Retour de voyage dans la vie en morose

Je suis de retour. Mais lundi je reprends ma valise. Pour Strasbourg. J’ai déjà trop écrit. Mais je vous rappelle le nouveau mode d’emploi de mes posts. Ils sont présentés en plusieurs morceaux avec un titre à la « une ». Quand vous cliquez dans un titre le texte apparaît, et le reste des autres textes à la file. Donc, vous n’êtes pas obligés de tout lire. Et c’est vous qui composez l’ordre de mon texte global. Ce n’est pas tout. Certains morceaux disparaissent quand j’en ai besoin et sont remplacés quand d’autres sont maintenus. Vous suivez ? En fait ça c’est la théorie. Depuis le nouveau système, tous les morceaux changent en même temps. J’ai encore des réglages à faire, je crois bien. Dans ce post au fil des notes, il y a ce qui fait la fin de mon carnet de voyage, un rebond de ma critique des médias à propos de l’Amérique du sud et quelque chose sur l’actualité industrielle qui m’ulcère le plus : les supposés canards boîteux que méprise cette girouette à gages de Jouyet. Et pour conclure cet apéritif, je me contente de vous renvoyer sur le communiqué que j’ai fait à propos de l’occupation de la mosquée de Poitiers.  

Pepe Mujica vous pose une question

D’accord j’ai rencontré Carlos Liscano en Uruguay, ce jour-là à Montévidéo. Mais j’ai aussi rencontré le président de la République de l’Uruguay, son ministre des affaires étrangères, le ministre de l’éducation nationale, la présidente du « Frente Amplio », quelques hommes et femmes clefs du système « frentéamplista » du présent et du futur. Plus quelques vétérans de plus du combat Tupamaros des années de la dictature. Et aussi des anciens exilés, mes très chers amis du passé, qui, pour au moins un couple, habitaient ma ville en Essonne.

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Ces deux-là m’avaient appris à l’époque que le « Frente Amplio » existait sous l’impulsion alors du général de gauche Liber Seregni. Car le Front est très marqué par son époque. Il est né en 1971. Il a quarante ans maintenant. « Pour la première fois à présent tu peux dire que nous sommes devenus une tradition » m’a dit José Bayardi Lozano député et homme d’influence de la nouvelle présidente du Frente Amplio. « Il y a quarante ans 80% des gens naissaient dans une famille du parti Blanco ou du Rencontre avec  José Mujica, Président de la République;  Luis Almagro, Ministre des relations extérieures; Daniel Cánepa, Premier secrétaire de la Présidence de la République.Colorado et maintenant c’est le cas pour nous ». Le Frente inclut de la démocratie chrétienne aux trotskistes. Un autre contexte, une autre époque. Mais l’art de faire vivre ensemble des gens différents intéresse le Front de Gauche.

Donc l’après-midi du mardi on m’avait annoncé que le projet de rencontrer le président Mujica, « Pepe », était annulé. J’étais bien déçu de la chose comme on le devine, quoique ma visite soit dédiée au Frente Amplio. Mais je ne bougeais pas une oreille, sentant d’instinct que des remuements étaient à l’œuvre qui me dépassaient. Comme ce que j’ai vécu en Argentine. Le niveau très élevé et si ostensible des rencontres que j’ai eu à Buenos Aires signalent des arbitrages politiques. Mujica, je l’ai déjà rencontré quand il était ministre de l’agriculture. Et sa femme aussi qui est une militante absolument extraordinaire. C’est Lucia. Sénatrice la mieux élue du pays. Et tupamaro elle aussi, avant. Bientôt le rendez-vous annulé était tout simplement reporté à l’après-midi, conjointement à celui que m’avait offert le ministre des affaires étrangères. Hurrah ! J’étais ravi. Aujourd’hui qui rencontre Mujica apprend tellement. C’est un homme un peu fort, âgé de 77 ans, d’un calme olympien éclairé d’un sourire narquois qui fleurit vite dans la conversation. Je crois que Mujica est en dedans de lui, comme on le dirait d’un escargot, ce qui veut dire qu’il ne sort pas à la commande mais seulement quand cela lui paraît opportun. C’est cette liberté-là qui surprend. On dit qu’il est imprévisible dans son contact aux autres mais je n’ai jamais eu l’impression, les deux fois que je l’ai rencontré, et cette fois surtout, qu’il agisse autrement que par précaution avec ses interlocuteurs. Maintenant il est le président de la République. Le jour de son élection, mes amis Raquel Garrido et Alexis Corbière étaient sur place. Une délégation de camarades, de Voto et le Lalo dont j’ai parlé depuis qu’il m’a accompagné à Discussion avec José Mujica, Président de la République Orientale de l'Uruguay.Buenos Aires, aussi étaient allés finir la campagne électorale avec les frentéamplistes. Pepe les avait tous reçus, sans façon. Il est comme ça. Tous les jours. Il vit dans sa ferme aux portes de la cité.

