A propos des vociférations d’Harlem Désir.
Communiqué de Jean-Luc Mélenchon, Député européen
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J’appelle Harlem Désir à la retenue. Les invectives du Premier secrétaire contre le clip du PCF-Front De Gauche expriment une exigence de soumission et de censure totalement inacceptable. Il n’empêche : ce clip présente avec humour le bilan des renoncements gouvernementaux. Au lieu de vociférer il ferait mieux de se demander quelle part de vérité si évidente il contient pour que tout le monde rie de si bon cœur en regardant ce plaisant petit film. Le gouvernement et son nouveau porte-parole feraient bien de cesser de se tromper d’adversaire. Après avoir passé tant de temps en université d’été et banquet à huis clos avec les patrons, après avoir fait voter deux plans d’austérité en six mois ils perdent leur temps en croyant nous intimider ! Nous respectons nos engagements électoraux en nous opposant à cette politique. Il devrait se réjouir que cela soit fait avec humour et drôlerie plutôt que sur le ton arrogant et sectaire avec lequel le PS croit possible de traiter les partis de notre gauche.
Comme entre chien et loup, pénombre et aurore, cette époque de l’année ne vaut pourtant pas trêve aussi forte qu’en août. Mais presque. Pour moi la pause est entrecoupée du plaisir de lire, et d’écrire sans les contraintes ni les harcèlements ordinaires. Réputé mécréant, on me fait peu de souhaits pour cette première fête commerciale et chrétienne de la noël. Mais j’en reçois cependant. Et, parmi ceux-ci, les plus émouvants furent ceux de ces cheminots ou bien ceux des sidérurgistes de Florange qui eurent un instant pour une pensée fraternelle collective avec moi. C’est peu dire que je m’y suis ressourcé comme dans un de ces moments précieux de l’existence.
J’ai réparti mes lignes pour ce passage sur mon blog en deux catégories. Les unes pour saisir au bond ce qui me venait à l’esprit qui pourrait éclairer ou égayer, les autres pour quelque chose de plus méthodiquement mis au point et servir au travail de ceux que cela peut intéresser. Ainsi pourrez-vous aller de confidences plutôt politiques à de la politique plutôt personnelle. Je n’ai pas craint de vous lasser puisque vous avez déjà résisté à tant de longueurs ! Et puis je reste dans l’idée qu’il ne faut pas chercher à plaire quand on pense, même si c’est à haute voix.
Confidences de vacances
Au menu les Pyrénées-Orientales très fréquentées, le vin mieux compris, un Japonais mal guéri, Miss France et d’autres choses plus ou moins légères à propos de Louis Capet, ci-devant Louis XVI, après qu’il a été capturé dans sa fuite à Varennes.
Moi et mes ex-æquo. Entre Noël et jour de l’An je nomadise. A Noël j’ai failli croiser Jean-Marc Ayrault dans les Pyrénées-Orientales où j’ai de la famille et des tombes. Et au Nouvel An ? Vais-je croiser mon ex-æquo en sympathie spontanément déclarée par les sondés de BVA ? Ça vient de sortir. BVA a sondé sur la sympathie que ressentent les Français pour les personnages notoires. Mais au lieu de suggérer des noms il a été laissé libre cours à l’expression spontanée des sondés. J’y suis classé vingtième et j’ai des ex-æquo. De quel ex-æquo suis-je en train de parler ? De Jamel Debbouze, bien sûr. Mais j’ai encore un autre ex-aequo, figurez-vous à cette vingtième place du classement ! Mais je n’ose pas croire qu’il puisse me croiser dans le Loiret où je dois aussi cantonner. Devinez « c’est qui c’est » ? François Hollande, les amis ! Mais oui ! Le chef de l’Etat a autant de gens qui le trouvent spontanément aussi sympathique que moi ou Debbouze ! Trop fort le gars ! Mais c’est vrai que moi, je suis « inaudible » comme dit « Libération » ! Dommage qu’il n’y ait pas un seul journaliste de « Libération » dans la liste des journalistes cités spontanément par les gens pour exprimer leur sympathie. Ils gagneraient à être aussi inaudibles que moi. Un conseil peut les aider dans cette direction : moins lécher les pompes des sociaux-libéraux. Ça les rendra discernables.
