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Pas d’autre Rémi Fraisse à Notre-Dame-des-Landes

Plusieurs jours de suite, certains médias sensationnalistes ont bien chauffé l’opinion à propos des « zadistes » qui ont largement contribué au sauvetage du site de Notre-Dame-des-Landes contre la création de l’absurde nouvel aéroport nantais. On retrouve l’ambiance médiatique qui avait précédé la violence mortelle dont a été victime à Sivens le jeune Rémi Fraisse. Ici et là, on entend déjà dire qu’il faut s’attendre à des morts. C’est inadmissible. Soyons clairs : l’évacuation du site de Notre-Dame-des-Landes n’a aucun sens parce qu’elle n’a aucune utilité. Si l’aéroport ne se fait pas là, quel est l’intérêt de l’expulsion de gens qui s’y trouvent ? Qui oublie que ce sont des militants ? Certains resteront pour créer des surfaces agricoles ? Où est le problème ? Les autres partiront vers d’autres secteurs en lutte. Pourquoi vouloir les agresser ?

On craint donc deux choses en examinant cette agitation menaçante. La première est que les rumeurs de renoncement à cet aéroport soient un leurre destiné à permettre une attaque contre la ZAD dans le but ensuite de continuer l’aéroport sur un terrain désormais dégagé. L’autre hypothèse est que l’on se paie d’images de violence pour se donner le rôle de l’autorité au moment où le renoncement à construire à cet endroit met en cause les raisons pour lesquelles toutes les autorités depuis quarante ans, contre vents et marées, ont soutenu un projet totalement inutile. Je n’admets pas qu’on reproduise la préparation des esprits comme cela a été fait jusqu’au point de conduire à la mort de Rémi Fraisse. Car sur ce point non plus, il ne faut pas lâcher l’affaire.

Et je ne lâcherai pas l’affaire. J’ai promis comme d’autres que nous ne cesserions pas d’agir tant que toute la lumière ne serait pas faite. Elle n’est pas faite. La justice vient de conclure par un non-lieu le procès à propos de la mort de Rémi Fraisse. Je n’y trouve pas mon compte. Ce que l’on sait depuis la nuit de sa mort et tout ce qu’on ne sait pas, voilà qui a incrusté une ferme volonté de savoir et de punir les responsables si haut qu’ils aient été dans la hiérarchie et si bien cachés qu’ils aient été derrière les gendarmes qui obéissaient à leurs ordres sans savoir ni vouloir ce qui en résulterait.

Dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, Rémi Fraisse, militant écologiste de 21 ans est mort sur le site de Sivens, dans le Tarn. Il s’opposait à la construction d’un barrage à cet endroit, qui aurait été une menace pour l’écosystème de cette zone humide. Il a reçu une grenade offensive tirée dans son dos, provoquant un éclatement de ses poumons et de trois de ses vertèbres. Le 10 janvier 2017, les juges d’instruction en charge du dossier ont prononcé un non-lieu général dans l’affaire judiciaire qui a suivi sa mort.

La famille de Rémi Fraisse avait en effet déposé plainte contre X pour violences volontaires entrainant la mort sans intention de la donner et pour délit d’homicide involontaire. La première qualification concernait le gendarme qui a tiré la grenade offensive. Pour son cas, les deux juges ont considéré qu’il a fait usage de la force et de son arme dans les limites de ce que la réglementation autorisait alors et sans outrepasser les ordres de sa hiérarchie. La hiérarchie, par contre, était visée par l’accusation de « délit d’homicide involontaire ». Celle-ci visait à faire la lumière tout le long de la chaîne de commandement sur les responsabilités ayant abouti à ce drame. Sur ce point, les juges ont également prononcé un non-lieu, considérant que « la chaîne de commandement n’a commis aucune faute caractérisée ». Cette décision était attendue. Depuis le début, personne n’avait été mis en examen. Le procès sur le fond aurait-il lieu ? Non, vient-on de nous dire.

Cependant, cette décision n’a pas fait la lumière sur toutes les zones d’ombre de cette affaire. Notamment concernant les responsabilités de la hiérarchie dans les faits qui ont conduit à ce drame. Plusieurs acteurs pointent la disproportion des ordres donnés cette nuit-là. En effet, les gendarmes avaient reçu pour consigne de défendre un bout de terrain dont l’intérêt n’était pas vital pour le maintien de l’ordre. Le lieutenant-colonel qui dirigeait le dispositif, entendu comme témoin a déclaré : « Je tiens à préciser que le préfet du Tarn, par l’intermédiaire du commandant de groupement, nous avait demandé de faire preuve d’une extrême fermeté vis-à-vis des opposants ». Et en effet, dans la nuit du 25 au 26 octobre, les gendarmes ont fait un usage très important – certains disent disproportionné – de la force. Qu’on en juge : 700 grenades ont été tirées. Et bien qu’il soit établi que certains manifestants aient jeté des projectiles sur les gendarmes, aucun n’a été blessé. Par ailleurs, le préfet du Tarn était absent à partir du 25 octobre à partir de 21h30. Il n’y avait donc aucune autorité civile disponible cette nuit-là pour adapter en fonction de la situation le dispositif décidé auparavant.