Pepe s’est blessé l’autre fois en aidant un voisin à reclouer des pans de tôles qui s’étaient envolés avec la tempête. Il donne sa paie à des ONG. Il enchanterait Paul Ariès et ma camarade Corinne Morel Darleux, auxquels je pensais tandis qu’il m’expliquait : « Il ne faut pas perdre sa vie à accumuler. C’est le besoin d’accumuler qui déforme l’intelligence des gens intelligents. Cette civilisation est une tromperie elle fait croire qu’on pourra continuer sans cesse à accumuler et ce n’est pas vrai et elle fait croire que chacun pourra consommer autant qu’il veut et ce n’est pas vrai non plus. Tout ça va sur une limite. Moi je serai mort je ne le verrai pas. Mais toi tu ferais bien de t’en soucier parce que tu vas devoir t’en occuper. » Et ensuite on a parlé de l’Europe. Et de nous les français. Et aussi d’eux dans leur contexte, petit pays voisin de géants. Ici à Montévidéo, comme à Buenos Aires, ils n’arrivent pas à comprendre pourquoi nous faisons tout ce qui n’a pas marché chez eux. Il dit que la décade des politiques d’ajustements en Amérique du sud a été une décade perdue et si cruelle. 37 % de la population avait sombré dans la pauvreté. Pourquoi recommençons-nous ça ? «  Le seul animal qui se laisse frapper deux fois par la même pierre c’est l’homme » soupire-t-il. « Rappelle-toi que c’est l’unité la clef de tout pour la gauche. Sinon c’est la droite tout le temps qui gagne » « Et comment je vais faire ça, Pepe, tu as vu ce que font les sociaux-démocrates en Europe ? » « Oui, je sais. Débrouille-toi. Il faut unir autour de nous sinon ça ne marchera jamais ». Je ne réplique pas. Mais ça me brûle les lèvres : « Oui mais tu viens de dénoncer que le seul animal qui se fait taper deux fois avec la même pierre c’est l’homme, non ? » Je me Discussion avec José Mujica, Président de la République Orientale de l'Uruguay, Luis Almagro, Ministre des Affaires étrangères de l'Uruguay et et le Premier Secrétaire de la République Diego Cánepa.souviens de Chavez expliquant : « Le peuple a deux joues et chacun lui mettait une gifle à tour de rôle. Une fois la droite, une fois les sociaux-démocrates. Et maintenant il dit : assez de gifles ! »

Mujica dit que l’Europe ne comprend pas son intérêt dans l’Amérique du sud. Et de toute façon, lui sait bien que le ralentissement européen va les atteindre car leurs clients Brésiliens et Chinois vont être ralentis eux aussi à cause de l’Europe. Mais ce qui m’a frappé est sa façon de parler des voisins Brésiliens. Jusque-là on le savait porté à vouloir rompre avec le tropisme européen étouffant de la tradition uruguayenne. On le voyait donc tourné vers ses voisins Argentins et Brésiliens. Avec un grand penchant pour le Brésil. Cette fois-ci il dit que le Brésil va s’envoler. Ça ne lui plaît pas. Il dit que le problème ce serait de remplacer un empire par un autre. Ça ne le refroidit pas par rapport à son voisin. Au contraire. Mieux vaut vivre auprès d’un voisin riche et puissant qui achète, plutôt qu’ailleurs. Mais il dit les choses comme un homme lucide. Les petits pays vivent avec les grands, comment pourrait-il en être autrement ? Mais ils doivent toujours protéger la distance qui leur permet de rester souverains.

Il y a cinq ans déjà, j’avais été si heureux de rencontrer Lucia et Pepe. Et de le voir lui et de l’entendre. Vous allez voir pourquoi. Pepe Mujica est un ancien Tupamaro. De choc. J’ai raconté ça il y a cinq ans et cela doit se retrouver dans mon blog. Pepe a encore trois balles dans le corps sur les dix qu’il a pris. Les militaires l’ont attrapé et mis en prison quatorze ans. En prison c’est une façon de dire. Lui et neuf autres camarades ont été considérés comme des otages à fusiller en cas de représailles. Et maintenant voici le plus dur à entendre. Les militaires ont mis Pepe et les autres chacun dans un puits. Donc ils avaient de l’eau aux genoux, et même au-delà, la moitié du temps chaque fois que le niveau du fleuve, vers la mer, montait. C’est-à-dire la moitié du temps. Pepe a passé la moitié du temps de prison dans l’eau. Au secret, sans visite, sans livre, sans rien jamais à part le puits ou la cellule. Dans ces conditions trois camarades sont devenus fous. Je suppose que Pepe a trouvé le truc pour survivre dans sa tête. Et il ne faut s’étonner de le voir si maître de lui-même et de ses relations aux autres et si avides de petits plaisirs qui sont d’autant plus vifs qu’ils sont simples.

Les canards boîteux ont aussi des ailes

Pendant que Montebourg se déguise à la une du « Parisien Magazine » pour défendre les marinières et les cafetières, les vrais décideurs gouvernementaux, affichent avec morgue leurs préjugés contre les supposés « canards boîteux » de la sidérurgie et du raffinage. A Florange, Pétroplus et ailleurs comme sur le dossier pourtant hautement stratégique du projet dangereux de fusion entre EADS-Airbus et la compagnie anglo-nord-américaine BAE, quelle débâcle ! Démonstration. 

