Ce Noël est défiguré par le massacre à Gaza. Il suffit d’y penser pour ne pas pouvoir dormir. Même la loi Immigration, qui nous a tous abattus de tristesse, ne produit pas un effet si profond, si intense, si déchirant, quand bien même cette loi marque le retour de cette France à front de bœuf qu’on n’imaginait pas renaître dans les bras de l’homme jeune qui préside notre pays. Là-bas, au Proche-Orient, des dizaines de milliers de personnes sont condamnées à mort au terme d’insupportables souffrances, peurs, maladies, blessures et famine. La nuit de Noël, les chrétiens d’Orient, palestiniens et autres, vivront leurs rites sous les bombes. Ce sera Noël en vain.
Et rien n’est fait pour stopper le massacre. Absolument rien. Je veux dire « rien » de cet arsenal aussitôt déballé quand il s’agit des ennemis de « l’Occident », du camp du bien dans « le choc des civilisations », c’est-à-dire des USA et de leurs supplétifs européens. Tout s’arrêterait demain matin, si les USA et le gouvernement des démocrates de Joe Biden le voulaient. Et nous-mêmes, en France, nous avons dû attendre 32 jours pour que le Président de la République parle de cessez-le-feu, mot d’ordre toujours absent de la bouche de la présidente de l’Assemblée nationale, qui s’était pourtant rendue en soutien inconditionnel à Tel Aviv au début du massacre.
L’opinion des Français s’est retournée. Certes, nous n’avons plus à endurer l’ignoble harcèlement de l’accusation d’antisémitisme ou « d’idiot utile du Hamas » chaque fois que nous protestons contre les crimes de guerre. Car plus personne ne peut voir désormais dans cette accusation, sur ce sujet, autre chose qu’une infamie supplémentaire de la part de ceux qui ne sont au fond que les complices d’un génocide, d’un nettoyage ethnique dont ils se délectent parce qu’il justifie leur propre délire ethniciste. Entendre Meyer Habib dire que, du fait de l’exode, aucun Israélien ne sera jamais un colon en Judée, suffit à comprendre où nous en sommes dans ce domaine. Pourquoi l’Italie ne réclame-t-elle pas sa part de souveraineté sur ces terres puisque l’empereur Titus en avait scellé la conquête, notamment par la destruction du Temple de Jérusalem ? Ou l’Égypte ? N’a-t-elle pas été dominante là-bas pendant vingt siècles avant notre ère, aux âges du polythéisme de toute la région ? Je ne veux pas dévaloriser davantage Meyer Habib, car chacune de ses interventions est une propagande active pour la cause palestinienne, tant la sienne est défendue à l’Assemblée et dans les médias de manière caricaturale et insupportable sur le plan du respect de la dignité humaine.
Le massacre de Gaza ouvre une séquence terrible dans le siècle qui commence. Jamais dans un conflit, depuis la Seconde Guerre mondiale, on n’avait entendu des propos racistes comme cette fois-ci ceux qu’on entend dans la bouche des amis de Netanyahu pour justifier le massacre. Jamais on n’avait entendu parler de l’ennemi comme des « animaux » ou des « fils de chiens » qu’il faudrait « tous massacrer », comme on l’entend dans la bouche des gouvernants d’extrême droite en Israël. Les peuples du monde entier le savent grâce aux réseaux sociaux, et le plaisir évident que ressentent les génocidaires à assumer leurs intentions dans des vidéos qui circulent par millions de vues.
Le bilan est terrible pour l’ambiance dominante ainsi assumée et validée. Si Israël peut commettre impunément ce nettoyage ethnique, compte tenu de son histoire et de ses soutiens pour ces crimes, qui pourrait se voir reprocher d’en faire autant ? Gaza est l’ultime défaite morale de « l’Occident ». À partir de maintenant, chacun peut se sentir tout permis. Notamment dans ces 175 pays qui ont un différent frontalier. Et parmi les 28 % d’entre eux pour qui c’est déjà un conflit armé.
