L’épisode des inondations de ces derniers jours me ramène aux questions de fond du moment écologique. Le réchauffement climatique, c’est d’abord de la pluie. Et des phénomènes extrêmes. Les travaux scientifiques ne cessent de mettre en alerte. Bien sûr, personne ne peut dire avec certitude que l’épisode de pluies torrentielles de la semaine dernière est une conséquence directe du changement climatique. Mais tout le monde est frappé de constater la conjonction des événements. Notez tout de même combien il est rare que pleuve en deux jours, fin mai, l’équivalent de deux mois de pluie. Notez que cet épisode pluvieux intervient après que l’année 2015 a été « la plus chaude » depuis 1880. Et après que les mois de février, mars et avril 2016 ont été également les plus chauds jamais enregistrés depuis que sont tenues les statistiques météos. Or, la chaleur provoque plus d’évaporation et donc plus de pluie en bout de chaîne comme je l’avais relevé dans mon livre L’Ère du peuple. Je souligne au passage que nous avons eu de la chance que ces inondations ne touchent pas les centrales nucléaires situées sur les principaux fleuves du pays et qui auraient pu être noyées.
Le productivisme porte une lourde responsabilité dans les inondations. Il est directement responsable de la non infiltration d’une grande quantité de la pluie tombée dans les sols. De quoi s’agit-il ? De l’imperméabilisation des sols. Les sols, sur lesquels l’eau ruisselle au lieu de s’infiltrer. En cause, un double phénomène. D’abord la bétonisation massive des terres agricoles pour construire des parkings, des zones commerciales, des autoroutes, des lotissements et combien d’autres infrastructures d’étalement urbain. Ensuite, il y a l’appauvrissement des sols agricoles sous les coups du productivisme. L’usage massif des pesticides et la mono-culture répétée dans le temps détruisent les racines mais aussi la faune, les vers de terre notamment, qui permettent aux sols d’absorber l’eau pluviale et de retenir la terre lorsqu’il pleut beaucoup. Je renvoie mes lecteurs à l’excellent article publié sur le site internet Reporterre à ce sujet. Cela me ramène à un débat récent.
Peut-être vous souvenez vous de l’échange que j’ai eu avec « l’agricultrice » venue réciter les couplets de la FNSEA dans l’émission « Des paroles et des actes » du 26 mai. Je voudrais revenir sur le fond de l’échange. Je laisse donc de côté le subterfuge organisé par l’équipe de la télé publique pour faire de cette femme la paysanne qu’elle n’est pas vraiment du moins au sens où on l’entend d’habitude. Ce moment de télé a déclenché un important mouvement de réactions dans le monde des nouveaux paysans. Car la dame paraissait comme illuminée par son discours alors même que pour tous les observateurs et bon nombre de praticiens du sujet, les raisons abondent pour constater la crise sur laquelle débouche le modèle céréalier productiviste.
Et quand elle a commencé à dire que cette agriculture va permettre de nourrir les onze milliards d’êtres humains à venir, plus d’un se pinçaient ! Car le tassement des rendements céréaliers conventionnels est plus qu’avéré ! La production a continué à augmenter depuis les années 1970. Mais les aléas climatiques croissants ont fait baisser les rendements de 10 % en moyenne. Le recul est même de 20 % dans les zones où la monoculture céréalière est la plus intensive comme en Amérique du Nord et Europe. C’est ce que confirme une étude récente de la Revue « Nature » qui ne passe pas pour être enrôlée par les écolos. C’est donc précisément l’agriculture du nord qui est la plus directement affectée par l’abus des méthodes productivistes. Au nord, l’épuisement des sols lié à l’azote chimique (nitrates) utilisé par les cultures conventionnelles crève les yeux. Le taux de matière organique dans le sol des champs de blé français est passé de 4 % en 1900 à 1,8 % aujourd’hui. C’est ainsi le capital écologique de l’agriculture qui est atteint au contraire de l’optimisme béat professé par la dame de France 2. Dès lors, la généralisation de ce modèle aux pays du Sud serait catastrophique. Elle deviendrait vite impraticable à cause de la plus grande fragilité des sols et du manque d’eau notamment. Ici, la conséquence est directement géopolitique. L’essentiel des besoins alimentaires supplémentaires à venir étant dans le Sud, il faut protéger et renforcer leurs systèmes agricoles plutôt que de les détruire par des importations. C’est pourtant le contraire qui se fait !
Mais il faut aller au-delà encore. La critique du modèle productiviste sous l’angle des dégâts qu’elle provoque couvre un large champ de réalités. Toutes ne sautent pas aux yeux. Ainsi quand il s’agit de la toxicité à long terme de certains procédés intensifs. Prenons un exemple peu connu des urbains qui voient la campagne de loin : les raccourcisseurs chimiques de pailles ! Pour avoir des pailles moins hautes, capables de supporter des épis plus lourds et d’avoir donc des récoltes plus rapides et plus faciles on gave le sol de produits chimiques. Ils ont un impact sur tout l’écosystème, bien au-delà des formes déjà connues d’infection des sols. Les maraîchers et les vignerons utilisant des paillages dans leurs cultures, par exemple pour protéger les jeunes plantations, constatent des syndromes de raccourcissement des tiges et des sarments !