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petroplus_01Pétroplus est liquidé. Le tribunal de commerce de Rouen en a décidé ainsi. La raffinerie emploie 470 personnes. Si on ajoute les emplois indirects, ce sont plusieurs milliers de salariés qui seront frappés. Le tribunal de commerce a rejeté les deux offres de reprises qui lui étaient proposées. Pourquoi ? Parce qu’elle n’offrait pas toutes les garanties de pouvoir durer ! Quelle absurdité ! Que risquait-il à donner une chance à un repreneur ? Rien. Cette décision est révoltante. Depuis des mois, les salariés de la raffinerie ont remué ciel et terre pour remettre en activité la raffinerie et la faire tourner. Dans ce genre d'industrie, mieux vaut éviter les arrêts prolongés. C'est pour cela que les salariés se sont battus. En relançant et en entretenant l'outil de travail, ils facilitaient une reprise de l'activité. Ils montraient aussi leur compétence et leur dévouement. Grâce à leurs efforts, deux propositions de reprises avaient été faites. Yvon Scornet, porte-parole de l'intersyndicale CGT-CFDT-CFE/CGC avait même fait savoir au tribunal de commerce que « l'intersyndicale soutient la proposition Net Oil ». Pourquoi le tribunal de commerce n'a-t-il pas retenu cette solution qui rassemblait un investisseur et les salariés ? Bien sûr, le tribunal de commerce a laissé quelques jours de répit en permettant la poursuite de l'activité jusqu'au 5 novembre. La société petroplus_14Net Oil a annoncé, dans un communiqué commun avec l'intersyndicale, qu'elle allait redéposer une offre le 5 novembre, avec de nouveaux partenaires. A priori, l'autre investisseur va aussi déposer une nouvelle offre. Il faut que l'une des deux aboutisse. 

En réalité, cette décision ne profite qu'à Total qui veut faire mourir à petit feu le raffinage français. Cela lui permet d'accroître la rentabilité de sa méga-raffinerie construite en Arabie Saoudite. Là-bas, Total profite d'un droit fiscal, social et écologique beaucoup plus favorable aux yeux des actionnaires. Et Total peut ainsi importer en France du pétrole raffiné à bas coûts écologiques et sociaux. C'est déjà cette logique qui a poussé Total à fermer la raffinerie des Flandres à Dunkerque. C'est la même logique qui voit Total faire tout ce qui lui est possible pour empêcher la poursuite d'une activité dans la raffinerie concurrente Pétroplus. Le gouvernement laisse faire. Pourtant le raffinage est une industrie stratégique pour la France. Nous sommes actuellement contraints d'importer des produits pétroliers raffinés. Le nouveau gouvernement a-t-il entendu parler des problèmes que poserait éventuellement tel ou tel pays sur nos lignes d’approvisionnement si les tensions internationales actuelles s’aggravaient ? En toute hypothèse, ceux qui font des grandes phrases sur le déficit du commerce extérieur devraient donc soutenir la défense de cette industrie française. Enfin il s’agit d’une industrie décisive si nous voulons réussir la planification écologique. J'ai eu plusieurs fois l'occasion de dire qu'il était possible de créer une coopération entre Pétroplus et la papeterie M'Real situé à quelques dizaines de kilomètres. Ainsi, la raffinerie pourrait petroplus_13raffiner les déchets de bois et pas seulement du pétrole. Le gouvernement Ayrault doit donc empêcher la liquidation de Pétroplus par tous les moyens.

Pétroplus, pas plus que Florange, n'est un "canard boîteux". Quelle drôle d’image. C’est celle qu’avait choisi à l’époque Raymond Barre, alors premier ministre de Giscard d’Estaing. Pourtant c’est celle qu'a utilisé le nouveau président de la Banque Publique d'Investissement à propos de Florange. Comme le dit le CFDT d’ Arcelor-Mittal Florange, « le canard boiteux est à la tête de la Banque publique d'investissement ». En effet, Jean-Pierre Jouyet déclare dans Le Monde du 20 octobre que la BPI est « une banque pour l'avenir. En répondant aux impératifs de développement économique et technologique, de compétitivité industrielle et de transition énergétique, la BPI contribuera à la croissance de demain, dans la droite ligne de la Conférence environnementale ». Mais monsieur « tourne sa chemise » n’a pas l’air de savoir non plus que les fours de Florange font l’objet d’un projet écologique que l’Europe est disposée à financer. S'il est si soucieux de la transition écologique et de l'avenir, il devrait donc encourager la poursuite des activités de Florange et Pétroplus. Dans les deux cas, moyennant des investissements publics, la France peut s'engager dans la voie d'une planification écologique, moderniser son industrie et conserver ses emplois et les savoir-faire. Au lieu de ça, Jouyet accuse Florange d'être un « canard boîteux » au moment même petroplus_12où le gouvernement est censé chercher un repreneur pour le site. Au-delà de leur caractère faux et blessant, Jouyet a-t-il seulement conscience des conséquences que peut avoir son propos sur l'avenir de ce site et de ces salariés ?

