Je crois que notre rassemblement du 5 juin a été un évènement politique dont la signification dépasse le seul cadre de la campagne électorale commencée ce jour-là. La foule rassemblée était par elle-même un message. La diversité des âges, des origines, des situations et des engagements exprimait en réalité l’existence d’un véritable courant populaire spécifique ! Un mouvement au sens quasi littéral puisque « la France insoumise » n’est pas à proprement parler une organisation mais un moyen d’action commune. Tous les témoignages convergent pour dire que les participants au rassemblement étaient essentiellement des personnes sans carte de parti. Ceux-là ont particulièrement apprécié la tenue du « défilé des insoumis ».
En effet, celui-ci organisait une « auto-représentation » des catégories de gens en lutte, de celles qui le sont sur une base professionnelle à celles qui le sont sur des thèmes d’action plus transversaux. « Auto-représentation » est une idée forte que je tâche de concrétiser dans son sens le plus profond. C’est-à-dire non comme un refus de déléguer sa représentation politique à d’autres mais comme une façon de se saisir de toutes les occasions de le faire par soi-même. L’objectif n’est pas d’empêcher quelqu’un de représenter mais de se donner le moyen positif de le faire soi-même plus efficacement. Je ne prétends pas que nous ayons réglé la question avec un acte de scénographie comme ce défilé des insoumis. Mais je connais l’importance des rites politiques, surtout dans la tenue des évènements collectifs. Ce que nous avons fait et donné à voir structurera l’imaginaire politique de ceux qui en ont été rendus témoins ou participants. Peut-être ne l’avez-vous pas remarqué mais les deux agitatrices du défilé, Sarah Legrain et Charlotte Girard ont appelé les participants du rassemblement à se joindre au défilé à la suite de chaque groupe d’insoumis. Ce ne fut pas le mieux suivi parce que d’innombrables questions pratiques y ont fait obstacle tout du long. On améliorera le dispositif.
Mais il n’en reste pas moins que nous avons inventé une forme de meeting « participatif ». La formule est à travailler encore bien sûr. Mais nous tenons une « forme » en rapport avec le fond de la stratégie et du discours « révolution citoyenne ». Il est aussi de surcroît « multi messages », puisqu’il montrait des catégories très différentes de corporations ou de thèmes. Et cela sans que la cohérence du discours qu’il portait soit disloquée. C’était bien l’insoumission au « monde de la loi el Khomri » qui s’est donnée à voir. Et après que les deux agitatrices ont dit et souligné, chemin faisant, la cohérence du défilé, mon discours de clôture mettait en mot l’ensemble du tableau ainsi esquissé.
Une autre méthode d’expression s’est ainsi dessinée puisque pendant que se faisait le défilé, des vidéos étaient diffusées, expliquant le sens de l’action présentée par les cortèges qui passaient. Une personne (sur une base paritaire) parlait à l’écran. Il n’est pas sûr qu’elle ait pu ou voulu le faire devant un public de millier de personnes. Les conditions de calme et de complicité d’un enregistrement amical, permettent au contraire de s’exprimer sereinement, sans peur du nombre, de la démonstration physique et sans effort de la voix. Et cela permet aussi de tenir l’horaire. Ce fut le cas à dix minutes près, après 18 interventions de lutte et quatre pauses lecture de beaux textes. J’ai retiré ces dix minutes de mon discours comme une marque de respect pour ceux qui sont venus de loin, à l’heure, et s’apprêtaient à repartir pour un long trajet.
Ici, une parenthèse pour rappeler que si la contribution d’un prestataire expérimenté a été évidemment décisive, la participation bénévole a été totale et l’essentiel a reposé non seulement sur les personnes qui s’y sont engagé mais surtout sur leur discipline d’action et leur sens politique pour régler chaque difficulté quand elle apparaissait.
Au total, il me semble que ce rassemblement renouvelle une formule, le meeting, en lui faisant intégrer les acquis des moyens et de la culture visuelle et civique de notre temps et de la culture commune d’une majorité de Français. Je crois la méthode plus efficace et stimulante pour les personnes qui venaient pour la première fois à un rassemblement politique. Elles étaient présentes en nombre. Elles n’auraient peut-être pas supporté la suite habituelle d’orateurs et oratrices des séances traditionnelles qui nous ont pourtant tant motivés pendant tant d’années dans le passé.
