Le pape arrive, le pape est là

Je suis bien content d’être pendant ces trois jours à la Fête de l’Humanité sur le grand stand de PRS (programme ci-joint). Je m’y enfuis dès ce soir, après l’émission à laquelle je participe sur France Inter. Bref c’est presque une demande d’asile politique … Le reste de Paris n’est plus fréquentable : des "romains" à tous les carrefours, rues bloquées, métro réquisitionnés. Le pape arrive, le pape est là et ainsi de suite. Pour être franc je n’ai rien contre sa visite. Les catholiques de France ont le droit de recevoir leur chef spirituel. Je n’ai rien contre le fait qu’on traite ce visiteur avec égard. La République est courtoise et respectueuse de la foi d’une bonne partie de ses citoyens, même s’ils sont minoritaires dans la population générale. Ce qui me dégoute c’est l’ambiance de vénération et d’encensement généralisés. Ce qui me préoccupe c’est l’enfumage sur les buts politiques de la visite papale. Ce qui me consterne c’est la difficulté à ouvrir le débat sur la conjonction unique dans l’histoire de la France moderne entre un pape et un président de la République sur un discours, des concepts et des objectifs politiques. Impossible d’en débattre ! Quelle souffrance ! Où est passé mon pays ? Quelle honte que cette papolâtrie médiatique au pays des lumières et de la République laïque. Mais aussi quel abaissement que l’extinction de voix des socialistes !  Rien ne montre mieux quel néant incarnent les ténors médiatiques du congrès  de Reims que leur silence radio absolu à l’occasion de la venue du pape. On ne leur demande pas de dénoncer le capitalisme, l’Europe libérale ou l’OTAN. Juste de rappeler que la laïcité est en danger dans notre république après le discours de Latran et avec un tel pape ! Même ça c’est trop pour eux. L’œil rivé sur les sondages ils meurent de peur à l’idée de subir le sort qui est réservé à ceux qui osent tenir tête à la déferlante médiatique papolâtre. Il est vrai que c’est le déluge. Des heures de radio et de télé pour « couvrir » un évènement auquel on se trouve quasi contraint de participer.. Des milliers de commentaires convenus et de questions bidon posées à des interlocuteurs acquis d’avance (« est ce qu’on en fait trop pour le pape ? » « Est-ce que le pape met concrètement en péril la laïcité avec cette visite » etc..). Sans oublier ceux qui ouvrent le feu avant même qu’une bouche se soit ouverte ou que qui que ce soit ait eu la parole ! Je me dois donc de remercier « Le Monde » qui a publié une tribune que j'ai rédigée sur « le pape du choc des civilisations », RMC, Europe 1 et France inter qui m’ont accueilli pour des interventions dans des débats ainsi que la chaine « Public Sénat ». Puis France info. Sans doute aurais-je d'autres fenêtres d'expression. Si reconnaissant que je sois de cela, à cette heure, je ne peux perdre de vue la disproportion de l'expression des points de vue. Et je ne peux manquer de dire que la liberté de parole et donc la liberté de penser n’est plus ce qu’elle était dans notre pays. Nous sommes dorénavant continuellement placés dans ces situations d’asphyxie médiatique et leurs auteurs ne prennent même plus la peine de s’en excuser après coup comme ils l’avaient fait après la première guerre du golfe ou le soit disant massacre de Timisoara. Je forme le vœu que si ces lignes parviennent à la connaissance des professionnels des médias elles les fassent réfléchir un instant sur ce que leur métier est devenu dans de telles conditions d’unanimité convenue.

Je copie ci-après ma tribune publiée dans le « Monde ». Il va de soi que tout un chacun est invité à l’utiliser autant qu’il veut. Par exemple j’ai donné mon accord pour des publications en espagnol de ce texte …
Ceux qui sont déçus de mon silence sur le congrès du PS doivent prendre le chemin du
blog  « Trait d’Union » où tout est dit. On y trouve aussi les vidéos de l'introduction du débat sur la laïcité aux université d'été de la Rochelle. Et bien sûr la campagne pour avoir un texte de toutes les gauches du PS continue ainsi que la collecte des signatures sur la contribution « Pour réinventer la gauche ». De cela dépend l'efficacité de notre action.

LE PAPE DU CHOC DES CIVILISATIONS

(cette tribune a été publiée dans « le Monde » daté du 12 septembre 2008)

