
En effet, les crises sont souvent de terribles révélateurs des situations les plus détériorées. Comme Mayotte, la Guyane est le parent pauvre des politiques de prévention, de soin et de qualité de vie. Et cela avec les taux de pauvreté les plus élevés dans la République. La moitié de la population guyanaise vit en dessous du seuil de pauvreté. C’est insupportable ! La Guyane comme Mayotte mais en réalité tous les Outremers français comptent parmi les régions les plus pauvres de toute l’Union européenne. Ce n’est pas glorieux pour la deuxième puissance économique de l’Union.
Est ce qu’il faut s’y résigner ? Sûrement pas ! Il y va de l’unité de la République. Nous sommes des citoyens unis parce que nous avons des droits semblables. Il faut y travailler sans relâche. Assez de temps perdu.
Alors que faut-il faire ? C’est plus simple qu’il n’y parait. D’abord écouter celles et ceux qui vivent et travaillent ici, dans la santé, dans les collectivités ou qui s’investissent dans les associations, les petites entreprises, ou les syndicats. Il faut tenir compte avec application de leur expertise. Je veux revenir sur une démarche qui m’a beaucoup impressionné qui s’est accomplie en Guyane. Lors de la visite de M. Castex, l’élan collectif de tant d’acteurs de Guyane a permis de réaliser un formidable travail. C’est le rapport intitulé : « Motion de revendication pour une meilleur prise en considération de la lutte contre la Covid-19 en Guyane ».
Là-dedans des gens d’horizon très différents, et pour certains très différents du mien (élus, responsables politiques, représentants associatifs, mouvement citoyens, représentants syndicaux) se sont mis d’accord sur une feuille de route pour extraire la Guyane de son marasme social et sanitaire. Que disent-ils ? Ils établissent un cahier de doléances pour répondre aux besoins populaires de la Guyane. Ils demandent l’augmentation du budget des structures de santé de Guyane, la transformation des centres de santé de Maripasoula et Saint-Georges en centres hospitaliers, la réouverture de l’établissement français du sang en Guyane. Mais ils pointent aussi la transformation du Centre Hospitalier de Cayenne (CHC) en centre hospitalier universitaire (CHU). Car il est temps d’avoir en Guyane une institution de recherche et de formation !
Les Guyanais ne demandent pas l’aumône de réductions d’impôts, de taxes, ils ne demandent pas l’allongement du temps de travail ou je ne sais quoi… Non, ils demandent que l’état assure avec force des politiques publiques ambitieuses au service de la population. Je m’en réjouis, car cela correspond à la vision politique qui est la mienne : Les Outremers doivent cesser d’être regardés sous le prisme réducteur du « combien ça coute ». Ils structurent le dialogue de la France avec le monde qui les entoure. Ils contribuent à l’activation de la vitalité de la France. Avec la Guyane, la France est une puissance d’Amérique du Sud, avec la Guyane la France est une puissance spatiale. Ce sont là des avantages géo politiques, géographiques, stratégiques et économiques incalculables. Alors la faiblesse des investissements de l’Etat en faveur des Guyanais nourrit un sentiment légitime d’abandon. Le mouvement social guyanais de 2017 a posé avec beaucoup de justesse toutes ces questions. L’Etat a pris des engagements. Ils doivent être honorés.
Un autre débat agite la Guyane ces derniers mois : le projet « Espérance » de mine d’or dans la région du Maroni. Certains y voient une opportunité économique forte, d’autres s’inquiètent des risques environnementaux que cela engendre sur l’écosystème amazonien. Qu’en pense Jean-Luc Mélenchon ?
C’est aux Guyanais de le dire. Mais de quelle « Espérance » parle-t-on ici ? De grandes multinationales qui déboursent des millions pour acheter une concession minière en plein cœur de la forêt amazonienne française. Elles projettent de l’exploiter durant une quinzaine d’années, saccageant au passage tout l’écosystème qui s’y trouvait. Puis elles s’en iront une fois le dernier dividende du dernier gramme d’or empoché. Vous y voyez une « Espérance » vous ?
En Guyane, plutôt que de sortir le tapis rouge à l’industrie minière qui menace notre environnement et qui épuise les pauvres hommes qui y travaillent, il faut planifier et organiser une autre action politique. Encore une fois partir des besoins populaires et de l’amélioration des conditions de vie. Le secteur de l’eau et de sa distribution par exemple. Cela peut-être un formidable levier de développement économique propre et utile aux guyanais. Vous le savez mieux que moi, 15% des Guyanais n’ont pas accès à l’eau potable selon l’ARS. 46 000 personnes selon l’Office de l’eau en Guyane. C’est insupportable ! L’eau potable est un des grands défis de l’avenir. Il faut que les services de l’État cordonnent un grand plan d’accès à l’eau en Guyane : voilà un vivier d’emplois non délocalisable et socialement utile aux Guyanais ! Nous avons les ingénieurs, les services techniques nécessaires pour engager un tel plan.
Je n’oublie pas non plus les problèmes de vie chère et de dépendance de la Guyane vis à vis de l’extérieur. La crise du covid confirme ce que nous n’avons cessé de défendre et qui s’impose comme une évidence pour un grand pays comme la Guyane : la souveraineté alimentaire et énergétique sont nécessaires et elles sont possibles. C’est une question de volonté politique. Les Guyanais savent qu’il faut sortir de ce modèle néo colonial d’économie de comptoir qui sert des rentes et aggrave la vie chère.
Le fonctionnement actuel s’il ne change pas menace désormais, la survie de la communauté humaine. On ne peut plus se satisfaire d’un compromis mortel avec celui-ci.