Une remarque encore doit être faite. Ce mouvement que l’on a vu s’exprimer par le rassemblement de ces milliers de personnes est fort de ses propres motifs d’action et de ses propres points de repères particuliers. On le constate en voyant comment il a surmonté sans bruit les obstacles qui s’opposaient à son déploiement.
Obstacle : le jour même, les inondations qui coupaient deux autoroutes, la grève des trains, la menace d’orage et bien d’autres de ces petites choses qui d’habitude pèsent lourd sur la réussite d’une initiative si elle n’est pas solidement motivée.
Obstacle : le tir de barrage ininterrompu des portes parole du PCF rabâchant devant tous les micros une médiocre histoire d’horaire en concurrence entre un pique-nique de fin de congrès et le début du rassemblement place Stalingrad. J’avoue que je ne comprends toujours pas cette campagne. Car du coup elle a rendu illisible le contenu et les idées du congrès communiste. Il n’en manquait pourtant pas et non de moindres. « Le temps du commun » est un thème riche de potentiel. Et j’ai bien noté la confirmation de l’adoption du concept de « révolution citoyenne » qui est dorénavant lui-même en commun avec le Parti de Gauche qui l’a placé au cœur de son programme stratégique en 2010. Mais cette campagne aurait pu démotiver. En réalité, personne ne s’en est soucié. Et de très nombreux communistes ont été directement partie prenante du succès du rassemblement.
Des communistes étaient d’ailleurs sur la scène comme Brigitte Dionet et Francis Parny, ou dans le public comme observateurs amicaux à l’instar de Marie-George Buffet. Ils étaient aussi parmi la foule, parfois même avec leurs drapeaux. Cette réalité d’un jour est confirmée par la décision rendue publique par la Fédération PCF des Deux Sèvres en tant que tel de s’engager dans le processus d’appui à ma candidature. On me dit que ce sera bientôt le cas d’autres organisations départementales communistes. Et d’autres organisations. Nous verrons bien. Cela va poser de façon urgente le problème de la définition des espaces spécifiques des organisations d’une part et du mouvement « la France insoumise ». Celui-ci ne doit être approprié par personne d’autre que ceux qui en constituent la base active, avec ou sans carte, dans les groupes d’appuis. Je vais m’atteler à la question et prendre conseil.
Bref, le 5 juin a prouvé que l’envie d’action et de force indépendante est restée la plus forte. Elle est à la racine du succès désormais visible de la démarche entreprise. Mais jusqu’à la dernière minute personne ne pouvait réellement savoir si la mobilisation « numérique » sur la plateforme internet « La France insoumise » et les réseaux sociaux serait capable de se concrétiser sur le terrain. D’un autre côté, pour l’équipe qui préparait concrètement l’évènement, celle de la « France insoumise » et celle du Parti de Gauche qui s’est entièrement mis à son service, c’était l’épreuve du feu. Pour la première fois en effet l’effort reposait entièrement et exclusivement sur leurs épaules. Que les militants aguerris du Parti de Gauche soient ici remerciés pour la force de leur engagement au service du mouvement. Ils l’ont accompli en sachant agir en appui sans récupérer à leur profit l’action menée en commun. Bref, on a assez dit que j’étais « seul » sans tenir compte de la réalité humaine et militante de mon environnement.
Maintenant nous savons, et tout le monde sait en même temps que nous, à quel point nous sommes capables de parvenir « tous seuls » à faire beaucoup et très bien dans les domaines si particuliers de l’action politique de masse. Ce n’est pas une affaire de technique, quoique ce volet soit décisif. C’est une affaire de ligne politique. Pour nous, l’autonomie et l’indépendance ont cessé d’être un objectif à atteindre. C’est un seuil franchi. Et c’est aussi cela que voulaient ceux qui se sont rassemblés : on fait, on avance, on rassemble et puis on voit. Vient qui veut du moment qu’il respecte le cadre commun de ceux qui s’y trouvent et les objectifs pour lesquels ils se sont rassemblés.
