Je me trouvais hier soir au Havre pour une conférence sur la laïcité et le choc des civilisations. J’ai pris le train, mon moyen de transport préféré. J’atteste qu’il est pitoyable de voir dans quelles conditions sont transportés les usagers de la ligne Paris-Le Havre, et notamment jusqu’à Rouen où tout le monde est entassé. Sans démagogie, un peu, un tout petit peu, des milliards du plan Sarkozy pour les banques, affectés là, changeraient considérablement la vie des milliers de gens qui se lèvent tôt vont et viennent entre leur domicile et leur lieu de travail pour bosser dur. Pendant que je faisais ma conférence on votait au Sénat sur le plan Sarkozy pour protéger les banques. Une erreur a conduit à ce que je sois mentionné comme n’ayant «pas pris part au vote». En fait il s’agit d’une erreur technique. Deux bulletins de vote ont été déposés en mon nom… L’un en abstention l’autre en vote contre. Dans ce cas le règlement du Sénat prévoit de déclarer que le sénateur n’a pas pris part au vote. Par conséquent dès mon retour, à la reprise de la séance ordinaire de l’après midi, j’ai usé du droit de «mise au point» que prévoit le règlement. J’ai donc pu préciser que mon vote était contre le projet gouvernemental. Le compte rendu du journal officiel en rend compte. J’ai voté comme les communistes et les Verts. Avant cette mise au point il y avait la séance des questions au gouvernement. Je n’en ai retenu que le numéro provocateur et arrogant de Xavier Bertrand en faveur du travail du dimanche. Ecœurant. Cet homme restera dans l’histoire du droit du travail comme le pire ennemi des gens qui travaillent et ne peuvent se défendre. Il est frappant d’entendre leur ritournelle sur la souplesse, la modernité contre les «conservateurs» «archaïques» et ainsi de suite, débitée comme au bon temps du néo libéralisme triomphant. Pendant ce temps le système s’effondre sur la tête des gens.
Bien sûr tout le monde à présent est d’accord pour dire que la crise financière va se transformer en crise économique. La preuve c’est que la contraction de l’activité a commencé. D’ici quelque temps tout le monde sera d’accord pour constater que cela provoque une crise sociale. Je ne sais pas comment cela se manifestera mais il est certain que cela se produira. Juste la date nous manque. Ensuite ce sera une crise politique. Tout le monde peut prévoir tout cela. Mais c’est un monde tellement nouveau que les décideurs semblent tétanisés. A droite ils continuent donc la seule chose qu’ils sachent faire. La politique néo libérale. Au moment où le premier danger c’est le ralentissement général de l’activité, le gouvernement prévoit pourtant de supprimer trente mille postes de fonctionnaires. Autant de salaires en moins alimentant l’activité générale. Ce n’est qu’un exemple. Il est frappant de voir cette inertie des postures. A gauche, au PS, le désastre moral semble consommé. Il s’en est fallu de peu, paraît-il que le groupe à l’assemblée vote le projet gouvernemental. La logique gestionnaire l’emporte sur tout autre point de vue. Pourtant n’importe qui peut constater qu’il n’y a aucune mesure de bouclier social dans ce plan. Et surtout aucune mesure de sécurité sur l’usage de ces milliards par les bénéficiaires. A ce sujet, par exemple, les sénateurs verts ont déposé un amendement interdisant que les fonds des banques concernées transitent par un paradis fiscal. Le gouvernement a rejeté l’amendement…. Les Verts ont alors voté contre. Qu’ont obtenu les socialistes : rien. Mais ils ont laissé passer. Beaucoup de gens sont choqués par cette attitude. Elle ne passe pas du tout pour une manifestation du sens des responsabilités comme l’espéraient certains mais plutôt pour le stigmate d’une impuissance totale à savoir quoi faire face aux difficultés du pays. Voila ce qui reste : face à la plus violente crise du capitalisme la réponse aura été un plan d’aide aux banques avec l’accord du parti majoritaire à gauche. Que valent à côté de cela les simagrées anti capitalistes qui émaillent les déclarations des dirigeants du parti ces temps-ci. Quelle impudence! Quelle comédie!