Valls me devance en sympathie spontanément avouée dans ce classement. C’est le seul homme politique avant nous deux, Hollande et moi. Je le cite parce que cet intense fayot de Valls est venu passer quelque jours en compagnie de son pendu, qu’il soutient comme une bonne vieille corde, l’anti-minable actuel premier ministre Jean-Marc Ayrault. Mais oui. Non seulement Ayrault, mais aussi Valls dans les montagnes des Pyrénées-Orientales. Comme un rom, je quitte les lieux sans bruit et avec mon peu de bagage. C’était prévu. De toute façon parmi les sondés de gauche, Valls ne me dépasse pas. Au contraire. Nous sommes ex-aequo parmi ceux dont on espère qu’ils jouent un rôle plus important à l’avenir. Ah ! Ah ! Voilà qui devrait rendre nerveux mon autre ex-aequo. Je suis arrivé sur un soleil couchant plein de feu derrière le Canigou, je repars devant une montagne glacée qui luit comme une lame sur le ciel. A l’aéroport on me fouille et on me palpe des pieds à la tête. Il est tout à fait clair que j’ai une tête de député suspect et que je pourrais bien avoir emmené une bombe pour faire sauter l’avion dans lequel je monte.
Je plaisante mais mes lectures sont sérieuses. Je mijote en effet un travail d’écriture sur la révolution citoyenne. Pour cela je fouille, entre autre chose, dans les petits hasards à grandes conséquences de l’histoire. Je viens de me brancher sur un livre de Mona Ozouf : « Varennes, la mort de la royauté ». D’accord le livre date de 2006. Mais ça cale bien. De toute façon je me suis lancé en alternance sur un travail de Claude Mazauric : « L’histoire de la pensée marxiste et la révolution française » dont j’ai bien besoin pour baliser ce que j’ai à écrire. Claude, en personne, m’a offert ce livre en juin 2009, après mon élection comme député européen. L’été 2011 j’ai croisé une nouvelle fois Claude à l’université du PCF où j’étais invité. Je lui dis : « Claude, je réalise que je suis séparé par des gouffres de temps avec certains livres que j’ai lu il y a maintenant si longtemps ! Que faire ? » Réponse de Claude, pleine d’humour tranquille : « Relire ! ». Autour de moi, nous le considérons tous comme notre brise-glace de la pensée à propos de ce bing bang de l’ère moderne qu’est la grande révolution de 1789. Un grand honneur pour mes amis Laurent Maffeïs et Alexis Corbière a été de recevoir de lui une préface pour leur best-seller militant : « Robespierre, reviens ! ». Ça se lit comme on mange une mousse au chocolat. Suave.
Déguster sans peur notre vin à Noël ? Oui, on peut. Les grands esprits de la Commission européenne ont renoncé à une de leurs stupides décisions technocratiques. Ils avaient prévu de libéraliser le droit de planter de la vigne autant qu’on veut, là où on veut, quand on veut. Une trouvaille à la mesure des extra-terrestres de Bruxelles qui boivent du coca et pensent que celui-ci se fait en pressant n’importe quelle patate. Peu importe la vigne, meugle la Commission, pourvu qu’on ait le vin ! La suppression des quotas de « droits à plantations » une idée, si l’on ose dire, signée « aux têtes d’œufs réunies ». Les mêmes technocrates avaient aussi inventé d’autoriser la fabrication de vin rosé en mélangeant du vin rouge avec du vin blanc. Et vous savez pourquoi ? Parce que le rosé étant moins abondant il est plus cher. Donc en écoulant du vin mélangé on fait baisser les prix. Les prix, mes amis ! La valeur suprême de la Commission européenne, de la Banque centrale et de tout leur saint-frusquin inhumain. Les mêmes ont également autorisé de sucrer le vin et d’y mettre des copeaux de bois pour obtenir un bon goût universel de « terroir » (les copeaux) dans la norme de la civilisation Disney (le sucre abondant). Autrefois on vous coupait les mains pour moins que ça !