Jean-Pierre Jouyet ne connaît rien à l'industrie. Jusqu'en juillet dernier, il dirigeait l'Autorité des marchés financiers. Chacun a pu apprécier ses efforts pour réguler la finance et défendre la production contre la spéculation. Il ne doit sa nomination à la tête de la Caisse des Dépôts en juillet, et désormais de la BPI, qu'à sa très grande proximité avec Hollande. Jouyet est particulièrement malfaisant. On doit s’en méfier par principe. C'est un « joue contre son camp » professionnel. On se souvient en 2007 qu'il avait trahi le PS en acceptant un ministère sous Sarkozy. Une fois nommé Ministre délégué aux affaires européennes, c'est lui qui avait piloté la trahison du vote de 2005 en négociant le traité de Lisbonne. Voilà à qui François Hollande a confié les rênes des deux plus grands organismes publics d'investissement. Cet homme n'a que faire du capital public. Dans Le Monde, il annonce déjà sa volonté de vendre les actions que l'Etat français possède dans les grandes entreprises au titre du Fonds stratégique d'investissement. Lesquelles ? Quick par exemple ? Ce FSI sera rattaché à la Banque publique d'investissement et dépendra petroplus_11donc de Jouyet. Et Jouyet prévient : « La BPI ne devra pas s'interdire de vendre les participations dans les grands groupes qui n'auraient pas besoin de son soutien, pour accroître ses moyens d'action ». Voilà qui commence bien mal ! C’est même du n'importe quoi ! Tout d'abord, comme son nom l'indique, le Fonds stratégique d'investissement réalise des investissements "stratégiques". Dès lors, il aurait toute sa place au capital d'entreprises dans les industries de pointe, de Défense, ou à fort enjeu écologique, dans les transports ou l'énergie par exemple. Ensuite, si on veut vraiment soutenir les PME, il faut dégager de nouveaux moyens financiers par la création d'un pôle financier public. Au lieu de cela, la Banque publique d'investissement de Hollande se contente essentiellement de regrouper des moyens existants. Créée d’après les conseils d'une banque d'affaires privée, dirigée par un ancien responsable financier d'une grande entreprise privée et présidée par un petroplus_10ancien sarkozyste, on peut craindre que cette BPI ne réponde pas aux besoins de l'industrie française. Celui-ci est pourtant clair : changer de logique !

Peut-être vous souvenez vous que j’ai tiré la sonnette d’alarme sur ce blog à propos du projet de fusion entre EADS et BAE. Il y avait très peu de commentaires dans la presse sur ce sujet pourtant vital pour notre industrie. Et encore plus pour notre indépendance. Mais ce projet n’a jamais été traité que sous son angle commercial et financier et jamais dans sa dimension stratégique et politique. Il a d’ailleurs été annoncé dans l’indifférence du gouvernement, alors que l’Etat français est un des principaux actionnaires d’EADS. Pourtant le projet portait un penchant beaucoup plus transatlantique qu’européen. Car le britannique BAE est d’ores et déjà un groupe fortement intégré au complexe militaro-industriel états-unien. Il possède des filiales aux USA. Et il participe directement au développement du nouvel avion de combat des USA, le F35, qui a vocation à remplacer le F16, l’avion militaire le plus vendu de l’histoire. Cela isolerait un peu plus le programme français Rafale en Europe. Pour ce qui est de l’industrie de défense, cette fusion enterrerait donc toute velléité d’indépendance européenne face aux USA. Quant à l’aéronautique civile, BAE n’y a pas laissé de bons souvenirs. Lors de la constitution d’EADS en 1998, BAE avait en effet fait l’acquisition de 20 % dans Airbus après avoir renoncé à intégrer EADS en tant que tel. Avant de se débarrasser de cette participation en 2006, contribuant directement aux difficultés financières d’Airbus. Fort heureusement lepetroplus_09 projet a capoté. Mais du fait des français. Le nouveau gouvernement s’en est absolument désintéressé. Le ministre du développement productif regardait ailleurs. Il faut dire que c’est une tradition en la matière que cet abandon. Sous le gouvernement Jospin, l’indépassable Dominique Strauss-Kahn avait accepté que l’état abandonne ses droits de vote et confie la gestion de sa participation de 15 % dans l’entreprise au sieur Lagardère. Et ça parce que les Allemands avaient hurlé au loup contre la présence de l’Etat. Lesquels Allemands semblent avoir changé leur fusil d’épaule et veulent à présent acheter à partir de la banque publique KFM les parts que possède l’entreprise Daimler. Cette fois-ci encore l’Etat est resté sans voix devant ce qui se tramait. François Hollande a pris son air des grands jours pour déclarer que tout ce nouveau Monopoly avec les Anglos-saxons relevait de « la décision des entreprises concernées ». On ne peut dire pire bêtise sur l’affaire. En tout cas s’il n’avait fallu que compter sur Hollande, les britanniques auraient pu se frotter les mains. En effet avec la fusion, ils auraient disposé de 40 % des parts de la nouvelle société alors qu’EADS aurait représenté 70 % du chiffre d’affaire et 90 % du carnet de commande ! En réalité personne n’a dû lui dire, pas davantage qu’à ce pauvre Ayrault, qui est censé s’en soucier, ni à ce malheureux Montebourg qui est chargé de s’en occuper que sur ce dossier se jouait l’avenir de notre avenir industriel et un bon morceau de l’industrie aéronautique. Voici une idée pour eux, en supposant qu’ils s’intéressent à quelque chose de l’aéronautique. Puisque l’Etat espagnol va entrer au capital et puisque l’Etat allemand va augmenter sa participation pourquoi ne pas racheter ses part à monsieur Lagardère qui dit vouloir s’en aller depuis longtemps. Un groupe public français à 50,45 % est à portée de main. Qu’en dis le sieur Jouyet ? Canard boîteux, investissement stratégique ? Dire que ce sont de tels personnages qui président à nos destins ! En fait, le nouveau président se révèlent tout à fait « normal » pour un gouvernement de l’Europe actuelle : sans ambition ni vue générale, abandonné aux arguties des prétendus experts et aux vautours qui les accompagnent.