De nombreux commentateurs se sont intéressés à cet évènement dans les médias et l’ont analysé chacun depuis leur sensibilité particulière. Bien sûr, ont tourné en boucle certains éléments de langage distribué par le PS. En général ils sont de nature personnelle dans le registre habituel de ce parti pour mener ses combats et comme il l’a déjà fait parfois mot pour mot contre ses dissidents successifs. Tourne aussi l’argumentaire du PCF sur mon soi-disant « solo ». Évidemment, les habituels « trolls » d’extrême droite savent jeter de l’huile sur le feu. Comme tout cela se repère au premier coup d’œil, comme c’est la réplique à l’identique de la même opération de dénigrement qu’en 2011, je fais le pari que cela ne peut fonctionner qu’à la marge de l’opinion des personnes engagées de notre côté.
Plus sérieuse est l’argumentation des observateurs médiatiques. « Le Monde », sous la plume d’un de ses éditorialistes les plus fins, Gérard Courtois, part du principe que je ne pourrai pas parvenir au deuxième tour. Ce n’est pas mon avis, mais j’admets qu’on le pense. Mais pourquoi aussitôt Gérard Courtois en conclut-il que je le saurais bien, moi aussi ? Juste pour faire de moi un manipulateur qui ne croit pas à ce qu’il dit ? Oui et cela est dit quasi littéralement comme cela. Mais pas seulement. Il s’agit de prouver que mon ambition réelle serait « seulement » de « détruire la social-démocratie ». Outre que le mot « social-démocratie » n’a pas de sens en France, compte tenu de l’histoire singulière du socialisme dans notre pays, je m’interroge sur la portée de l’argument. D’abord parce que l’orientation de Hollande et Valls n’est pas « social-démocrate » mais libérale, ce qui change tout et rend impossible la convergence dans les rangs de la vieille gauche. À preuve le refus du PCF comme de EELV d’une primaire avec la présence de Hollande, de Valls ou de Macron ou d’un ministre de ce bois-là.
Mais allons plus loin. Au fond, quel mal y a-t-il, en démocratie et par les urnes, à vouloir supplanter une autre force politique ? Si l’on veut bien mettre de côté un instant les outrances et les caricatures à mon sujet, qu’est ce qui peut être considéré dans ce que je dis et propose comme étant hors des réalités de notre temps en France et en Europe ? Qu’on ne soit pas d’accord avec moi est une chose. Mais pourquoi mon point de vue serait-il disqualifié par a priori ? Je déplorerais une panne de l’analyse sur ce que j’entreprends réellement. Mon point de mire n’est pas le PS, ni Hollande, ni aucun des restes de l’ancien monde politique en voie de décomposition avancée. La démarche est d’une autre nature. Elle est exposée sans détour dans « L’Ère du peuple » et elle occupe aussi de nombreuses résolutions des Conseils nationaux et congrès du PG. Il s’agit d’une stratégie globale. Non seulement en tant que raisonnement sur notre temps ainsi que le montre « L’ère du peuple », mais aussi en terme de forme et de rythme de l’action entreprise et de la façon de communiquer.
Je ne veux pas reprendre un débat dont je me suis lassé à propos de médias. J’entends souvent parler de mon « problème avec les médias ». Hum ! Et quand parlera-t-on du problème des médias avec moi, de leur incapacité à me traiter en tant que protagoniste de la démocratie réelle de notre pays, porteur d’un message et d’une forme d’action certes non conventionnelle mais totalement partie prenante de l’espace des conflits et rapports de force qui sont le propre d’un pays comme le nôtre ?
La leçon politique essentielle à tirer de mon discours le 5 juin n’est sûrement pas sa conséquence plus ou moins probable sur le prétendu espace « social-démocrate ». C’est plutôt le contenu que je propose de prendre en charge comme programme politique. Et comment les thèmes que j’ai soulevés et liés entre eux permettent de construire ou non une majorité électorale. Je crois donc que si la politique doit se débarrasser des coups de com., l’information devrait l’aider à le faire en se débarrassant de cette manie de se limiter aux gloses tactiques.