Un autre exemple de ce genre implique la sélection génétique des blés. Il est clairement établi qu’elle a modifié les glutens en les rendant plus allergisants. D’où l’épidémie d’allergie au gluten, même si l’on sait qu’elle est aussi causée par d’autres facteurs environnementaux. En tous cas on doit bien constater moins d’allergies avec les blés anciens cultivés en bio. Et ainsi de suite tout au long de la chaîne. La baisse de la qualité du blé conduit à la baisse de celle du pain… Et cela exactement pour la raison des méthodes dont se gargarisait la dame agrarienne ! Il y a une tendance vérifiée à la baisse de la valeur protéique des blés à haut rendement, ceux-là mêmes qui réclament pourtant beaucoup d’azote ! J’aurais bien aimé avoir pu en parler aussi avec le « boulanger de l’Élysée » seulement obsédé par la possibilité de licencier. Car avec certains blés low cost, à faible qualité gustative, utilisés massivement par la grande distribution, il faut ajouter à la pâte plus de sel et plus d’acide ascorbique (vitamine C) pour panifier ! On aurait pu faire le lien entre ce deux « Français » censés représenter les problèmes de leur profession ! Il n’a pu être fait. Non à cause de moi mais à cause d’eux qui ont une approche purement « gestionnaire » de leur métier !
Maintenant, je reviens sur un autre point qui m’a été opposé dans la discussion. Il s’agit des rendements de l’agriculture biologique dont la dame prétendait qu’ils étaient incapables de répondre aux besoins ! Les rendements céréaliers bruts en bio (autour de 40 quintaux à l’hectare) sont certes entre 40 et 50 % plus faibles qu’en agriculture conventionnelle où ils sont autour de 80 quintaux à l’hectare. Mais, en dépit des apparences de la quantification, ces rendements ne sont pas directement comparables. Car ce ne sont pas les mêmes variétés produites, d’une part, et, d’autre part, parce qu’il faut intégrer l’impact global de ces modèles sur tout l’écosystème. Or, dans l’estimation de la valeur ajoutée de l’agriculture conventionnelle, il n’est tenu aucun compte du cout de l’altération des sols, des eaux etc…
Ensuite si l’on compare le rapport des produits finis, on note que le prix des céréales bio (entre 400 et 500 euros le quintal) sont entre 3 et 4 fois supérieurs à ceux des conventionnels (entre 100 et 150 euros). Par conséquent même avec des rendements deux fois moins importants, la marge du paysan bio peut être deux fois plus importante ! Oui, dira-t-on, mais ça coûte plus cher et donc cela réduirait le pouvoir d’achat des consommateurs surtout celui de ceux qui ont le moins. On voit que la réponse est au choix : ou tout le monde mange mal sauf les riches ou on augmente les salaires. Le pouvoir d’achat, loin d’être l’ennemi de l’écologie, en est au contraire le support. En toute hypothèse la demande est là. On constate une forte hausse de la demande de pain bio. Faute de production suffisante en France, un tiers des blés bio doivent être importés ! Et pendant ce temps on exporte des blés conventionnels ! Une logique absurde, au détriment des paysans, des consommateurs et de l’environnement.
Pour conclure je veux examiner sérieusement l’argument d’après lequel l’agriculture bio ne serait pas capable de faire face aux besoins alimentaires de l’humanité. Nourrir toute l’humanité en agriculture bio, est-ce possible ? Cette possibilité a été démontrée notamment par colloque FAO dès 2007. Et depuis cela a été confirmé par le Programme de l’ONU pour l’Environnement et Alimentation. Notamment par le rapport d’Olivier de Schutter. En effet, l’écart de rendement est moins important entre bio et conventionnel dans les pays du sud. Pourquoi ? Parce que l’on y a moins détruit les sols ! Avec des méthodes polyculturales et de cultures associées, les rendements du bio sont même parfois supérieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle. C’est au total une voie plus sure que celle préconisée par notre amie l’agrobusiness woman ! Car dans son modèle, la hausse des coûts de production et de la dépendance chimique est incontournable. Et avec elle la fuite en avant dans l’utilisation de nouvelles variétés et de nouveaux produits chimiques. Dont la conséquence réamorce le cercle vicieux actuel pour maintenir les rendements. Car alors suit la hausse des résistances des parasites aux molécules de traitement. Il faut alors d’autres produits plus virulents ou des doses plus fortes de ceux qui détruisent déjà tant autour d’eux.