L'Amérique du sud, la presse…
« Le Monde » et moi et moi

Aller en Argentine ou en Uruguay n’est pas aussi « porteur », comme me l’a dit un journaliste, que mes vacances avec Chavez au camping de Caracas. L’AFP a pourtant parfaitement bien fait son travail sur place. Trois dépêches. «  Le Parisien » et « Nouvel Observateur » ont jeté un œil sur mon séjour. Et « Arrêt sur images » aussi !

Et, coïncidence, Marianne qui titre « Vénézuela. La vérité sur le pays rêvé de Mélenchon ».

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Pas même une brève dans la presse « de référence » qui s’était pourtant répandue sur mes « vacances » au Vénézuela. Je n’ai pas de regrets. Qu’aurais-je pu lire aujourd’hui? Un épisode supplémentaire du naufrage de la rubrique latino du grand journal : les habituels commentaires haineux que publie dans « le Monde » le « journaliste » Paranagua. Quelle étrange histoire que la prise de pouvoir permanente de ce personnage partout où il passe. Etrange, tout le temps. Comme lorsqu’il était le dirigeant fondateur de la non moins étrange « fraction rouge », à la « gauche » de « l’armée révolutionnaire du peuple », avant de commencer une série de changements de nom de son organisation où tout le monde se faisait enlever au fur et à mesure par la dictature. Une fraction d’abord composée d’une dizaine de brésiliens comme lui. Ils venaient faire la guérilla urbaine en Argentine plutôt qu’avec leurs camarades dans leur propre pays. Comme on me l’a raconté sur place, il revendiqua sous le nom de « comandante Saul », trente attentats en 1972, avant, paraît-il, de bénéficier, selon son nouvel employeur, d’un non-lieu et de sortir de prison en 1977. Le médiateur s’est-il rendu compte en écrivant son papier qu’en 1977 c’était encore la dictature militaire ? Un non-lieu et une sortie de prison en pleine dictature militaire ! C’est ce qu’il faudra qu’il nous raconte, car c’est dans tous les sens du terme, un cas unique. Mais cette faveur militaire n’empêche pas le « comandante Saul » de « dormir tranquille », comme il l’a déclaré au médiateur qui prend sa défense en publiant cette phrase sans savoir peut-être  « le poids des mots » comme dit Gilles Paris, qui est ici le poids des morts. Car ils en disent long sur un homme dont tous les militants dont il était le chef sont morts ! Pour ne citer qu’eux parmi les nombreuses victimes qui le touchent de près. Bon, c’est une longue histoire. Il y a tant à raconter. Je suis sûr que beaucoup au journal n’en savent pas tant que ça. En tous cas les rescapés du camp Vésuvio qui se réunissaient ces jours-ci en Argentine n’ont pas rien oublié. Et j’y ai beaucoup d’amis, « comandante Saul » ! Quoiqu’il en soit, sans bien sûr mentionner mon insignifiante présence, « Le Monde » du 17 octobre s’intéresse à l’Amérique du sud et même à l’Uruguay. Sur quels sujets ?

Pour l’Uruguay, c’est un sujet hors sol. Un « commentaire » sur le débat qui commence en Uruguay à propos d’une prochaine loi sur la légalisation du cannabis. Je ne dis pas que ce ne soit pas intéressant. Même si je vois bien que son principal objectif est de nous édifier en montrant que le Frente Amplio est divisée sur le thème et que le président de la République est en perte de vitesse « dans un récent sondage ». Au moins vous saurez où doit aller votre indignation ! Décidément cette rubrique Amérique latine est en perdition au journal « Le Monde ». Car d’un quotidien de référence ne doit-on pas aussi attendre de l’information, notamment celle du jour ? Cette semaine l’information était spectaculairement ailleurs dans l’Amérique latine réelle qui n’est pas celle des règlements de compte personnels du « comandante Saul » .

Dans votre journal de référence, vous auriez du pouvoir lire un article sur le vote, mercredi de cette semaine, au parlement argentin de la loi qui donne le droit de vote à partir de seize ans. Une loi à l’initiative de nos amis. Et qu’une bonne partie de la réaction de droite et social-démocrate ont également votée. C’est banal le droit de vote à seize ans pour un grand journal de référence ? Vous auriez pu entendre parler de la loi de libération des médias qui va entrer en application le 7 décembre prochain en dépit de l’obstruction qui continue de la part du méga groupe de presse « Clarin ». Un débat terrible se mène à ce sujet tous les jours dans les médias argentins. Mais on peut comprendre que le corporatisme patronal et professionnel interdise qu’il en soit question ici. Surtout quand le syndicat de la presse patronal des Amériques dénonce la loi encore le lundi de cette semaine. Pourtant, un sujet irrévérencieux aurait pu être de savoir pourquoi le rapporteur des Nations Unies sur la liberté de la presse trouve cette loi exemplaire et déclare, qu’elle devrait être appliquée partout ailleurs. Et surtout qu’il soit venu le dire sur place, le jeudi de cette semaine, en Argentine. Et cela au moment même où une arrogante délégation des patrons de presse américain prétend demander des comptes au gouvernement de Kirchner au nom de la défense de la liberté de la presse ! Mais je pourrais dire aussi qu’un bon sujet aurait dû être d’informer de la saisie, dimanche de cette semaine, d’une goélette de la marine nationale argentine par le tribunal de commerce du Ghana, à la requête d’un fond de spéculation, comme je vous en ai informé. Car c’est un fait sans précèdent dans l’histoire maritime ! Mais qu’est-ce, pour « comandante Saul » que 400 marins militaires, quarante invités, pris en otage avec leur bateau contre le droit international et qui ne dénoncent même pas Fidel Castro, Hugo Chavez ou Cristina Kirchner? Qu’est-ce que la démission d’un chef d’Etat-major général des armées, ce mercredi, le deuxième de l’année, dans un pays qui a vécu quatorze ans sous dictature militaire qui, certes, déclarait, paraît-il, un non-lieu pour un certain futur journaliste toujours reconnaissant. Pourtant le piquant du sujet, d’un point de vue journalistique, n’aurait-ce pas été alors de faire le parallèle entre la situation de cette goélette avec une autre décision inattendue, prise en Suisse ce mercredi même sur le même sujet ? Si l’information factuelle intéressait encore la rubrique latino du « Monde » voici ce que vous auriez appris. La cour constitutionnelle suisse a confirmé le rejet de la demande de saisie que le fond de spéculation réclamait sur les dépôts argentins dans ce pays. En espagnol les fonds de spéculation sont nommés « Fondos buitres » ce qui signifie : fond charognard. Les charognards ont marqué un point au Ghana et l’Argentine un point en Suisse. Le match continue.

