Temps de travail et congrès socialiste

Ne dites pas qu’il ne se passe rien au Sénat. Hier soir il manquait onze voix à la majorité de droite pour atteindre la majorité des 3/5 au Sénat. Donc, le président Sarkozy n’a pas à cette heure la majorité des 3/5 pour sa réforme constitutionnelle. Ses sergents recruteurs vont donc devoir "faire du social" comme me l’a dit l’un d’entre eux pour convaincre … Et servir des pressions amicales. Bref : la gamelle ou le baton. On verra qui l’emporte entre ces deux instruments. Aujourd’hui dans cette note je parle du débat au Sénat sur la loi à propos du temps de travail. Et aussi d’une évolution dans la préparation du congrès du Parti socialiste.

La loi sur le temps de travail est la sixième loi sur ce thème depuis la défaite de la gauche en 2002. Celle-ci fait s’effondrer le pilier central de l’ordre public social qu’est la hiérarchie des normes. Il faut bien comprendre ce point essentiel. Par exemple, dans la nouvelle loi, la fixation du contingent annuel d’heures sup, leur taux de majoration et les repos compensateurs seront désormais fixés par des accords d’entreprises ou d’établissement et seulement à défaut par la loi ou un accord de branche. La hiérarchie des normes issue du Front populaire et de la Libération voulait au contraire que l’accord d’entreprise ne puisse déroger à l’accord de branche ou à la loi que s’il était plus favorable.
Avec ce renversement de la hiérarchie des normes la loi devient donc subsidiaire. L’accord d’entreprise devient la source de droit commun des règles du temps de travail. On en revient à la situation du droit du travail avant les conventions collectives (1936) et les lois sur le marché du travail. On fait ainsi comme si la négociation dans l’entreprise était libre et égalitaire. Ce n’est jamais le cas en raison de la nature déséquilibrée de la relation de travail qui implique un lien de subordination du salarié à l’employeur.
Cette primauté de l’accord d’entreprise va conduire à une anarchie générale des normes applicables en matière de temps de travail et à une concurrence sauvage entre entreprises poussée au dumping social. C’est tout le système des négociations de branche qui est aussi déstabilisé, alors que grâce au mécanisme d’extension, la France avait atteint le record de l’OCDE en matière de couverture des salariés par les conventions collectives (97 % des salariés couverts). Les entreprises ayant les mains libres pour négocier en interne, elles n’auront plus de réel intérêt à s’entendre au niveau de la branche.
Cet article crée aussi un précédent dangereux. Si cette logique de primauté de l’accord d’entreprise était étendue aux autres secteurs du droit du travail la plupart des conquêtes historiques des travailleurs gravées dans la loi depuis 2 siècles pourraient être annulées.
En effet, pas une grande conquête sociale en France n’a été faite sans qu’une loi l’impose :
– l’encadrement du travail des femmes et des enfants au 19ème siècle, c’est la loi.
– l’indemnisation des accidents du travail en 1895, c’est la loi.
– la généralisation des retraites ouvrières et paysannes en 1910, c’est la loi.
– la création des congés payés et la semaine de 40 heures en 1936 c’est la loi.
– la création des comités d’entreprises et de la sécurité sociale en 1945/46, c’est la loi.
– l’instauration du salaire minimum en 1950, c’est la loi.
– la retraite à 60 ans en 1981, c’est encore la loi.
A l’inverse personne ne peut citer une grande avancée de la condition des travailleurs qui auraient résulté des négociations d’entreprise …

C’est assez pour aujourd’hui sur ce point. J’y reviendrai bien sûr. Mais si je fixe sur cette question de la hiérarchie des normes c’est parce qu’une nouvelle fois est faite la démonstration des limites terribles pour les travailleurs du régime du contrat par rapport à celui de la loi. J’ai déjà évoqué ce sujet sur ce blog. Il fait la différence entre la stratégie sociale-démocrate et la stratégie sociale-républicaine. Si les deux pouvaient être considérées comme équivalentes et même complémentaires, on voit qu’il en va tout autrement dans le contexte du nouvel âge du capitalisme où l’individualisation des rapports sociaux est le grand véhicule du mécanisme de pulvérisation du lien social.

LE CONGRES SOCIALISTES COMMENCE A COAGULER

Il y a un lien entre cette question du rapport entre la loi et le contrat et le congrès socialiste. En effet la majorité du parti, et très spécialement son axe central – la "ligne claire" de Collomb et Guérini – est totalement acquise à la logique contractuelle. Mais bien sûr ce débat n’est pas sur la table. Comme tous les autres il est masqué par les rideaux de fumées égotiques que le courant démocrate déploie pour que le débat se réduise à une question de personnes. Il est donc impossible de rendre compte de l’évolution d’un débat qui ne peut avoir lieu. J’en resterai donc à l’élucidation des positionnements byzantins qui se produisent ces jours-ci. L’analyse matérialiste que j’ai proposée sur ce blog fonctionne. La "société des socialistes" est un monde que les intérêts concrets travaillent plus profondément que les pirouettes idéologiques. Monsieur Normand du journal Le Monde dit cela avec élégance. Il constate que les "courants traditionnels ne parviennent plus à façonner un congrès socialiste et qu’en conséquence les grands élus tendent à prendre le pas sur les éléphants."
Mais ceux qui suivent les méandres de la préparation du congrès socialiste peuvent se fier aux informations de mon blog. J’avais annoncé que la contribution des grands féodaux serait le véritable centre de gravité sur lequel cristalliserait la myriade de poussières issues de l’ancienne majorité du parti. En faisant sa jonction avec Collomb et Guérini, Pierre Moscovici a eu l’habileté de muter le premier. Il en cueillera les fruits le moment venu. Son projet initial d’être le coeur d’une nouvelle majorité est à l’eau. De ce côté donc, les mouvements browniens vont s’accélérer. Une fois réduit Emmanuelli, Hamon, Aubry, Fabius, l’attelage sera placé devant une obligation. Ou bien expulser de leur texte les ambiguités que la présence des ultimes strauss-kahniens ne sont plus en état d’exiger. Dès lors le texte basculera à gauche. Alors pourquoi maintenir les exclusives contre le reste de la gauche du parti ? Il restera cependant à nous donner satisfaction sur le contenu et les objectifs dans le congrès. Cette discussion n’est pas la plus simple et sa conclusion n’est pas acquise. Mais si ces ambiguités demeurent, à quoi, à qui servira ce texte ? Il sera pris en tenaille entre le pôle central et nous, la gauche du parti qui s’assume et se compte.

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