À l’assemblée générale des Nations Unies en 2015, l’Europe s’était engagée à « mettre un terme à la surpêche » et « aux pratiques de pêche destructrices » à l’horizon 2020. En Europe, la directive cadre « Stratégie pour le milieu marin » dicte de « préserver les écosystèmes marins ». Et elle précise : « cette approche devrait prendre en compte les zones protégées et porter sur l’ensemble des activités humaines ayant un impact sur le milieu marin ». Bel et bon. Mais ce ne sont une fois de plus que de louables intentions. Les lobbies de Bruxelles ont tôt fait de les interpréter en sens exactement contraire quand il le faut. Car dans les faits, la situation est à l’inverse.
Le 27 novembre dernier au port de Calais, se réunissaient les marins pêcheurs des Hauts-de-France. Ils pêchent dans les mêmes eaux que les Néerlandais qui pratiquent activement la « pêche électrique ». D’après nos pécheurs, cette pêche épuise la faune marine au-delà de tout ce qui avait été constaté jusque-là. Il s’agit d’une pratique très violente. Les chaluts à perches possèdent des filets fixés à une armature rigide et lestés pour racler les fonds ; dans le cas de la pêche électrique, les chaînes sont remplacées par de gros câbles chargés d’électrodes. De là partent des décharges dans le sédiment afin de capturer plus facilement les poissons plats qui s’y trouvent.
On connaît les impacts sur les espèces pêchées de cette façon. La situation actuelle en Mer du Nord alarme scientifiques et pêcheurs responsables. Tous témoignent des lourdes conséquences de la pratique sur les poissons et les écosystèmes : altération de la reproduction, dommages sur les œufs et juvéniles, réduction de l’apport en nourriture, affaiblissement du système immunitaire et vulnérabilité accrue aux agents pathogènes, bancs entiers de poissons présentant des ecchymoses, modifications de la chimie de l’eau, et tout ce qu’on ne sait pas encore. D’après une étude du ministère de l’Agriculture néerlandais, 50 à 70% des cabillauds de grande taille pêchés de cette façon ont la colonne vertébrale fracturée. Les indices de gravité de la situation ne manquent pas. Déjà on observe une baisse stupéfiante des populations marines. « Entre 3 et 20 nautiques, il n’y a plus de petits poissons » explique le président du Comité des pêches du Nord-Pas-de-Calais/Picardie. D’où un épuisement accéléré des espèces frappées. C’est bien pourquoi la pêche électrique est interdite en Europe depuis 1998, au même titre que la pêche à l’explosif. Tout comme au Brésil, aux USA, en Australie…
La question vient sur le tapis parce que le Parlement européen est saisi d’une proposition de règlement. En effet, la politique commune de la pêche (PCP), pourtant entrée en vigueur en janvier 2014, est déjà jugée complexe et même assez incohérente. Officiellement, il a été proposé de modifier les mesures techniques régissant les modalités d’exercice de la pêche ainsi que les lieux de pêche. Ces mesures techniques ont pour finalité annoncées de contrôler les captures et de réduire au minimum les incidences de la pêche sur l’écosystème. Ah les braves gens ! Mais on mesure vite l’écart traditionnel entre les intentions annoncées et les mesures prises effectivement. Car le 21 novembre dernier, la commission PECH du Parlement européen a accepté par 23 voix contre 3 l’élargissement des autorisations de pêche électrique. Et cela au nom des méthodes « protectrices » ! On croit rêver. Mais c’est évidemment une aubaine pour certains.
En effet depuis 2007, des révisions successives de ce règlement ont permis aux Néerlandais, féroces défenseurs de cette méthode de pêche, d’obtenir une batterie de dérogations. Ainsi, depuis 2013, la réglementation prévoit que les États membres peuvent équiper en électrodes jusqu’à 5% de leur flotte de chalutiers à perche dans la mer du nord. Cependant, d’après les recherches de l’association Bloom, les Pays-Bas ont déjà violé la réglementation en vigueur. En effet ils ont équipé – au titre de « la recherche et de l’innovation » – 28% de leurs chalutiers à perche. Soit 84 navires ! On est loin de la modeste tentative expérimentale promise.
Une fois la « méthode » de pêche électrique mise en débat au Parlement européen, les lobbies ont su trouver les mots pour continuer à euphémiser le problème. Foin du spectacle consternant des ramassages de poissons à la colonne vertébrale brisée. Motus sur les fonds vides de toute vie animale ! En commission PECH du Parlement européen, des députés de la droite ont proposé plutôt de voir les choses sous un angle plus euphorique. Ils ont donc déposé des amendements pour définir cette méthode de pêche comme étant « innovante ». L’adjectif ébahissant vaut blanc-seing et droit à subventions quasi automatique.
Notre député Younous Omarjee est monté en ligne pour proposer des amendements supprimant totalement la possibilité de recourir à la pêche électrique. Sa bataille a aussi été une bataille de retardement pour que la mobilisation de l’opinion ait le temps de s’organiser. En vain pour l’instant. Car si l’on s’en tient aux résultats du vote de la commission, la pêche électrique serait bel et bien autorisée en mer du Nord sans limitation. Mais elle pourrait aussi très probablement être utilisée en dehors de la mer du Nord par des navires de pêche en tant que « méthode de pêche innovante ». Et cela pour tous les types de pêche.
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Le doute s’installant quand même, la commission PECH n’a pas donné de mandat de négociation au rapporteur Gabriel Mato, membre espagnol du Parti Populaire Européen (PPE). Pas d’arrangement discret possible, donc. Dès lors, le rapport et le mandat de négociation devront être votés en session plénière. Ces votes devraient avoir lieu à la prochaine session plénière en janvier 2018.
Si le document est adopté en plénière, le Parlement européen engagera une négociation avec le Conseil des gouvernements pour parvenir à une position commune. C’est comme ça que ça fonctionne puisqu’il s’agit d’une procédure dite « en co-décision » une des merveilles institutionnelles de l’Union Européenne. On peut donc craindre le pire, sans pessimisme excessif. Raison de plus pour s’engager. Nous avons commencé à l’Assemblée nationale française. D’abord en posant une question d’actualité au gouvernement en séance plénière et publique. Par la voix d’Adrien Quatennens, député de Lille. Les pécheurs de son secteur sont en effet concernés. Mais l’intention était aussi de mettre sa notoriété au service d’une cause dont l’enjeu dépasse le cadre géographique. Puis nous avons cherché et trouvé des partenaires dans les rangs des autres formations politiques présentes à l’assemblée. En fait, le député Joachim Son-Forget, de « La République en Marche », et co-animateur avec moi de la mission Mers et Océans de l’Assemblée nationale, a posé une question en novembre dernier sur le même sujet. Nous pensons qu’il a été heureux de croiser notre chemin.
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Entre ses initiatives et les nôtres, un parcours a été mis au point. Premier temps : nous déposons une tribune de presse commune à des députés de divers groupes. Deuxième temps nous déposons une résolution commune sur le bureau de l’Assemblée. Troisième temps, action au Parlement européen pour la date du vote le 17 janvier. Nous verrons si des mobilisations associatives ont lieu pour les appuyer et nous y joindre quand ce sera possible. Je crois que c’est là un exemple de l’intensité du déploiement de notre groupe parlementaire sur les dossiers de l’écologie. Les deux meneurs de cette action dans la commission concernée, Mathilde Panot et Loïc Prudhomme, ne restent pas confinés dans le rôle de « spécialistes » d’un domaine d’action. Ils impliquent dans l’action tous les membres du groupe, quel que soit leur domaine.