Le Défenseur des Droits a publié un rapport sur l’affaire le 25 novembre 2016. Il pointe, contrairement aux juges, la responsabilité de la chaîne de commandement. Il le fait sans ambiguïté. Il constate noir sur blanc  « le manque de clarté et les incompréhensions entourant les instructions données aux forces de l’ordre par l’autorité civile, préfet et commandant du groupement de gendarmerie départementale ». Quant à la responsabilité du gouvernement de l’époque, du Premier ministre Manuel Valls et du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, elle fut immédiatement récusée à l’époque. Pourtant, elle est dans la logique politique d’un pays démocratique. En effet, ce gouvernement avait fait le choix d’appliquer une politique répressive et violente à l’égard des mouvements sociaux. Et ce malgré les multiples alertes sur la montée de la tension à Sivens dans les jours précédant la mort de Rémi Fraisse. Le choix de la violence décidée d’en haut par ces responsables politiques a pu être constaté à nouveau par les nombreux manifestants du mouvement contre la loi Travail au printemps 2016.

En tous cas, en octobre 2014, Valls et Cazeneuve étaient restés silencieux pendant 3 jours. Ils comprenaient que si l’on établissait la responsabilité de l’intensité des tirs de la gendarmerie on demanderait aussitôt qui les avait ordonnés. Rumeurs et bruits ont couru pendant de longues heures sur l’identité du mort et sur les causes de son décès. Pourtant, à la fin, Valls et Cazeneuve durent admettre l’implication de la gendarmerie dans la mort de Rémi Fraisse. Mais ils n’ont jamais assumé ni reconnu la leur en tant que donneurs d’ordre de répression disproportionnée. À mes yeux, la responsabilité des gendarmes ne peut être opposée à celle des décideurs politiques. Les gendarmes obéissent aux ordres. Il ne saurait en être autrement dans une démocratie où le pouvoir civil est tout.

Tout au long du procès, les demandes d’actes de Maître Claire Dujardin, l’avocate de la famille Fraisse, pour éclairer les zones d’ombre du déroulement de l’affaire ont été refusées. Ainsi, il a été refusé que le tribunal auditionne le préfet du Tarn en poste à l’époque, Thierry Gentilhomme. Elle demandait aussi une reconstitution du drame. Refusée également. La partie civile avait enfin demandé que soient transmises les communications écrites entre la gendarmerie, la préfecture et l’exécutif national pour pouvoir identifier d’éventuelles fautes dans la hiérarchie. Les deux juges d’instruction ont refusé. Dans son communiqué, la famille prend acte du non-lieu mais considère que « donner l’ordre de jeter des grenades offensives sur des manifestants ne peut pas être considéré comme légal et la mort d’un jeune pacifiste parmi ces manifestants, comme un accident. » Elle a fait appel de la décision et a annoncé que si cette procédure n’aboutissait pas plus, elle porterait l’affaire devant la cour européenne des droits de l’Homme pour que « la responsabilité de l’État soit engagée ». C’est exactement ce qu’il faut faire.

Nous avons de bonnes raisons de penser que les tirs décidés étaient disproportionnés. Cela non seulement en raison de l’intensité de ces tirs mais aussi du fait du type de matériel utilisé. Car depuis, le type de grenade offensive qui a tué Rémi Fraisse a été interdite d’utilisation par les forces de l’ordre. Mais d’autres types d’armes le sont toujours. C’est le cas de la grenade de désencerclement, elle aussi dangereuse. Cet été, un militant anti-nucléaire a été gravement blessé à Bure, dans la Meuse, du fait d’une de ces grenades. Lors des manifestations contre la loi El Khomri, plusieurs manifestants avaient également été sévèrement blessées. La mort de Rémi Fraisse, l’absurde violence déchaînée dans la répression des manifestations contre la loi El Khomri devrait inciter le gouvernement à faire évoluer l’ensemble des techniques et des matériels utilisés pour le « maintien de l’ordre ».

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