L’effondrement de l’autorité de l’alliance atlantique a déjà été bien notée dans la séquence Ukraine/Russie. Le score des motions sur le cessez-le-feu à Gaza enfonce le clou. Les USA et Israël y sont aussi isolés que lors des votes pour le blocus de Cuba. En janvier, les nouveaux alliés des BRICS vont porter cette coalition mondiale à un niveau de PIB supérieur à celui du G7. Avant que l’ancien ordre finisse d’être déstabilisé, avant que le nouveau trouve son point d’équilibre et que tout cela se stabilise, une période trouble va se dérouler comme toujours dans l’histoire en pareil cas.
Dans quelques semaines, il faudra commencer à discuter des conditions de la paix entre l’Ukraine et la Russie. Le point de vue européen est devenu plus délicat à tenir, compte tenu du soutien inconditionnel apporté à Netanyahu par l’Union européenne. Comment défendre le droit international ici, et le nier là-bas ? Comment défendre l’intégrité des frontières ici, et l’oublier là-bas ? Comment condamner les bombardements ici, et les supporter sans broncher là-bas ? Comment dénoncer par avance des projets de brutalités à venir de la part de Poutine et laisser sans réponse Netanyahu menacer le Liban de raser sa capitale ? Et ainsi de suite.
Certes, les Nations ne sont nullement obligées d’être de bonne foi dans leurs relations. Mais, faute d’arguments principiels, moraux ou juridiques, il ne reste que le rapport de force, déployé ou menaçant. Qui croit les USA, et à plus forte raison l’Union européenne, en état de mener un combat plus long, mieux soutenu ou plus efficace contre la Russie ? Personne. Et pour le seul usage de l’Ukraine ? Encore moins, en quelque sorte. Certes, son adhésion à l’Union européenne sera peut-être, demain, un argument de réconfort pour céder de meilleure grâce après amputation. Mais cela suppose que cela soit accepté par les autres nations européennes, qui connaissent le prix d’une telle nouvelle annexion à l’union. Aucun gouvernement français ne pourrait l’accepter, compte tenu de la ponction provoquée de cette façon sur les fonds structurels et la politique agricole commune. La France, qui paie déjà tant de plus que ce qu’elle récupère en fonds européens, ne pourrait accepter un tel nouveau hold-up destructeur sur le plan social, écologique et agricole. Dans la campagne européenne, il va falloir que cela soit dit et discuté.
La loi immigration doit être assimilée par l’esprit public pour ce qu’elle est. J’en ai fait le sujet de ma dernière « Revue de la semaine », ce 22 décembre. Il est essentiel de rappeler qu’elle est censée être un « bouclier » contre l’immigration. Je renvoie à ce que j’en ai démontré dans cette vidéo, en même temps que j’ai interrogé le concept même de « risque migratoire » face auquel il faudrait opposer un « bouclier ».
Cette loi n’aura jamais aucune efficacité du point de vue de ses propres objectifs. Sa signification, c’est-à-dire sa finalité concrète, est donc ailleurs. Elle est politique. Elle est dans l’alliance politique qu’elle rend possible et visible. Désormais, il y a aura eu la manifestation qui aura réhabilité le RN et les Zemmouriens sur le sujet le plus brûlant qui les tenait à distance de la démocratie républicaine. À présent, de la droite traditionnelle aux macronistes, il y a un consensus affirmé sur le cœur de la doctrine qui les tenait à distance, elle aussi, sur la question de la xénophobie et de l’immigration. La vice-présidente du groupe macroniste a reconnu à l’écran de BFM que la loi contenait ce que le RN demandait depuis quarante ans et que cela lui a été « servi sur un plateau d’argent ». De mon côté, j’ai prouvé que le cœur de la loi était un copier-coller des pages 14, 16 et 18 du livret du RN sur le sujet.