RETOUR SUR LE CONGRES SOCIALISTE
Dans un tel contexte, je crois que la gauche du parti mérite de faire un carton plein au congrès. En tous cas c’est ce qui exprimerait qu’il y a de l’énergie sous le capot de ce parti et pas seulement la molle résignation de ses sommets. Il y a de bons signes. J’ai reçu une invitation de Benoit Hamon et Henri Emmanuelli, au nom du courant que nous avons créé ensemble, à aller écouter, en leur présence effective, des économistes de gauche sur la crise. Je les félicite pour cette initiative. J’ai reçu le carton d’invitation trop tard, hélas. De toute façon je n’ai pas pu répondre à l’invitation car j’étais dans le train pour le Havre. Mais ce fut un beau succès car il y avait de nombreux jeunes de l’UNEF et du MJS venus apprendre à comprendre ce qui se passe. Les propos clairs et nets ont contrasté avec les balbutiements confus des animateurs des autres motions. Une exception cependant pour Ségolène Royal dont j’apprends dans «le Monde» qu’elle a pris, à Bordeaux devant huit cent personnes attentives, un tournant à gauche très spectaculaire. Apparemment sa coiffure ne pose plus problème aux autres chefs de tente qui se tiennent cois. Car c’est vrai: que font les autres ? Je note en tous cas que plus personne ne parle de la motion commune de la gauche comme force d’appoint de l’un ou l’autre. Et certainement pas de celle de Martine Aubry (motion D). Ca se comprend. J’ai reçu un très bon argumentaire à ce sujet du groupe au sein de la motion commune de la gauche qui travaille sur les textes des autres motions. J’aurais mauvaise grâce de le plagier sans citer ses auteurs. Je place donc tel quel à la suite de ces lignes ce que nous pensons de ce texte présenté pourtant médiatiquement comme un texte de la gauche du parti.
UN TROMPE L’ŒIL?
Si l’on arrêtait la lecture aux vœux pieux énoncé dans les têtes de chapitres qui proposent par exemple de "réorienter les politiques européennes", d’engager une "opposition résolue à la droite" ou de "défendre et promouvoir la laïcité républicaine", on pourrait presque croire que la motion présentée par Martine Aubry se situe à la gauche du parti. La lecture attentive de son contenu renverse largement cette première impression. Entre Fabius et Strauss-Kahn le choix a été clairement fait. Et il est malheureux.
Rien n’est garanti sur les salaires
Si le socialisme, c’est d’abord le salaire, force est de constater qu’en la matière, les ambitions sont faibles. Sur le SMIC tout d’abord. Si le texte propose de l’augmenter "significativement", il se montre incapable de chiffrer le volume de cette augmentation. Pour les autres salaires, la motion ne propose qu’une "incitation forte à la négociation salariale dans les entreprises" (p. 97), sans obligation de résultat. De même, la "Conférence Nationale Salariale et Sociale tripartite" dont il est proposé qu’elle se réunisse chaque année n’aura pour but que d’ "encourager les négociations". Que se passera-t-il si rien ne sort de ces négociations ou si le MEDEF ne signe aucun accord? La motion répond: par la perte d’une partie de leurs allègements de cotisations aux entreprises qui n’auront pas signé d’accord pendant deux ans. Non seulement, il va falloir attendre deux ans, mais, en plus ces entreprises fautives continueront de bénéficier d’une "partie" des allègements de cotisations sociales que le gouvernement leur accorde.
