L’obscène sortie de Castaner à propos des sans-abris a cruellement mis à nu une double réalité : celle de l’abandon à la rue et celle de la bonne conscience des classes dirigeantes. L’année 2017 est encore une fois meurtrière pour les sans-abris. Pourrait-il en être autrement ? Mais la mort cette année frappe moins silencieusement. Même les médias s’y intéressent. Dans la rue ce 2 janvier, à l’appel du DAL (droit au logement), les meilleur(e)s des nôtres marchaient pour exiger la réquisition des locaux vides du Val-de-Grâce. Comment vous dire quelle gratitude on ressent en voyant ces personnes mobilisées pour les abandonnés. Comme l’abandon est la honte ineffaçable de ce système pourri, ces mobilisés sont l’honneur de notre société. Car l’abandon à la rue n’est plus la périphérie du système. Il est un attribut permanent de son fonctionnement. Le ruissellement de la misère fait partir de tous les niveaux sociaux des vaguelettes vers le bas, vers la désocialisation, vers la solitude vers la rue. On meurt à la rue toute l’année sans pause ni trêve ! On ne meurt pas à la rue qu’en hiver.
Depuis janvier 2017, l’association « Les morts de la rue » a recensé au moins les sans-abris décédés. Bien sûr, le travail de cette association est avant tout mémoriel. Son but est de rompre l’anonymat de ces morts silencieuses, pas de faire des statistiques. Cela ne nous empêche pas de savoir. Une étude réalisée il y a quelques années à partir des données du centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès évaluait à 2000 par an le nombre de morts dans la rue. On ne connait pas le nombre réel et exact. Tout comme on ne connait pas le nombre de sans-abris puisque le dernier chiffre publié par l’INSEE à ce sujet date… de 2012. Notre pays comptait alors 143 000 personnes privées de domicile personnel dont 30 000 enfants. Cela représentait une augmentation de 50% en 10 ans.
Le 25 décembre, l’association Droit au Logement est allé manifester devant le ministère du Logement. Les militants ont voulu en cette occasion rappeler la promesse du Président de la République qui, le 27 juillet dernier, claironnait : « d’ici la fin de l’année, je ne veux plus personne dans les rues, dans les bois ». Depuis, l’action du gouvernement conduit au résultat inverse. Il ne prend pas les mesures d’urgence pour mettre à l’abri les personnes et prend des décisions qui vont aggraver la misère. Par exemple ce refus d’ouvrir l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris, pourtant vide. Nous le lui avons pourtant demandé à l’Assemblée nationale par la voix de la députée insoumise Caroline Fiat. Le 30 décembre, des associations ont occupé symboliquement l’hôpital pour réclamer l’action du gouvernement. Il refuse de voir le problème de pénurie de places d’hébergements. M. Castaner a même pu affirmer que la responsabilité revenait aux sans-abris eux-mêmes qui « refusent, dans le cadre de maraudes, d’être logés ».
Face à de tels propos, les associations ont dû rappeler le dernier état du baromètre du 115, le numéro d’appel pour les sans-abris. Il est saturé. Incapable de répondre à la demande. Dans le département des Bouches-du-Rhône, seul un tiers des appels au 115 ont abouti à une proposition d’hébergement. À Paris, c’est seulement un quart, en Seine-Saint-Denis 17%, et dans le département du Nord, 6%. Un tel scandale devrait justifier d’utiliser la loi de réquisition des logements vides. N’oublions jamais que cette possibilité existe dans notre ordre juridique. Une ordonnance de 1945 permet de réquisitionner un local vide depuis plus de six mois « en cas de grave crise du logement » et une loi de 1998 étend cette possibilité pour réquisitionner des immeubles entiers laissés vacants. Il y a là un gisement pour mettre à l’abri les personnes à la rue. Cet été, l’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) publiait une étude dans laquelle il estimait à plus de 200 000 le nombre de logements inoccupés à Paris, soit 15% du total. Dans les arrondissements centraux, cette proportion monte même à un quart des logements.
Ce sont là des solutions d’urgence que le gouvernement pourrait appliquer s’il prenait au sérieux la promesse de cet été du Président. Mais l’hébergement d’urgence, aussi indispensable soit-il, ne constitue pas une solution pérenne. Toutes les associations pointent le manque de logements bon marché comme le véritable défi. L’objectif ne doit pas être de fournir, pour quelques jours ou quelques semaines un hébergement, souvent de mauvaise qualité, mais de sortir de la rue de manière durable les personnes qui y sont et donc de leur fournir un logement. De ce point de vue, le budget voté par la majorité va aggraver la situation. En effet, pour respecter la règle européenne des 3% de déficit, il coupe 1,5 milliard d’euros dans le budget des organismes HLM. Ainsi, alors que déjà près de 2 millions de familles sont sur liste d’attente pour l’attribution d’un logement, ce sont 54 000 logements sociaux qui ne pourront pas être construits en 2018 à cause de ces restrictions budgétaires.
Le marché privé de la location ne peut pas répondre aux besoins sociaux. La spéculation y a fait exploser le niveau des loyers. Le 28 novembre dernier, le faible encadrement des loyers mis en place à Paris a été annulé par le Conseil d’État. Il aurait suffi au gouvernement d’étendre cet encadrement à l’ensemble de l’agglomération parisienne pour annuler cette décision puisque c’est seulement le périmètre trop restreint que contestait le Conseil. Il n’en fera rien. Dans les prochains mois, il compte créer le bail précaire : un contrat de location qui pourra être signé pour une durée de 1 mois à 1 an. Ainsi, ceux qui ont perdu la sécurité de l’emploi à cause des ordonnances vont bientôt perdre également la sécurité de leur logement.
« L’Avenir en Commun » était le seul programme pendant la présidentielle et la législative qui proposait l’objectif de zéro sans-abri. Grâce à notre plan d’investissement, nous proposions de construire 200 000 logements publics par an. Un million de logements sur la mandature, ce qui correspond au nombre que l’on aurait dû construire en plus depuis 20 ans pour répondre aux besoins démographiques. Cela est bon aussi pour l’emploi puisque l’on considère que la construction d’un logement peut générer jusqu’à deux créations d’emplois non délocalisables. Il faut aussi tarir le flux de ceux qui perdent leur logement. Il faut pour cela généraliser l’encadrement des loyers sur tout le territoire et encadrer à la baisse dans les grandes villes.
Notre programme reprenait aussi la proposition de la Confédération Nationale du Logement et de la Fondation Abbé Pierre d’une sécurité sociale du logement sous forme d’une garantie universelle des loyers. Ainsi, lorsqu’un locataire se retrouve dans des difficultés pour payer son loyer, la garantie prendrait le relai auprès du propriétaire le temps qu’il trouve une solution. Bref il n’est pas vrai que les sans-abris soient un problème sans solutions de court et moyen terme et même de très long terme. Le dénuement n’est pas une fatalité. C’est le résultat d’un rapport social. Il a des causes. En les affrontant on peut commencer à éradiquer le problème.