De Versailles en Versailles

 

Pendant qu’on se faisait battre à deux voix près au congrès à Versailles, Sarkozy faisait le beau en Irlande. François Delapierre, le délégué général de PRS manifestait à Dublin. On trouvera son compte rendu sur le site de PRS. Je me trouvais à Versailles. Avant le week end, avec le groupe socialiste du Sénat, on s’était déjà fait bien fait battre dans les votes sur la loi à propos du temps de travail. Rude série. Mais après le vote de Versailles on peut se poser queqlues questions sur la façon dont nos affaires ont été conduites.

 

A VERSAILLES, D’UN CHEVEU

Ce vote du Congrès du parlement à Versailles s’est bien mal fini pour nous, l’opposition de gauche. Je ne crois pas qu’il faille en attribuer la responsabilité exclusive à Jack Lang, même si de toute façon chaque voix acquise au projet de Nicolas Sarkozy est directement responsable du résultat. Mais s’il faut faire la liste des manquements, on ne doit oublier personne et tout particulièrement les radicaux de gauche qui ont suivi leur président, Jean-Michel Baylet. Sans eux, même avec Jack Lang, la réforme ne passait pas. Pour ma part, je ne crois pas à la thèse d’après laquelle tous ceux qui ont voté pour cette réforme ont été achetés. En tous cas pas ceux là. Ils sont convaincus. Tous sont partisans du régime présidentiel. Leur engagement ne date pas de ce jour. Ils ont voté conformément à ce qu’ils croient juste. Ils n’ont jamais été pris sur leur terrain. D’une façon générale l’erreur que le PS a commise, face à la majorité de droite et face au pays est de ne pas avoir porté le débat sur le registre qui est vraiment le sien : régime parlementaire ou régime présidentiel ? En réunion de groupe à l’assemblée, François Hollande avait expressément refusé que ce débat soit ouvert. Lourde erreur. Du coup nous avons été enfermés dans le soupesage article par article pour savoir s’il y avait plus ou moins de pouvoir pour le parlement. Or dans un régime présidentiel, le parlement n’est pas sans droits. Encore heureux. Expliquer que cette réforme n’augmente pas les droits du parlement est une tâche qui nécessite d’aller au fond et de ne pas rester en surface. Car sinon même si les « avancées » du texte (notez les guillemets s’il vous plait) sont plus cosmétiques que réelles et parfois même sont carrément des trompes l’œil, il est difficile pour des réformiste d’affirmer qu’un petit mieux n’est pas acceptable au nom d’un hypothétique plan « b » ultérieur. Cette argumentation ayant beaucoup servi contre nous à l’occasion des deux votes de réforme de la Constitution en vue des traités européens, il est savoureux de voir les arroseurs arrosés à leur tour. Evidemment François Fillon a beaucoup servi l’argument dans son discours. Il a pu rappeler qu’à l’assemblée la gauche a fait passer cinquante amendements dans le texte ! Il n’a pas été  démenti. Montebourg s’est même longuement réclamé de ce travail «patient» et de cette « main tendue » des socialistes. L’observateur sérieux qui aurait suivi tout cela au jour le jour saurait évidemment faire la part des choses et admirer cette fine tactique destinée à montrer que les socialistes ne sont pas sectaires puisque c’est parait-il le but de cette manœuvre plus qu’ambiguë. Du coup, les 19 parlementaires socialistes qui ont signé une tribune dans «Le Monde» ne paraissaient pas si décalés de la pente générale du groupe socialiste à l’assemblée.Tout cela c’est beaucoup de confusion. Et la confusion ne nous a guère aidé, voila le bilan. Comme d’habitude, certaines simplifications de la presse télévisuelle ne nous ont pas non plus facilité la tache. Mais faut-il en être chaque fois étonné ? Ainsi quand a été répété en boucle que la réforme comportait un droit de veto du parlement sur les nominations du président, par exemple. C’est naturellement absolument faux. Le sondage du journal du dimanche passant la dessus avec des questions d’une part ponctuelles d’autre part aussi biseautées que cet énoncé, il est clair que «Le Figaro» pouvait ensuite titrer tranquillement « Sarkozy joue l’opinion contre l’opposition» sans risquer d’être démenti. L’opinion : 900 personnes interrogée par des questions truquées.

LE TEMPS DE TRAVAIL EN DEBAT

Le titre deux du projet de loi sur le temps de travail est venu en débat au Sénat vendredi dernier. La séance s’est achevée à dix neuf heures après un ultime incident de séance car le ministre aurait voulu qu’on y passe une nuit de plus…  La première partie fixait les critères de représentativité des protagonistes de ce qu’il est convenu d’appeler la démocratie sociale. Cette partie du texte est d’une nature profondément différente du premier car il touche aux principes mêmes de l’ordre public social. En effet elle traite de la façon dont va s’organiser la hiérarchie des règles du rapport social. Ce qui a été décidé marque une rupture très profonde. Nos concitoyens ne la perçoivent pas forcément, j’en conviens. Mais le débat public n’a pas permis qu’il en soit informés avec toute la force que cela mériterait. Voyons donce cela.