Mais ce jour-là le directeur de la rubrique Amérique latine du « Monde» donne la priorité au futur débat sur le cannabis en Uruguay. Et lui-même s’excite deux pages avant pour ironiser sur la suppression du visa de sortie de Cuba. Quelques jours auparavant il avait régalé les lecteurs sur un accident de voiture. Une prose indigne. Mais la cause valait la peine pour les anticastristes pavloviens. Car c’est un jeune dirigeant de la droite espagnole qui conduisait la voiture qui a tué ses deux passagers, deux dissidents professionnels à qui étaient peut-être destinés les paquets de dollars retrouvée dans sa valise. « Comandante Saul », sous sa casquette de journaliste n’aurait-il pas dû mentionner que ce garçon conduisait comme un dément pour avoir déjà traversé l’ile à 120 à l’heure, ce qui est un exploit inquiétant compte tenu de l’état des routes ? N’aurait-il pu signaler qu’il venait de se faire retirer son permis de conduire dans son propre pays ? Paulo Paranagua et « Le Monde » n’auront jamais donné ces informations à leurs lecteurs quand bien même elles semblent avoir leur importance à propos d’un accident de voiture. Il préfère colporter des ragots sur un complot des autorités, totalement farfelu, jamais ni confirmé ni même évoqué par la conférence des ambassadeurs des pays de l’Union européenne qui s’est réunie sur le sujet depuis le premier jour. Il est vrai que comme la chose était jugée ce mardi dernier et que « comandante Saul » avait déjà écrit trois papiers sur le sujet, il y avait un souci de suivi de l’actualité qui compte à ses yeux. Chacun ses priorités et ses cibles, certes. Mais quand on achète « Le Monde » n’a-t-on pas aussi le droit de savoir ce qui se passe et que ne racontent pas les médias audiovisuels ? Est-on voué à consommer pour tout potage de l’anticastrisme entre deux plats épicés de démolition des gouvernements de la gauche latino actuelle ?   

Mais puisque que l’auguste référence parle de l’Uruguay, apprenons lui que le fait du moment, ce n’est ni le cannabis ni les sondages du président Mujica. En me lisant vous apprendrez ce que vous ne saurez pas par la rubrique que dirige le « comandante Saul » dans « Le Monde ». Un événement vient d’avoir lieu qui est de très grande portée. Pour la première fois dans le cône sud, un pays, l’Uruguay de Pepe Mujica et de son ami le romancier Carlos Liscano, vient d’abolir la pénalisation de l’avortement. Certes, tout le monde sur place n’en est pas totalement satisfait. Et moi non plus, pour être franc. Mais quelle immense et formidable percée ! C’est le premier pays latino qui établit cette liberté fondamentale après Cuba qui l’a fait déjà depuis longtemps. J’étais si heureux d’être là ce jour-là et de pouvoir, après le vote, embrasser sur les deux joues et féliciter mille fois ma camarade, présidente du Frente Amplio qui s’était exprimée juste avant à la tribune ! Encore une fois, à quoi bon avoir fait des concessions alors que seul un député de droite a voté pour finir avec nous. Quoi qu’il en soit il faut apprécier le fait dans toute sa portée. Car une loi ouvrant droit à l’avortement avait été adoptée sous la précédente mandature de gauche. Mais le président d’alors, le social-démocrate Tabaré Vasquez, y avait opposé son veto. Cela ne résume naturellement le bilan de celui-ci, remarquable en d’innombrables points. Reste que pour moi cette question du droit à l’avortement est l’angle mort du bilan des gouvernements de la nouvelle gauche latino. On peut le dire tranquillement car on ne risque pas de voir les chiens accourir pour ronger cet os de propagande ! En effet il mettrait bien davantage à mal leurs amis de droite et sociaux-démocrate locaux qui sont profondément infectés par les petites dents cruelles de l’Opus Dei, le seul vrai et puissant parti transversal de l’Amérique du sud avec la CIA. Se plaindre les obligerait à dire du bien de Cuba ! Comme disait mon bon camarade de la sidérurgie : « Ça leur arracherait la gueule » !