Shinzo Abe, absurde nationaliste japonais, devient le premier ministre de son pays. Comme beaucoup de pays et régions qui n’ont pas été dénazifié après la défaite de l’Axe, la société japonaise n’est pas bien guérie de ses abominations en Asie. On se souvient qu’en Autriche, réputée victime de l’Anschluss, l’extrême-droite est arrivée jusqu’à une coalition au pouvoir. La peur des communistes fit en effet maintenir n’importe quel montage politique pour éviter de créer un vide qui leur soit propice. Ainsi le criminel de guerre Hiro Hito fut maintenu empereur du Japon et mourut dans son lit. C’était bien assez que les communistes aient eu la Chine ! Dès lors à intervalle régulier des nostalgiques comme ce nouveau premier ministre vont rendre hommage au mémorial des autres militaires criminels de guerre japonais. Bien sûr, l’énergumène a déjà prononcé des paroles offensantes pour la Chine. Bien sûr, la classe médiatico-politique liée aux Etats-Unis d’Amérique lui a déjà trouvé des circonstances atténuantes. Elle va bientôt jubiler à mesure que cet homme haussera le ton et menacera son grand voisin. Attendez-vous à une recrudescence des « inquiétudes » du journal « Le Monde » à propos du budget militaire de la Chine, et autres arguments de justification des provocations gouvernementales japonaises sur les îles disputées à la Chine. Le militarisme japonais va connaître de nouveaux beaux jours. Il est autrement plus efficace pour les ennemis de la Chine que les hypocrites pantomimes du Dalaï Lama et ses incroyables consignes de suicide. Quant à nous, n’oublions pas que le Japon c’est aussi une masse de gens qui continuent à lutter contre le nationalisme ahuri de leurs compatriotes. Et quand on pensera au fait que les Japonais ont pu élire un parti qui recommande la reprise du nucléaire, même après Fukushima et Nagasaki, on se souviendra aussi des autres, ceux qui continuent à manifester et protester. Là-bas comme partout deux camps. Pour l’instant nous sommes battus. Pour l’instant.
Et Miss France dans tout ça ? Vous y pensez-vous à Miss France ? Il paraît que moi j’ai une doctrine sur le sujet. Dans mon bilan de l’année, qu’il faudra bien faire le clavier sous les doigts, je vais faire une place particulière à la campagne de diabolisation dont j’ai fait l’objet. Sans trêve ni pause, à tout propos et hors de propos, les mêmes qui ont trouvé toutes les circonstances atténuantes à Marine Le Pen, en fonction du fait sans doute qu’elle s’en prend aux musulmans, me traînent copieusement dans la boue au motif que je ne m’occupe pas de la religion de mes compatriotes. Comment pourrais-je l’oublier un seul jour. L’exercice me rattrape à chaque revue de presse. Aujourd’hui voici Bruno Roger-Petit qui m’implique dans la polémique qu’il soulève à propos de l’attitude d’Audrey Pulvar et Clémentine Autain devant Miss France sur un plateau de télé. J’aime bien Roger-Petit notamment parce qu’il ne pousse pas l’esprit de secte et le corporatisme jusqu’à ménager les plus grosses bévues de Jean–Michel Aphatie. Il lui a dit son fait assez de fois pour que je repère en lui à la fois le type de droite mais aussi le gars qui n’a pas peur d’assumer ses hostilités. Une variété assez rare au royaume sournois des médiacrâtes. J’avais noté aussi qu’il ne me ménageait guère. Soit. C’est dans l’ordre des camps. Mais pourquoi me mettre à contribution pour flétrir les femmes qui n’aiment pas le concours de Miss France ? C’est pourtant ce qu’il fait dans une chronique saignante d’une hilarante mauvaise foi et me vaut une alerte de mon moteur de recherche. Ce qui m’a fait sourire c’est le magnifique tuyau de poêle : Clémentine Autain est mélenchoniste donc chaviste et donc Chavez n’aime pas le peuple qui lui aime Miss France que n’aime pas Clémentine Autain qui est mélenchoniste donc chaviste… Admirable trouvaille. Il y a cependant une face sombre à cette histoire, c’est l’idée que cet aristo se fait du peuple. On se croirait à « Libération ». Ceux-là savent que le peuple « rêve d’avoir le Pen pour grand-père ». Bruno Roger-Petit lui sait que le peuple aime Miss France et le concours qui la désigne dans ce rôle si valorisant d’idiote à visage humain. Ce serait du mépris de classe dit-il. Attention ! Soulignons la gravité de notre cas : un mépris dans « une conception un rien stalinienne ou chaviste (donc melenchoniste ?) ». En effet Bruno Roger-Petit estime que Clémentine Autain défend « en creux » l’idée suivante : « Des miss d’accord mais à condition d’être les ambassadrices du petit père des peuples ». Mon cher, je voudrais vous informer que les champignons sur la bûche de Noël se mangent. On ne les fume pas !