Un système de bonus / malus pour les entreprises
Modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction de leur politique d’investissement, réduction des exonérations de cotisations sociales pour les entreprises qui "oublient" de négocier des augmentations salariales, taxe spécifique pour celles qui abusent du travail précaire (sauf si elles s’engagent à un "plan de résorption de l’emploi précaire"). Tout cela fait beaucoup penser à un système incitatif de type bonus/malus par lequel on entend responsabiliser le patronat en matière sociale. Très bien dans le principe, mais pour que ce système fonctionne, encore faut-il qu’il soit clairement dissuasif. Que se passera-t-il si les patrons préfèrent payer une petite taxe plutôt que de changer leurs pratiques? N’est-il pas préférable, lorsque les pratiques sont scandaleuses sur le plan social, de les interdire ou de les règlementer sévèrement? Tout cela serait plus crédible si la motion avait choisi de chiffrer le montant de ces surtaxes, plutôt que de rester dans le vague.
Une politique commerciale naïve
En matière de politique commerciale, la motion entretien le flou le plus complet en proposant une politique du "juste échange" qui ne soit pas "protectionniste". De fait, l’appel à des tarifs extérieurs "justement calibrés" évite soigneusement de trancher entre une augmentation ou une diminution des droits de douanes. La motion paraît implicitement reconnaître que le libre-échange a fortement pesé sur l’emploi et les salaires en France, en particulier pour les moins qualifiés. La réponse qu’elle apporte à cette question consiste à suivre l’exemple allemand en faisant "monter en gamme" la production industrielle française via un effort soutenu en matière de recherche et un développement de la formation. Parallèlement, pour les employés qui resteraient peu qualifiés, elle ne propose que de petits boulots via le "développement des services à la personne" (rappelons que la durée hebdomadaire moyenne n’y est que de 8h!). Outre que cette analyse se fonde sur une analyse biaisée de la situation allemande (dont la compétitivité actuelle repose sur une déflation considérable des salaires depuis la réunification) cette thèse témoigne d’une méconnaissance profonde des économies émergentes. Le mythe de la division internationale du travail suppose que les pays en voie de développement (la Chine et l’Inde en particulier) vont se contenter de produire des produits "bas de gamme" tandis que l’Europe aura libre champ dans le "haut de gamme". A l’heure où la Chine parvient à envoyer, seule, un homme dans l’espace, où le high tech délocalise massivement ses centres de recherche dans la région de Bangalore en Inde, il apparait complètement dépassé et archaïque se référer aux vieilles lunes de l’avantage comparatif. Le temps où l’on moquait les japonais (et aujourd’hui les chinois) pour leurs talents d’imitateurs est bel est bien révolu. La Chine, aujourd’hui, forme plus d’ingénieurs (à bas coût) que l’Europe, le Japon et les Etats-Unis réunis.
Les réformes homéopathiques du système financier
Contrairement à ce que dit la motion, la crise financière actuelle, ne démontre pas "les limites d’un système", mais bel et bien sa "faillite" la plus complète. Et de fait, il s’agit moins "d’améliorer la régulation financière" (chose que proposent même les libéraux les plus dogmatiques), que de le transformer profondément. En guise de transformation, le texte ne propose que de renforcer des mécanismes d’autorégulation, en créant des agences de régulation, en "encadrant" les rémunérations dans le secteur financier et en assurant la "transparence du système". La réforme proposée des agences de notion apparaît un peu surréaliste dans la mesure où aucune de ces agences n’est soumise au droit français. Quand à une taxe Tobin qui permettrait de "ralentir les mouvements de capitaux" (contradictoire avec les traités européens), elle est reléguée au statut de perspective à long terme, puisqu’il est simplement dit qu’elle "doit rester un objectif".