Les pressions de l’église et les convictions religieuses de nombreux dirigeants sont une insupportable limite. Le droit à l’avortement est un droit fondamental de la personne humaine. Pour ma part je ne discute, ne travaille d’aucune façon, ni ne soutien les sandinistes du Nicaragua pour cette raison. En effet ceux-ci ont accordé aux évêques qui l’exigeaient en toute charité, que l’avortement soit non seulement toujours pénalisé mais que les condamnations soient aussi appliquées en cas de viol et même si la vie de la mère a été considérée comme en danger. C’est le moment de rappeler, pour ceux qui nous chercherait noise, qu’aucun d’entre nous ne défend l’avortement mais la liberté d’y recourir. Et donc dans ces conditions la place des injonctions morale est toujours disponible pour les prosélytes qui veulent en convaincre. Et de même qu’aucun d’entre nous n’a l’intention d’obliger qui que ce soit à avorter, niant ainsi la liberté d’une femme de disposer de son corps nous ne permettons pas que d’autres prétendent en disposer pour lui imposer une grossesse non désirée.

Je ne finis pas sans un clin d’œil à Marianne. Le papier intitulé « la vérité sur le pays rêvé de Mélenchon » m’a bien amusé. Son auteur est Philippe Cohen, un vrai envoyé spécial qui a vraiment été sur place, lui. Il ose dire : « Depuis l’arrivée de Chavez au pouvoir en 1998, le Vénézuéla subit une incroyable maltraitance médiatique internationale. Un vrai spécimen d’enfumage qui devrait être enseigné dans les écoles de journalisme : mépris des faits, absence de sources, jugements subjectifs. Les médias français même de gauche, hormis curieusement « le Figaro » sont incapables de regarder sans juger la réalité vénézuélienne. » Le papier décrit très précisément le mécanisme de l’enfumage. Puis il fait un tour d’horizon des succès et des problèmes en suspend. Quelque chose d’équilibré qui a du paraitre a sa rédaction de la propagande hystériquement pro communiste. Le papier a donc été garni d’une titraille et de photos légendées qui sont l’antithèse exacte de ce que raconte le journaliste et un montage particulièrement fielleux d’extrait de son texte pour lui faire dire le contraire. Un cas à enseigner dans les écoles de journalisme. Supposez un lecteur distrait (ça doit exister, non ?). Voici ce qu’il retient s’il se contente de lire les titres, les légendes des photos et phrases en exergue. Exemple : « Après quatorze ans de pouvoir Hugo Chavez bénéficie toujours d’un fort soutien populaire en raison de programme sociaux mis en place grâce à la rente pétrolière » « L’insécurité dernier angle mort de la politique chaviste. Le taux d’homicides est le plus élevé du monde : 70 pour cent mille habitants. » Bien sûr, cette légende mensongère est placée juste sous mon nom. Comprenez que cette insécurité me fait rêver… « Théodore Petkoff directeur du quotidien d’opposition « Tal cual » est déchaîné contre Chavez : « Il ment comme il respire » « pour Roberto Briceno-Leon spécialiste de la violence en Amérique latine « l’insécurité ne menace pas seulement la vie des gens mais aussi leur liberté » « Pour un détenteur de capital, ou même un entrepreneur il vaut mieux importer que produire. Un conseiller économique » « Les habitants se protègent comme ils peuvent contre l’insécurité. On estime à six millions les armes en circulation ». Et voilà : le tour est joué. Ajoutez encore pour avoir le tout Chavez sous une pluie diluvienne avec cette légende très clin d’œil ironique « El comandante » dans la tempête médiatique le 4 octobre à la veille de sa réélection » Bref, un cas d’école en effet ! Cohen a écrit pour rien. Ce qui était prévu c’était une saleté de plus et comme il ne l’a pas donnée, le secrétaire de rédaction a rectifié le tir tout seul comme un grand.

Liscano le magnifique

Ce jour-là, j’ai rencontré Carlos Liscano à Montevideo. Le romancier. Oui, l’admirable Carlos Liscano. Il m’a dédicacé un livre que j’ai dévoré le soir même. Ça s’appelle « souvenir de la guerre récente ». Liscano publie en français. Nous étions lui et moi les invités d’une réception que l’Ambassade de France m’a fait la grande faveur d’organiser. Sitôt qu’il m’eut offert son livre de la main à la main, je me suis jeté sur la quatrième de couverture. Et je lui ai dit avec gourmandise que c’était une formidable mise en appétit. Mais lui a fait un sourire et il a dit « oui mais ça ce n’est pas moi qui l’ai écrit ».

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Bon, si ce n’est pas lui qui a écrit la page quatre, autant pour moi ! Mais il faut dire que pour les bouquins politiques on fait écrire cette page à l’auteur. Je croyais que c’était la même chose pour le roman. Je verrai bien le jour où je me mettrai au roman d’amour que j’écrirai un jour ou l’autre.