Quand Louis XVI a été ramené à Paris après sa tentative de fuite en Belgique, sur le chemin du retour, il a pu voir la population mobilisée en masse, tout le long du trajet, depuis Varennes. Paysans, ouvriers, bourgeois des villes et notables des bourgs, une marée humaine piétinant parfois des heures sur place, souvent armée de bâtons, piques, fourches, branches. Pour un traître prêt à l’aider pour s’enfuir de nouveau, mille et mille patriotes qui le surveillent et l’accablent de leur silence. Chaque épisode de cette lamentable équipée l’a confronté à la réalité de la révolution dans la profondeur du pays. Une réalité populaire, audacieuse, sérieusement ancrée et construite dans tous les esprits. Une fois revenu à l’intérieur des Tuileries sous bonne garde et à deux doigts de se faire écharper dans les derniers mètres, il lâchera ensuite une confidence au douteux La Fayette qui était censé le garder : « Je vous dirai franchement que jusqu’à ces derniers temps j’avais cru être dans un tourbillon de gens de votre opinion dont vous m’entouriez, mais que ce n’était pas l’opinion de la France ; j’ai bien reconnu dans ce voyage que je m’étais trompé et que c’est là l’opinion générale. » Ce n’est donc pas d’aujourd’hui que les puissants à mine placides sont en fait, derrière leurs grands airs, tellement « citrouille confuse » comme on l’a dit de ce Louis Capet là. Mais les faits, et le peuple, les rattrapent toujours. J’ai donc quitté les Pyrénées le cœur tranquille. Ayrault finira bien par rentrer à Matignon.
La crise comme stratégie.
Plus personne n’y fait attention et le niveau de l’information donné par les médias sur ce sujet est passé depuis longtemps sous la ligne de flottaison. En tous cas il y a eu un sommet européen les 13 et 14 décembre derniers. J’en ai fait un compte rendu. A présent je veux faire rebondir l’analyse sur une phrase très parlante du communiqué final où l’on apprend que la « crise » n’est pas seulement ce que l’on croit. Elle serait aussi une opportunité davantage qu’une calamité. Attention, lecteur pressé, mon texte est dense ! C’est une mise en en ordre de mes idées que je mets en partage.
La faillite du système d’information sur l’activité de l’Union européenne est totale. Sortis des récits et jeux de rôle sur les « sommets de la dernière chance » et autres mises en scène mélo dramatiques, les griots ordinaires de « l’Europe qui nous protège » n’ont rien à dire. Il est impossible de trouver où que ce soit la moindre information documentée, la moindre présentation du contenu des mesures prises chez les habituels médias donneurs de leçon de morale européenne. Ni d’ailleurs la moindre curiosité ou investigation, quand la source officielle européenne ne donne pas elle-même une information pré mastiquée sur un sujet. De mon côté j’ai publié mon compte rendu sur ce sujet comme je le fais de toute l’actualité européenne sur mon blog dédié. Je ne recommence donc pas ici mon compte rendu sur l’ensemble de ce qui s’y est décidé. Mais je veux revenir sur un point suggéré par une lecture attentive de la déclaration finale. Je le fais parce qu’il éclaire la scène du moment que nous vivons d’une façon spéciale.
Ce qui n’a pas facilité l’intérêt pour ce sommet c’est que les documents n’ont pas été traduits en français. Aucun ! Ordre du jour, note d’information, tout a été livré en anglais! C’est la règle dorénavant. Sous prétexte d’économie, les parlementaires et les citoyens sont privés du seul moyen de comprendre les enjeux des décisions prises : la traduction. En allant jeter un œil sur le site de la Commission européenne vous pourrez faire le constat du nombre des documents non traduits. Compte tenu des sommes dérisoires qui sont en cause à l’échelle de l’Europe pour ces traductions, j’en déduis que cette attitude est délibérée. Il s’agit de réserver la compréhension de ce qui se passe à ceux qui ont l’usage de la langue des décideurs. D’un autre côté il s’agit aussi de préparer méthodiquement le passage au grand marché unique transatlantique dont la langue de travail unique sera l’anglais. Dans l’immédiat, ce confinement permet aux médias euro-béats d’en rester à des récits de surface sans risquer d’être mis en cause par un contact direct du public avec les textes réels. Dans ce qui s’est dit il y a en effet matière à dire davantage que les comptes rendus de circonstances ont fait. Notez que ces mots ne valent pas pour autant quitus de ma part sur ce que ces comptes rendus ont rapporté à la connaissance du grand public. En effet, qu’il s’agisse de « l’aide à la Grèce », du fameux « nouveau » contrôle bancaire dont l’anti-minable Ayrault s’est fait de si vibrants gargarismes, et ainsi de suite, tout a été une fois de plus du recopiage manipulateur de la parole officielle, sans imagination ni curiosité, mâtiné par-ci par-là de rumeurs organisées par les attachés de presse des eurocrâtes. Encore une fois, sur ces sujets je vous renvoie à mon compte rendu car il vous permettra d’en prendre la mesure.