« L’arc républicain » est en place. C’est l’axe du redéploiement politique voulu par Macron. Je le dis, le démontre et l’analyse depuis la première heure, avec les autres dirigeants du mouvement Insoumis. On voit désormais ce que valent les grands analystes médiatiques qui voyaient dans le gouvernement Borne une volonté « d’aller à gauche ». J’en demande un seul signe comparable à ceux que je donne sens inverse ?
Je ne dis pas que cette union de toutes les droites est faite et solidifiée. Non. Mais d’étape en étape, elle avance et occupe le devant de la scène. La défaite de Bayrou dans le groupe parlementaire macroniste a, discrètement mais sûrement, amplifié ce résultat. L’alignement sans limite d’Édouard Philippe de même. La formation du prochain gouvernement sera un moment clef d’une double opération : oui ou non la grande coalition des droites avance-t-elle, et qui la dirige politiquement. Pour l’instant elle avance et le RN en est le centre de gravité idéologique.
Tout autre est la situation de la gauche. Ployant sous les injonctions de la sphère médiatique, l’opportunisme a fait rage pour être bien noté au tribunal des gardiens médiatiques du « monde d’avant ». À coup de rupture assumée, comme Roussel, de moratoire du PS honteux inexpliqué, pour cause d’adhésion au parti de l’ordre face aux révoltes urbaines, et de ruptures tout aussi vides de motifs depuis EELV, il est donc impossible à cette heure d’opposer une alternative à l’unification des droites.
Même si, après avoir rejoint la meute puis fait volte-face sur la situation au Proche-Orient, le PS a soudain déclaré absurdement que le 7 octobre était un « prétexte » pour Israël, tout est resté embourbé à la sortie de la séquence immigration. La demande de Bompard d’une réunion de la NUPES est restée sans aucune réponse. Comme d’habitude, avec le même mépris pour nous. Macron n’a que le choix du moment pour tenter, avec une dissolution, d’en finir avec la gauche.
La seule explication entendue, hormis le fait classique et banal que c’est de la faute des Insoumis et surtout de Mélenchon, c’est que ce serait une affaire « d’égos » entre les chefs de partis, c’est-à-dire Tondelier, Faure, Bompard, Roussel. La psychologisation des enjeux politiques a toujours été une manière d’éviter le fond politique. Le JDD et le « Canard » proposent eux plus simplement de m’envoyer à l’asile pour régler le problème. Brejnev en disait autant de ses opposants.
La vérité est qu’il y a de nouveau deux orientations assumées à gauche. Le centre gauche, sous l’appellation du passé « la gauche et les écologistes », est de retour et compte s’assumer politiquement. Dommage. On pensait avoir dépassé ça avec la NUPES et son programme partagé en 640 mesures. Et avec les candidatures uniques au premier tour. Dommage. Il y a donc deux coalitions en vue. On connait celle qui s’appuie sur la ligne de rupture décidée en 2022. L’autre est annoncée par Marine Tondelier. Elle se réunit déjà régulièrement selon elle, et prévoit un programme et une candidature commune avec l’appoint du quarteron de mécontents permanents de LFI. Sa feuille de route est écrite d’avance. Elle compte sur les mauvais résultats des uns et des autres aux européennes pour reprendre un concert de lamentations en faveur de l’unité qu’ils auront pourtant eux-mêmes rendu impossible aux européennes. Qui restera donc encore impossible au municipales. Scénarios en pâte à sel. Sont-ils irréversibles ? Heureusement, voici la pause. On va donc bien y réfléchir.
J’adresse à tous mes lecteurs une pensée bien amicale. Je sais que ce Noël est un des plus compliqués que vous aurez tous vécu, dans l’ambiance épouvantable de ce pays qui se quart-mondise, se rabougrit, se disloque. Depuis le 22 décembre, les jours rallongent. Plus de lumière, moins de nuit, petit à petit. Et puis chacun porte aussi dans sa besace des tranches de bonheur disponibles. Ne pas hésiter à partager.