Le pillage et le gaspillage issus de la privatisation des autoroutes connaissent un nouvel épisode. Ainsi, les tarifs des péages vont augmenter pour financer des travaux. Pourtant, l’entretien du réseau est bien à la charge des sociétés privées à qui l’État a « concédé » les autoroutes. Pourquoi ne piochent-elles pas dans leurs bénéfices et les dividendes versés à leurs actionnaires ? Sans compter que cette hausse va s’ajouter au « rattrapage » obtenu par les sociétés d’autoroutes suite au « gel » des tarifs décidés par Mme Royal en 2015. C’est une « grande arnaque » qui se poursuit comme l’a dénoncé Laurent Maffeis dans l’édito de L’Heure du peuple. Du « foutage public de gueule » si vous préférez la version de Perico Légasse dans Marianne !
Ce sera une hausse de 0,4% chaque année entre 2018 et 2020. Total ? Un milliard d’euros prélevés pour subventionner Vinci ou Eiffage et payer à leur place les travaux. Pourquoi cette hausse ? Officiellement pour un « plan autoroutier ». Attention, il paraît que c’est un plan « écologique ». Comprenez, c’est pour faire des tunnels pour faire traverser les animaux sous les autoroutes, poser des murs anti-bruit et réaliser quelques aires de covoiturages. Mais aussi quelques échangeurs qui avaleront l’essentiel de la somme. Pourtant, au moment de la privatisation des autoroutes sous le gouvernement Villepin, il avait été clairement dit que l’entretien et le développement du réseau serait à la charge des entreprises privées, non ? C’est même comme cela qu’ont été justifiés les prix cassés auxquels les autoroutes ont été bradées !
En fait depuis 2006 nous pouvons parler d’une rente autoroutière servie sans contreparties ! Car depuis cette date, le chiffre d’affaire de ces sociétés a augmenté de 26% quand dans le même temps seulement l’augmentation du trafic n’était que de 4% ! La hausse des tarifs est en moyenne de 1,97% par an. Dès lors, la marge nette est de 20 à 24% et les dividendes distribués depuis 2006 sont de 14,6 milliards. Qui dit meilleur placement ? Plus sûr, moins cher, et qui rapporte autant comme une poule pondeuse ? L’autorité de la concurrence parle elle-même de « rente ». Elle note que les charges sont maîtrisées et ne justifient pas une telle marge. En effet, certains investissements sont compensés par l’État. La dette cumulée est de 24 milliards d’euros mais c’est une dette sans risque. De plus, scandale suprême, les intérêts de cette dette sont déductibles des impôts des sociétés qui grattent ainsi 3,4 milliards depuis 2006. L’autorité note aussi que l’activité des sociétés autoroutières n’est que peu sensible aux baisses de fréquentation. Les routes nationales sont peu substituables et les études montrent que l’évolution des prix n’affecte pas ou peu le trafic. La totale !
L’autorité de la concurrence note enfin que les attributions des marchés de travaux ne sont qu’en apparence conformes aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles les sociétés sont soumises. Car de 30 à 50% des marchés sont attribués à Vinci et Eiffage (et cela concerne, bien sûr, les contrats les plus gros). L’autorité note pudiquement que l’appartenance des sociétés aux groupes Vinci et Eiffage favorise les échanges d’informations et leur donne une position plus favorable. D’ailleurs les sociétés minorent le critère prix dans la procédure d’attribution des marchés, au profit de critères techniques que l’autorité juge subjectifs.
La conclusion que livre l’autorité est de mettre en place une vraie concurrence dans l’attribution des marchés et aussi que l’État renégocie à la faveur du plan autoroute une nouvelle formule d’indexation des prix, ainsi que des clauses de réinvestissement et de partage des bénéfices. On peut, bien entendu, en tirer une conclusion tout autre. Les nôtres qui seraient de renationaliser. Celle de Hollande qui consiste à fermer les yeux et prolonger sans frais la rente autoroutière !
En attendant, le scandale est total. Les Français ont payé par leurs impôts et par leurs péages le réseau autoroutier. Et depuis une dizaine d’années, tous les profits sont captés par des entreprises privées. En plus, celles-ci refusent d’assumer la charge d’entretien du réseau. Elles avaient déjà obtenu une prolongation de leur durée de concession en échange d’un précédent « plan d’investissement autoroutier ». Cette fois, le ministre explique qu’il n’a pas retenu l’idée d’une nouvelle prolongation des concessions car la procédure serait trop longue. Donc l’usager payera directement, au péage. Si c’était pour faire payer les Français, pourquoi ne pas avoir gardé les autoroutes publiques ? Au moins l’argent des péages irait-il dans les poches de l’État plutôt que dans celles d’actionnaires privés. Et les investissements annoncés ne seront contrôlés par personne. En effet, ils seront seulement soumis à un « avis consultatif » de l’autorité de régulation.
Ce pillage et cet abandon de la politique de transport sont écoeurants. En abandonnant les autoroutes et les ressources qui s’en dégagent au privé, les gouvernements successifs ont renoncé à toute politique de transition énergétique en matière de transports sur longue distance. Voyez le réseau ferré abandonné, sous-entretenu, ou rendu hors de prix que ce soit pour les voyageurs ou pour le fret. Voyez l’abandon d’une vingtaine de lignes de trains « Intercités » d’équilibre du territoire. Voyez la concurrence organisée entre les bus Macron et les trains, et demain entre différents opérateurs ferroviaires pour les trains régionaux comme l’a annoncé le même ministre Vidalies, anticipant sur le 4e paquet ferroviaire. Voyez l’abandon du projet d’autoroute ferroviaire entre Calais et le pays basque qui aurait réduit massivement le nombre de poids lourds sur les autoroutes. Voyez l’absence de politique publique pour développer les ports français et leur lien intermodal avec le pays par le fret ferroviaire ou le transport fluvial. Sans parler du cabotage entre ports français. Ni évidemment de l’abandon de toute taxe sur le transport poids lourds au prétexte que l’écotaxe était mal ficelée et alors que le gouvernement autorisait les poids lourds de 44 tonnes. Et réfléchissez aussi au lien entre l’organisation du territoire autour d’une petite poignée de métropoles et son impact sur l’explosion des transports au lieu d’œuvrer à rapprocher les zones d’emplois, d’habitation et de services publics à la population.
Évidemment, en matière d’autoroutes, tout est fait dans le secret. Savez-vous que le militant grenoblois Raymond Avriller se bat actuellement en justice contre le ministère des Finances pour obtenir les documents administratifs relatifs au précédent plan de relance autoroutier de 2015 ? Le tribunal administratif lui a donné raison. Mais le ministère a formulé un recours devant la Cour de cassation pour préserver la confidentialité de ces documents. Qu’a-t-il à cacher ? Que les Français sont les vaches à lait des majors du BTP ? Que la privatisation des autoroutes a été un vol légal ? C’est inutile, on l’a déjà compris. La reprise en mains publiques des autoroutes est une nécessité. La renationalisation doit être organisée. Mais je préfère prévenir : ceux qui ont profité de ces largesses pendant des années ne doivent pas s’attendre à être indemnisés sans que nous tenions compte de cette ponction indue.