Mais dans le texte de clôture de ce sommet, comme je l’ai dit, quelques lignes m’ont frappé. Je les analyse comme un aveu tellement frappant ! Voyez ces lignes. Elles méritent d’être traduites intégralement. Elles expriment davantage que le cynisme ou l’aveuglement idéologique ordinaire des commissaires européens. Lisez lentement : « La crise économique et financière que traverse l'Union européenne a été un catalyseur pour mettre en place des changements profonds. Son impact est visible dans la restructuration profonde de nos économies, qui a actuellement lieu. Ce processus est perturbateur, politiquement stimulant et socialement difficile – mais il est nécessaire pour jeter les bases de la croissance future et de la compétitivité qui devra être intelligente, durable et inclusive. » Ce texte dit, en fait, que la crise est en réalité une stratégie d’action et non pas seulement une difficulté qui s’impose de l’extérieur. Je pense que cela jette sur la situation un jour nouveau. Par la « crise », délibérément, les eurocrates sont en train de faire naître consciemment et méthodiquement un ordre nouveau. C’est la stratégie du choc décrite par Naomi Klein. Attention : vu sous cet angle ce serait une erreur de dissocier l’objectif et les moyens. La politique d’austérité et les moyens autoritaires destinés à les imposer en Grèce, par exemple, forment un tout. Je voudrai qu’on ne l’oublie jamais du moins ici parmi les lecteurs qui viennent me lire dans le but de s’instruire et de compléter leur propre analyse de la période historique que nous vivons.
Donc je veux revenir sur ce point précis de la « crise » comme moyen d’action des dominants. J’ai déjà évoqué dans ma conférence à Londres cette idée de « la crise » en tant que stratégie de réorganisation du rapport de force entre le capital et le travail. Ce point mérite, bien sûr, une entrée en matière pour être compris sans excessive simplification. Le mot « crise », dans le vocabulaire commun, désigne un paroxysme provisoire. On suppose qu’il y aura des soins qui permettront un retour à l’équilibre initial. Pourtant la crise de la dette que nous vivons n’est pas provisoire. Elle implique un mécanisme de fond, structurel, qui forme la trame même du système capitaliste de notre temps. L’endettement et le crédit sont les moyens de masse que le capitalisme a trouvé pour dépasser sa limite interne traditionnelle. Permettez une explication plus approfondie de ce point. Je n’ai pas souvent l’occasion de donner mon analyse sur ce sujet que je crois essentiel. Il me semble que c’est acceptable de votre part, chers lecteurs, dans le cadre d’un texte comme celui-ci, ajouté depuis un séjour de repos dans une note publiée dans le temps de la trêve des confiseurs. Comment « la crise » peut-elle être à la fois une situation inopinée, un incident imprévu du parcours, et une stratégie d’action pour le futur? Je voudrais l’expliquer.
On s’accordera pour dire que c’est bien la dynamique du système financier global qui a conduit à la situation actuelle. Mais a-t-on clairement à l’esprit qu’à présent la masse de la dette est telle qu’il n’y a pas de soin qui puisse ramener à la situation antérieure. Si la dette n’est pas effacée, d’une façon ou d’une autre, le système roulera à l’abîme en entraînant la civilisation humaine. Mais cet effet de système ne peut être réglé par aucun des acteurs du système. De même qu’il n’y a pas de complot pour conduire à cette catastrophe, il n’y a pas d’état-major pour l’empêcher d’avancer vers son terme. Chaque épisode est le résultat d’un effet de système auto-organisé dont la dynamique est spontanée. Le point crucial est que tous les acteurs, les décideurs de toute nature, banquiers, personnages politiques et ainsi de suite, tous sont inclus dans la situation. Ils en sont une composante. Ils gèrent ce qu’ils trouvent en face d’eux du point de vue des intérêts qui dominent la scène et qui sont aussi les leurs en particulier. Cela leur paraît être la seule voie possible, le seul comportement raisonnable. Certes pour eux, la crise est d’abord seulement un dysfonctionnement. Ils estiment donc que leur devoir est de ramener la situation à l’équilibre. Mais ils n’imaginent pas de le faire autrement que du point de vue des normes, usages et exigences du système lui-même. Nos questions, mises en garde et revendications leur paraissent aussi extravagantes que le serait à nos yeux l’attitude d’un conducteur qui ayant un pneu crevé s’en prendrait à l’industrie de l’automobile au lieu de changer de roue pour continuer son parcours.