L’ordre public social peut s’organiser de deux manières: La première repose sur une relation contractuelle pure et simple entre, d’un côté, les employeurs et, de l’autre, les salariés pris en tant qu’individus. Tout le vocabulaire des modernes est imprégné de cette vision. Ils ont toujours les mêmes mots à la bouche: flexibilité, individualisation, personnalisation… En quelque sorte, c’est un droit privé contractuel qui définit, pour finir, l’intérêt général du pays. Le deuxième mode d’organisation envisageable est l’ordre public social républicain, fondé sur l’intérêt général. Pour l’illustrer, je prendrai – parce qu’elle emploie nos mots à nous, les gens de gauche- la formule de Jaurès, selon laquelle la Révolution a fait du Français un roi dans la cité et l’a laissé serf dans l’entreprise. L’expression est forte et dit bien ce qu’elle veut dire: l’œuvre historique du socialisme consiste à faire en sorte que le salarié soit de nouveau citoyen dans l’entreprise.

Je ne dis pas que nous ayons tous à partager ce point de vue, mais j’essaie d’éclairer cette autre version de l’ordre public social où «entre le faible et le fort, le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime et la loi qui protège», selon la formule indépassable de Lacordaire. L’ordre public social républicain repose sur une hiérarchie des normes: primo la loi, secundo la convention collective, qui peut-être meilleur que la loi, et tertio l’accord d’entreprise, qui peut-être meilleur que la convention collective. Il n’est pas possible de procéder dans l’autre sens parce qu’on part de l’idée qu’il existe un intérêt général. C’est tellement vrai que les Français, par exemple, font aussi de leur ministre du travail le ministre de la santé au travail car ils considèrent qu’il porte l’intérêt général de la société, ce qui suppose que la société défende un intérêt propre, différent de l’intérêt d’une entreprise en particulier, et même de la décision individuelle du travailleur. Cet intérêt général ne se limite pas seulement au bon fonctionnement de l’entreprise. L’investissement réalisé par la société dans la formation du travailleur, dans l’autorisation d’implanter l’entreprise, dans les moyens mis à sa disposition, tout ceci procède de l’intérêt général et donne des droits à la société sur l’entreprise en particulier. Partir de l’intérêt général, telle est la construction philosophique de cette conception républicaine et c’est cette logique que nous sommes en train de renverser! Il y a peut-être là matière à un débat, mais il faut l’assumer. Sinon, on ne comprend pas de quoi l’on parle et nos concitoyens sont frustrés de la noblesse du débat politique qui consiste à confronter des vues différentes. Peut-être sera-t-il avéré, à long terme, que les uns ont raison et les autres torts _ j’ai la faiblesse de penser que nous aurons raison sur le long terme. Mais ne fuyons pas ce vrai débat, ne jouons pas la partie absurde que nous voyons jouer dans certains pays anglo-saxons et qui a des répercussions en France, cette fameuse «triangulation» qui consiste à s’attribuer les mots de la partie adverse pour les subvertir, si bien qu’à la fin plus personne ne sait quels sont les points de vue en présence de quoi l’on parle plus. Voilà l’objet du débat: dorénavant, un droit particulier s’inscrira à la place de la loi qui fixe _ on comprend que certains y soient hostiles _ pour tout le monde et de la même manière _ ce dont nous sommes partisans _ les mêmes droits pour tous _ étant entendu que la loi fonde sa légitimité dans le fait que, décidée par tous, elle s’applique à tous. Ce droit particulier résultera de la négociation de gré à gré: certains pensent qu’elle est meilleure, d’essence supérieure et plus souple que la loi votée par tous et pour tous _ nous pensons le contraire. Nous le pensons car les questions qui vont être traités de gré à gré entre l’employeur et l’employé ne sont pas des questions particulières, elles relèvent de l’intérêt général. La santé d’un travailleur ne lui appartient pas, elle appartient aussi à la société! C’est pourquoi on a imposé les cotisations sociales. Au XIXe siècles, cotisait qui voulait: de bons patrons, qu’on qualifiait de paternalistes, avaient la vertu d’instaurer des cotisations dans leur entreprise pour que les vieux salariés touchent une retraite. Cela faisait une grande différence: mon arrière-grand-père a travaillé jusqu’à soixante-quinze ans et son patron a bien voulu lui verser une paie pour les huit mois de vie qui lui restaient! L’existence des cotisations changeait tout, mais c’est le patron qui en décidait. La loi est venue dire «Maintenant, content ou pas, tout le monde cotise! » Un travailleur pourrait prétexter qu’il va très bien, qu’il n’a besoin de rien et qu’il ne voit pas pourquoi il paierait pour les autres _ on entend parfois de tels propos _ mais la loi lui dit: « Tu le feras quand même, parce que la santé de l’autre t’intéresse, t’implique et te concerne! Tu n’as pas le droit de ne penser qu’à toi!» Notez bien que j’engage la trop vite sur la table le personnage du patron qui s’en moque ne s’occupe que de son rendement! Je ne parle que des travailleurs. Dans leur intérêt, notre intérêt général est que la loi fixe la règle. Nous ne sommes pas d’accord pour qu’ils signent à titre individuel des contrats par lesquels ils acceptent de faire de l’opt out, de sortir de la règle générale, de faire des centaines d’heures de travail, de mettre leur vie en péril. Nous ne l’acceptons pas, même s’ils sont d’accord, parce que l’intérêt général est plus fort que l’intérêt particulier!

La séance reprend cet après midi! Misère, quelle galère!

 

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