N’empêche : cette quatrième de couverture est décisive. La décision d’achat se prend si souvent sur ce coup d’œil ! Et même sur le look de la couverture. Tout compte dans un livre pour capturer le lecteur. C’est en regardant les couvertures que j’ai acheté mon premier roman de science-fiction. De mémoire « Abattoir numéro cinq » de Kurt Vonnegut. Un monument. Depuis je suis un ami de ce qu’il était convenu d’appeler « la littérature de gare ». Car dans mon milieu de jeunes intellectuels assez prétentieux on regardait de haut la science-fiction. En fait, on regardait de haut beaucoup de bonnes choses. Pourtant qui serais-je si je n’avais pas lu « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques » de K. Dick, qui a donné le film « Blade Runner » ? La couverture, mes amis ! Je remercie les faiseurs de couverture. C’est eux qui ont eu raison du mépris pour les romans policiers chez les petits messieurs de mon époque. Moi, je n’ai jamais marché dans les rangs. De cœur je suis spontanément libertaire. Bref, j’avais picoré Manchette. Aussi Agatha Christie qui est au polar ce que le tricycle est à la bicyclette : une étape dans le parcours du lecteur de polar. Puis quelques américains décoiffant. Je me suis fait accrocher par les quatrièmes pages. J’étais mûr pour le grand saut. Je me suis entiché de romans policiers pour de bon à partir du moment où je me suis mis à Arthur Upfield et à son indépassable flic aborigène, Napoléon Bonaparte. A cause du dessin de la couverture. Jamais je n’avais lu quelque chose qui m’ait emmené si loin ni fait sentir si fort un paysage. Pour finir j’ai lu six cent romans de science-fiction et sans doute autant de policiers. Dont tout Upfield, bien sûr. Mais pour de vrai, les auteurs latinos m’ont absorbé, juste après ma crise de Caldwell et son contraire en écriture qu’est Faulkner. J’ai dévoré, vous savez ? Tout ce que je trouvais. Je sais que vous savez de quoi je parle. Trois sujets comptent dans la vie privée. Nos amours, nos enfants, nos livres. En page quatre : nos repas et nos vins. Posséder de bonnes bouteilles est précieux. Posséder des livres est l’activité la plus ridicule qui soit. C’est lourd poussiéreux et encombrant. Et tout est disponible à la bibliothèque publique. Mais comment s’en empêcher ?

A parler vrai, je vais vous dire que je n’ai pas vraiment tant regardé la couverture de ces « souvenirs de la guerre récente », qui est très belle pourtant, parce que j’avais mieux. J’avais sous les yeux Carlos Liscano lui-même. Cet homme-là est d’une beauté suave qui vous captive et vous appelle séance tenante. C’est-à-dire qu’il a une manière de regarder, légèrement hésitante et puis très dense mais à la façon d’une main chaude qui serrerait la vôtre. Il se tient droit mais sans raideur. On voit alors son visage comme dans un cadre entre la barre de ses cheveux mi-longs. Peut-être me suis-je fais des idées. Mais je savais qu’il avait beaucoup été tapé par la dictature. Les rescapés ont souvent cet air-là. Bref, pas besoin de se laisser bluffer par la couverture du livre. Ainsi, avant la lecture, en le voyant, j’avais l’intuition du régal que provoque le reste du temps une quatrième page réussie. Je crois que cela ressemble aux symptômes de la passion amoureuse. Car le meilleur est le moment où l’on découvre un auteur. Homme ou femme c’est de même. Ah, quand on sent que ça va coller ! Que « ça va le faire », comme on dit. On se pourlèche. Combien y en a-t-il de publiés déjà ? On a une boule dans la gorge, non ? On sait que ça va durer des jours et des jours, après qu’on soit allé acheter d’un coup tout ce qui se vend de l’auteur. Puis on guettera les nouvelles parutions avec impatience. Dès fois, on se déprend. Je me suis dépris cette année de la Nothomb que je lisais de plus en plus mécaniquement, comme je le dirais d’une veille manie qui s’épuise. J’étais donc libre depuis quelque temps. J’ai lu mes petits camarades de parti qui écrivent beaucoup. Mais sans roman sur la table de chevet, la vie est vite sèche et pâle. Les souvenirs de la guerre récente de Carlos Liscano m’enthousiasment à partir de la page 21. Si j’étais lui je placerais les précédentes en épilogue car elles n’ont pas la force simple de tout ce qui suit et qui accroche pour cette raison même. Je vais lire tout Carlos Liscano, l’Uruguayen. Mais je sens qu’il faut prendre ça par petite dose. Alcool fort. Ça peut occasionner de grave déprime si c’est consommé trop brutalement au premier degré.

Attention ! Un auteur dans cette catégorie qui joue dans la classe de l’universel raconte une histoire. L’histoire fait tout. Mais il y a le rythme. Et le point de vue. J’aime ceux qui écrivent de l’extérieur du sujet, comme si c’était une simple description froide. Même quand la description porte sur un sentiment où une attitude mentale. Je n’ai jamais aimé le nouveau roman et sa bouillie narrative. Bon, dans le bon bouquin il y a toujours une perle rare, et parfois davantage, lovée dans les plis du récit. Il y en a une dans ce Carlos Liscano. C’est une description clinique de ce qu’il appelle « le mouillage ». Façon de se mettre en retrait pour se ramasser en soi. Le « mouillage » pour dire comme on le dirait d’un bateau. Une pause active. Il montre très bien comment en se fermant en partie et provisoirement aux autres on s’ouvre sur une dimension de la réalité qui est imperceptible autrement. La vérité est qu’il décrit à cette occasion une aptitude de l’esprit à une certaine forme d’empathie. C’est elle qui m’intéresse. J’arrête là. Ce « mouillage » m’a emballé comme chaque fois qu’un mot désigne une chose que je ne savais pas convoquer jusque-là. Mais ce bouquin est drôle, voyez-vous. Au premier degré. Au second degré il arrache. Carlos Liscano a fait de la taule longtemps. Sous la dictature. Lui n’a pas eu de non-lieu et les militaires n’avaient aucune raison de lui faire des faveurs. Vous savez pourquoi je dis ça…

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