C’est donc de l’intérieur du cadre qu’il faut comprendre ce fait apparemment paradoxal : « la crise » offre des opportunités d’aller plus loin dans la logique qui a pourtant rendu possible « la crise ». Elle le peut parce que la situation de crise permet des prises d’avantages. Ce résultat nous l’avons sous les yeux. Bien sûr, personne n’a voulu la faillite du système des « subprimes ». Ni celle de la dette publique grecque. Ni l’effondrement de l’immobilier irlandais ou espagnol. Bien sûr que l’instabilité du système financier et la rupture des flux qui le constituent sont dangereux aussi pour les bénéficiaires de ce système. Cependant, tous ces événements ont eu lieu. Peut-être bien que les maîtres de la finance auraient préféré qu’il en soit autrement. Pourtant ce sont leurs décisions et leurs spéculations qui les ont provoquées, parfois de propos délibérés comme en Grèce. Quoiqu’il en soit, leurs regrets s’arrêtent à la porte des profits fabuleux que cette situation leur permet encore de réaliser. Un tel système ne contient aucun élément d’auto-régulation. Tout au contraire. La dérégulation et ses abus de toutes sortes constituent une belle part de marché. Elle forme même une part significative du PIB de nombreux pays qui constituent la toile des paradis fiscaux. Cette expression n’est pas réservée aux contrées exotiques, du type des Iles Caïman, elle concerne le cœur même du système comme on peut le voir avec le rôle de la City et du Royaume-Uni, qui en est un des rouages les plus actifs.
Quelle que soit l’obligation où nous nous trouvons de parler avec des mots qui obscurcissent ce qu’ils désignent davantage qu’ils ne l’éclairent, nous devons nous en tenir aux faits observables. Les apparences de la « crise de la dette » et les politique d’austérité qui sont censé y répondre ne doivent pas nous empêcher de voir ce qui se passe vraiment à la fin. Au-delà des arguments et des raisons mis en avant par chacun. Sinon on ne peut en comprendre la dynamique particulière de la situation d’ensemble. Ni la façon avec laquelle les événements réputés liés à la « crise financière », ou à la « crise écologique », et à la « crise sociale » forment un tout dans la réalité des faits qui surviennent. Le résultat, dis-je, nous l’avons sous les yeux. Alors même que « la crise de la vie quotidienne» s’approfondit visiblement pour le très grand nombre, pendant ce temps, les profits des très grandes entreprises explosent, la prédation bancaire s’élargit, la part de la rétribution du travail dans la richesse produite diminue, la financiarisation de l’économie s’étend et la part des dividendes par rapport aux investissements augmente. Et la température ambiante du globe monte. Dans ces conditions la suite ne continue pas simplement le présent.
C’est bien parce que les mots nous induisent en erreur qu’il faut utiliser un vocabulaire nouveau pour désigner les évnements. Souvent vous avez vu que j’utilise le mot « bifurcation » pour désigner ce type de situation bien particulier où une modification apparemment très localisée et ponctuelle se produit et fait dévier de sa trajectoire tout le système sans qu’aient changé les éléments qui font sa dynamique. J’en donne souvent une image : ce qui se produit avec un véhicule lancé à toute allure si le chauffeur se fait piquer par une guêpe. J’utilise souvent ce mot pour parler de l’étape qui va se franchir dans le climat lorsque l’impact du changement en cours aura atteint un certain seuil. Ou bien pour désigner ce qui se produira lorsque la Chine passera devant les Etats-Unis. L’image permet de mieux se représenter le mouvement comme un tout qui s’organise d’après ses propres éléments et non comme une interruption momentanée des données qui ont prévalu jusque-là dans le passé récent. La « crise » actuelle est en fait une nouvelle trajectoire, un nouveau moment cohérent et global pour le système dans son ensemble et pour son futur immédiat.