La visite de Benoît XVI nous faire vivre un mélange des genres entre religion et politique très significatif. La débauche ostentatoire des moyens officiels mis à disposition, l’occupation agressive de l’espace public, le harcèlement médiatique télévisuel, tout fait sens. Ici le moyen c’est le but. Le pape et le président ont en commun une stratégie de reconfessionalisation institutionnelle de la société française. Les deux hommes s’inscrivent dans la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington, bréviaire de la diplomatie étatsunienne. Ils tirent de la religion la légitimité à agir pour la domination d’un prétendu « Occident ». Dans cette perspective la République laïque fait obstacle. Un changement de cap est nécessaire.Le discours de Latran de Nicolas Sarkozy l’a proclamé sous le nom d’une « laïcité positive ». Cela devrait se traduire par une pseudo « modernisation » de la loi de 1905. Des lors, juste avant la visite du pape, son premier ministre, le cardinal Bertone, s’est réjoui: «certains éléments font espérer une évolution de cette laïcité rigide qui fit de la France de la 3e République un modèle de comportements antireligieux ». Qu’est-ce que cette « laïcité positive » ? Une reformulation par Benoît XVI de la revendication de l’église romaine à être reconnue comme acteur officiel de l’espace public ! Voici le postulat du cardinal Ratzinger : « La foi n’est pas une chose purement privée et subjective. Elle est une grande force spirituelle qui doit toucher et illuminer la vie publique. » Nicolas Sarkozy l’a officialisé: « j’appelle de mes vœux l’avènement d’une laïcité positive, c'est-à-dire une laïcité (…) qui ne considère pas les religions sont un danger mais plutôt un atout ». C’est ce que demandait le pape :« Un Etat sainement laïc devra logiquement reconnaître un espace dans sa législation à cette dimension fondamentale de l’esprit humain. Il s’agit en réalité d’une “laïcité positive” qui garantisse à tout citoyen le droit de vivre sa foi religieuse avec une liberté authentique y compris dans le domaine public ». Le domaine public, voila l’enjeu pour le pape : « L’hostilité à toute forme d’importance politique et culturelle accordée à la religion, et à la présence, en particulier, de tout symbole religieux dans les institutions publiques, n’est certainement pas une expression de la laïcité, mais de sa dégénérescence en laïcisme.» Ratzinger avait prévenu : « Une telle séparation, que je qualifierais de "profanité" absolue, serait certainement un danger pour la physionomie spirituelle, morale et humaine de l’Europe. » Car pour le pape, «l’Europe est un continent culturel et non pas géographique. C’est sa culture qui lui donne une identité commune. Les racines qui ont formé et permis la formation de ce continent sont celles du christianisme. » Lavision est plus large encore. C’est l’occident qui est en cause. « L’Occident est menacé depuis longtemps par le rejet des questions fondamentales de la raison et ne peut en cela que courir un grand danger » déclare le pape. Nicolas Sarkozy partage ce credo. Le « premier risque » dans le monde, a-t-il déclaré trois mois après son élection, c’est celui d’une « confrontation entre l’Islam et l’occident ». Foin de la réalité étatique de l’ordre international, et tant pis pour cinq millions de musulmans français. Bien sûr, cette vision ne proclame une identité que pour mieux désigner des adversaires. L’Islam d’abord. Cette lecture d’un occident menacé par l’Islam, Benoît XVI l’a aussi exprimée de manière particulièrement provocante dans son discours de Ratisbonne en 2006. Au prétexte d’une réflexion sur la foi et la raison, le Pape utilisait un dialogue entre l’empereur byzantin Manuel II Paléologue et un savant perse sur « le christianisme et l’Islam, et leur vérité respective ». Il citait ainsi  l’empereur chrétien : « Montre-moi donc ce que Mohammed a apporté de neuf, et alors tu ne trouveras sans doute rien que de mauvais et d’inhumain, par exemple le fait qu’il a prescrit que la foi qu’il prêchait, il fallait la répandre par le glaive. » Cette référence très douteuse prononcée au lendemain de l’anniversaire de l’attentat du 11 septembre 2001 est un programme politique. Et une mystification. Elle fait en effet l’impasse sur les siècles de violence impulsée par l’Eglise, des croisades à l’Inquisition en passant par les dragonnades, la chouannerie et la résistance à la loi de 1905. Face au tollé soulevé par ce discours, Benoît XVI en avait minimisé la portée prétextant d’une réflexion anodine. Pourtant son secrétaire particulier, l’abbé Gaenswein, en confirmait un an plus tard la portée très politique : « Je tiens le discours de Ratisbonne, tel qu’il a été prononcé, comme prophétique. On ne peut pas éluder les tentatives d’islamisation de l’occident. Et le danger pour l’identité de l’Europe, qui y est lié, ne doit pas être ignoré. » Tel est l’arrière plan de la croisade du pape dans la France de Sarkozy. Le pape est bien un chef politique autant qu’un chef religieux. Toute l’Amérique latine progressiste en fait l’expérience amère dans sa lutte pour le droit au divorce ou à l’avortement et par la mise au ban de la théologie de la libération. L’Italie, l’Espagne et la Pologne le paient d’intrusions permanentes dans leurs élections. La France ne sera pas épargnée si l’hébétude du spectacle clérical éteint la vigilance laïque. La laïcité soit disant positive est une tromperie. Elle rétablirait les privilèges de préconisation publique et de pressions privées de l’église. C’est d’une laïcité étendue à de nouveaux domaines de l’espace public (hôpitaux, services publics etc.) dont la France a besoin. Plus que jamais : l’Etat chez lui, l’Eglise chez elle !

Lire aussi

DERNIERS ARTICLES