Ce post paraîtra deux jours après la publication du précédent. Mais comme au moment où je commence mes lignes, c’est dimanche, jour de pause en pays catholique où je me trouve, je m’autorise une digression entre deux séances de hamac dominical.
Je viens à mon clavier comme si j’y étais poussé entre les épaules. Voyez pourquoi. Vous êtes nombreux à partager avec moi une relation au monde où l’on sait voir la réalité comme un millefeuille d’univers entremêlés. Et parmi eux, ceux du présent vibrant et ceux du passé qui parlent à l’oreille. À Santa Marta, en Colombie, me voici dans un de ces lieux d’harmonie des ondes du temps. D’aucuns iraient pour cela à Jérusalem, d’autres à Delphes ou bien à Rome ou encore sur le Vieux-Port à Marseille. Et moi aussi. Mais ici, il est question d’autre chose.
Ici est mort Simón Bolívar dans les bras d’un médecin français. Ses mânes glissent dans l’ombre rare des façades à balcons hispaniques. Le premier des Libertador est intimement marqué par les idées de la Révolution française qu’il est venu voir de près chez nous et dont il a incarné à sa façon les principes en Amérique du Sud.
Ici est né García Márquez. Je suis allé chez lui à Aracataca dont je ne retiens pas le nom même après l’avoir mâché dix fois de suite. Ceux qui ont lu le dernier de ses livres « Vivre pour la raconter » connaissent ce lieu de loin. Et c’est de cette façon qu’on ressent le mieux l’auteur. La présence sur les lieux de son existence fouette le pouvoir de rêver, mais elle n’ajoute rien sinon ce qu’on apprend de lui. Peu importe. Compte ce qui reste et qui vous travaille.
Pour ma part, j’ai jugé que rien ne serait jamais plus vrai à propos de ma propre existence que ce que disait García Márquez pensant à la sienne : « la vie n’est pas ce que l’on a vécu mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient pour la raconter ». La mémoire n’est pas un appareil photo. Celui qui la consulte la modifie selon ce qu’il y cherche et aussi ce qu’il en propose aux autres ensuite en le racontant. L’auteur m’a fait entrer dans l’univers de la pensée magique latino avec « Cent ans de solitude » chef d’œuvre de la littérature mondiale du vingtième siècle. J’ai placé une citation des premières lignes de ce roman pour ouvrir mon livre « l’ère du peuple » à propos des choses si nouvelles que pour les nommer, on doit les montrer du doigt pour les désigner. C’est là un concentré de ce que je crois à propos du monde tel qu’il est à l’âge de l’homo Urbanus dans l’ère du peuple.
Ce n’est pas tout à propos de « l’État » de Magdalena, de la ville de Santa Marta et des environs sur une des entrées fluviales sur le continent au bord de la mer Caraïbe. Ici, au bord de cette mer surgit la plus haute montagne. Elle culmine à plus de cinq mille sept cents mètres d’altitude. L’Amazonie est à ses pieds et les Andes en bordure. Du coup, ici se niche la biodiversité la plus intense de la planète du fait de cette convergence de circonstances. Et c’est de première importance. Oui, la biodiversité de nos aïeux s’éteint partout pour la sixième fois. Comme déjà cinq fois auparavant dans l’histoire multimillénaire de la planète. Mais la marmite où cuit la soupe de la vie reste active. Elle est ici. À l’équateur moite des Caraïbes. La Sierra Nevada n’occupe que 0,011% de la surface terrestre de la planète. Mais un nombre incroyable d’animaux et de plantes ont été recensés ici, dont beaucoup sont totalement endémiques. Elle abrite presque tous les écosystèmes de la mer aux plages de corail, en passant par les mangroves, le désert, les forêts sèches et humides, les lagunes et les montagnes enneigées. D’une façon ou d’une autre, ici se trouve la matrice de la biodiversité du futur en même temps que le berceau du présent.
Pourquoi tout cela, la littérature, la politique et le battement des veines de la vie, ne toucherait pas en même temps haut et fort les antennes subtiles qui nous lient aux mondes innombrables que nous contenons ? Tout pour moi se fait écho l’un de l’autre. Ainsi (l’ai-je déjà dit ?), quand avant de quitter Bogota et la vice-présidente Francia (sic) Marquez que j’y rencontrai, j’ai découvert avec stupeur une statue de Giordano Bruno au milieu de la place. Découvreur au seizième siècle de la théorie de l’univers infini contenant une quantité innombrable de mondes… « Martyr de l’humanisme » dit l’inscription. En effet, l’église le fit brûler pour cela.
On nous brûle sur le bûcher des convenances bien fort en France pendant ce temps. La crème des fainéants médiatiques consacre de longues colonnes à commenter le bruit dans l’hémicycle et les tenues vestimentaires insoumises. Le contenu réel des débats, le bilan de la bataille comme de ses raisons d’être ne sont hélas traités que par si peu. Sans le suivi des boucles insoumises sur « Telegram », je ne saurai rien de ce qui se passe vraiment au fil des votes. Et plus généralement où sont passés les doctes qui nous ont tympanisés sur la nécessité d’être « raisonnables » et de composer « pour être positifs » avec le gouvernement ? Et les bons esprits qui ont fait du zèle pour angler leurs questions « avez-vous l’intention de pratiquer l’opposition systématique » à qui refusait comme eux d’acclamer par avance le gouvernement ? Font-ils un bilan de leurs conseils ? Muets. Muets après des dizaines d’amendements tous repoussés soit dès la commission soit en séance. Et quand pas un n’aura été adopté autrement que contre le gouvernement et sa soi-disant « majorité relative » ? Tel est « le compromis », « l’écoute », « l’enrichissement » comme l’aura pratiqué leur cher gouvernement selon la propagande qu’ils ont rabâché.
Cependant, reconnaissons que plusieurs observateurs et analystes dignes de ce nom ont cependant bien pointé le fond de ce qui se passe. Le désarroi de la macronie dans l’hémicycle, le niveau de mobilisation et de pointage des effectifs qu’il lui faut sans cesse organiser est trop visible. Aussi, la recherche d’une alliance stable entre macronistes et Républicains fait de montagnes russes dans l’hémicycle. Car nombre de « Républicains » renâclent au suicide qui leur est proposé. On peine alors à comprendre ces reculades humiliantes qu’on les voit accepter parfois au fil du débat. Par exemple, qu’est-ce qui s’est négocié en secret contre un deuxième vote favorable sur les retraites par exemple ? Par certains aspects bien odorants, la macronie a rétabli la Quatrième République des combines politiciennes là où nous voulions injecter de la Sixième.
Mais si longue que soit la rivière elle conduit nécessairement à la mer. La déroute macroniste de même.