Une autre manière d’entrer dans la compréhension de la réalité que recouvre le mot « crise » est d’en placer les manifestations dans l’histoire pour observer leur incidence. Un regard en grand angle sur le sujet nous apprend d’abord quelque chose. L’instabilité et les « crises » sont consubstantielles au système capitaliste. L’histoire en atteste ! De 1816 à 1929, en plus d’un siècle, il y a eu 14 crises majeures ! Deux d’entre elles se sont réglées par une guerre mondiale. Depuis 1973, en moins de 40 ans, il y a eu déjà 12 crises affectant l’ensemble du système mondial et menaçant de le faire s’effondrer ! Depuis 1992, en 20 ans il y a eu 8 crises ! Ce coup d’œil montre que le rythme de déclenchement de ces crises systémiques s’accélère. D’une façon ou d’une autre, on peut dire que les conditions dans lesquelles se sont dénouées chacune d’entre elles, ont préparé les conditions d’un épisode suivant encore plus violent. Chaque « crise » a augmenté l’instabilité du système dans l’épisode suivant. Cette escalade a fait dire à Jean-Claude Trichet en août 2011, alors gouverneur de la Banque centrale européenne, que la crise actuelle est « la plus grave depuis la seconde guerre mondiale. Cela aurait même pu être la crise la plus grave depuis la première guerre ». Ce n’est pas seulement le moment qu’il faut alors considérer mais la raison pour laquelle il est parvenu à ce point en dépit de l’expérience qui devrait être acquise.
Donc, chaque sortie crise aggrave la violence de la suivante. Entrons davantage dans ce que montre le coup de projecteur. Vu de haut et de loin on peut voir une constante : chaque crise est une crise de surproduction. Cela paraît incompréhensible d’un point de vue du sens commun mais c’est la réalité. Quand tout le monde manque de tout c’est aussi le moment où la capacité de production est la plus élevée. Puis intervient une destruction massive de capital. Guerre, hyper-inflation ou faillites y pourvoient. Puis la reconstitution fournit la dynamique de la phase suivante. Mais, notez un fait peu souvent mentionné dans l’analyse de ce mouvement général : à chaque étape, dans l’histoire réelle, le système a vu l’aire du marché disponible pour l’accumulation du capital se réduire. Et du coup, il lui a fallu pour l’étendre par des moyens de plus en plus artificiels et dangereux. Les deux guerres mondiales ont soustrait au champ du marché toute l’aire de ce que l’on nommait le « camp socialiste », soit le tiers de l’humanité productive et consommatrice. La reconstitution du niveau des forces productives d’avant-guerre dans un espace marchand moindre a contraint à constituer des aires d’accumulation de plus en plus artificielles : économie naine du Moyen-Orient en surcapacité monstrueuse de capitaux, économie d’armement sans objet servant de volant d’entraînement à l’économie productive globale et ainsi de suite. A partir d’août 1971, et la fin de la convertibilité du dollar en or, est née une économie purement financière, sans objet matériel réel, en expansion permanente.
Depuis 1971, la masse monétaire en dollar a augmenté dix fois plus vite que le PIB des USA : la richesse produite réellement a été multipliée par 4 et la masse monétaire par 40 ! C’est ici la base d’une extraordinaire mise en circulation de signes monétaires sans contrepartie réelle. Elle a semblé affranchir le mécanisme de l’accumulation capitaliste de toutes les limites du monde matériel réel. Le crédit et la dette, la marchandisation de tous les compartiments de l’activité humaine et la financiarisation de tous les secteurs sont les bases du système actuel. C’est dans ce cadre que prennent place la situation et les dangers de la situation en Europe.