Faux-semblant de réformes européennes
Alors que Laurent Fabius dépense son énergie médiatique à exiger une réforme des règles européennes qui accorderait à l’UE la capacité d’emprunter, on ne trouve nulle part un tel projet dans le texte qu’il signe. De la même façon, sa motion contredit manifestement son désir d’encadrement politique de la BCE, puisque aucune réforme de ses statuts n’est envisagée (et surtout pas son indépendance). Au total, le texte de la motion D apparaît comme un faux-semblant de réformes, laissant croire qu’on pourra changer l’orientation de l’Union à l’aide de mesures qui ne pourront se faire pour la simple et bonne raison qu’elles sont déjà présentes dans les traités. C’est le cas des missions de la BCE qui intègrent déjà les objectifs de croissance et l’emploi, du brevet européen (qui existe depuis 1978), ou de la proposition de donner à l’Eurogroupe "une vraie compétence en matière de change" (le traité de Maastricht est très clair à ce sujet: la politique de change est de la compétence des Etats et c’est donc l’Eurogroupe qui est compétent par rapport au taux de change de l’euro). Incompétence ou malhonnête ? On reste en tous cas interloqué devant le nombre de fausses réformes que la motion contient dans ses propositions européennes.
Une solidarité sous conditions
Mais c’est curieusement dans le domaine social que la motion D est le plus en retrait par rapport à ce qu’on pourrait légitimement attendre de dirigeants de gauche. Sur les 35h, la motion se contente de déclarer: "Elles sont là et elles le resteront" (p. 100). Quid des démantèlements successifs engagés par la droite depuis 2002 et qui font qu’aujourd’hui la durée hebdomadaire de travail est supérieure à 36h? Aucune n’est remise en cause. Même silence sur la question des heures supplémentaires, et sur celle du travail le dimanche. Plus grave, la motion Aubry poursuit la politique de la droite de dumping social en permettant aux entreprises de déroger aux conventions collectives dans le cadre d’un "accord majoritaire" (p. 106).
En matière de retraites, les propositions de la motion vont là encore à l’encontre des intérêts des salariés. Non seulement aucun chiffre n’est évoqué sur l’âge de départ à la retraite ou sur la durée de cotisations, mais elle va jusqu’à écrire noir sur blanc: "nous ne sommes pas opposés à un allongement de la durée de cotisations" (p.102). Enfin, et cela apparaitra encore plus grave pour toute personne attachée à la notion de droit fondamental, la motion propose de mettre les droits sociaux sous condition de "devoirs". Considérant que "dans une société, on a des droits […] mais aussi des devoirs" (p.105), le texte de martine Aubry exige une contrepartie pour les droits au logement et à l’éducation. Ainsi, "l’octroi d’un logement aidé pourrait s’accompagner de l’adhésion à une charte de vie collective prévoyant la participation des locataires à la vie de leur immeuble". Même chose pour l’éducation: "tout au long de la scolarité, des heures seraient obligatoirement consacrées à des tâches d’intérêt général" (p. 105). Et les droits de l’homme? Ils sont conditionnels eux aussi?
Contresens sur la laïcité
Sur la question du vivre ensemble, la motion D propose une définition pour le moins audacieuse de la laïcité puisqu’elle déclare: "La laïcité c’est la reconnaissance de toutes les croyances, philosophies et religions dès lors qu’elles respectent les règles communes" (p.107). Méconnaissance ou remise en cause? On rappellera simplement qu’il existe un gouffre entre l’approche de la reconnaissance mutuelle (c’est précisément celle de Sarkozy) et le principe de séparation stricte sur lequel est fondée la tradition républicaine française. Plus grave, le texte de la motion D semble adhérer à la politique des quotas défendue par Sarkozy puisqu’il prévoit notamment de "garantir la parité, la diversité sociale et culturelle, le renouvellement générationnel dans toutes nos instances" (p.113).
Une politique étrangère des plus flous
Enfin, que celui qui comprend les implications géostratégiques de la phrase qui suit,et qui concerne l’engagement français en Afghanistan nous fasse signe: "S’il n’est pas possible de nous retirer maintenant parce que nous ne pouvons pas baisser les bras face au terrorisme, nous souhaitons une réorientation de notre mission : nous devons intervenir prioritairement en appui à l’armée afghane, des moyens doivent être engagés pour engager le développement du pays et des discussions doivent être engagées avec les chefs de tribus non liés avec Al Qaïda pour construire une issue politique" (p. 110).