Une « crise » plus grande est inscrite dans la logique des événements ainsi mis en perspective. Du moins si aucune des conditions initiales du système ne change. L’observation des échanges sur le marché des devises permet de mesurer la hauteur de la falaise de papier qui surplombe l’économie productive réelle et menace de l’engloutir. Les chiffres sont souvent cités. En 1970 les fonds concernés s’élevaient à 20 milliards de dollars par jour. En 1990 à 1 500 milliards de dollars par jour. En 2010 ils atteignaient 4 000 milliards de dollars par jour. Pour comprendre quelle boursouflure sans objet matériel sont ces sommes, il faut les comparer à la valeur des biens réellement échangés. Quand 4000 milliards s’échangent en une journée, pendant ce temps, les biens et services réellement échangés sont de 40 milliards ! Cent fois moins chaque jour ! En 4 jours d'échanges sur le marché des changes, on atteint le montant annuel total du commerce international réel ! Je vais encore faire une comparaison pour bien faire comprendre les ordres de grandeur du monde de signes artificiels dans lequel nous vivons. Quand il circule 4000 milliards, il n’y a que 170 milliards de richesse produite dans le monde ! Il y a donc 23 fois plus de dollars en circulation que de richesse mondiale créée ! Le plus vaste choc que le monde va recevoir est celui de l’ajustement de cette masse de monnaie de singe avec sa contrepartie en biens matériels réels. Cela se produira lorsque les Etats-Unis d’Amérique ne seront plus en tête de l’économie mondiale réelle et que la confiance dans la valeur du dollar sera donc mise en cause par cette situation. Cela est inscrit dans le calendrier.
L’Europe peut donc, à tout moment, recevoir ce choc en plus de celui qu’elle subit. La catastrophe peut être déclenchée fortuitement à tout moment par un incident systémique intervenant n’importe où dans le monde. Et, évidemment, l’Europe peut elle-même déclencher le choc général par un épisode incontrôlé de sa propre instabilité. A chaque pas nous rencontrons l’articulation de ces deux niveaux de la réalité et l’interaction des instabilités structurelles du capitalisme de notre temps. Ainsi, par exemple, quand nous voyons que les Etats-Unis d’Amérique ne peuvent accepter que l’euro soit une monnaie de réserve. En effet l’euro mettrait alors en danger le rôle du dollar comme monnaie de réserve. Mais à l’inverse l’effondrement de l’euro entraînerait aussi tout le système financier mondial dans la catastrophe.
Le texte de la Commission avec lequel j’ai commencé cette longue analyse nous montre que « la crise » a cessé d’être perçue comme un risque par les puissants en Europe et qu’ils la vivent essentiellement comme une opportunité dans une stratégie de réorganisation des sociétés. Le modèle de la stratégie du choc, tel qu’il a été expérimenté sur les pays sortis du Comecon et du « camp socialiste » sert de modèle sur les économies imbibées « d’Etat providence ». C’est pourquoi les eurocrates peuvent continuer à recommander avec insistance les politiques que nous nommons « austéritaires » alors qu’elles semblent être un défi au bon sens ! C’est à ces recommandations qu’est consacré l’essentiel des déclarations de ce sommet. Et cela en dépit de pronostics particulièrement sombres, donnés par les mêmes personnages, sur les souffrances à endurer l’année prochaine, en matière de chômage notamment.
Mais tout ceci contient aussi une mise en garde pour nous aussi. Notre camp ne peut se contenter d’imaginer le futur souhaitable comme une simple reconstruction du monde du passé, désormais idéalisé, celui des « trente glorieuses ». Nous ne pouvons penser l’avenir comme de bons keynésiens à qui il suffirait d’espérer « relancer la croissance » comme le répètent en refrain tous ceux qui continuent de vivre dans l’imaginaire du productivisme. Non seulement pour la raison que tout le monde connaît bien désormais ce qu'il en est des limites de l’écosystème. Non seulement parce que la financiarisation de l’économie ne le permet pas. Mais surtout parce que le productivisme contient une logique d’appel à l’accumulation qui reproduit mécaniquement les mêmes contradictions : il lui faut sans cesse élargir la base des consommateurs et pour cela il lui faut sans cesse tenter de restreindre les coûts de production. Cette logique de la politique de l’offre, quel qu’en soit l’habillage, constitue un modèle de production et d’échange fondamentalement instable. La planification écologique se présente face à cela comme une méthode exactement inverse. Comme politique de la demande, elle a vocation à prévoir la satiété de la société. Comme orientation responsable du futur elle doit éteindre les moteurs de frustration consuméristes qui sont le cœur du modèle publicitaire productiviste. Je suppose que tout le reste du discours sur le modèle alternatif se devine à partir de là sans que je doive en surcharger ce post.
J’ai commencé en montrant comment la « crise » devient une stratégie davantage qu’une nuisance pour la finance. Pour nous il en va tout autrement. Les nuisances de la situation et les résultats de la stratégie de la finance sont intégralement payés par les salariés, qu’ils soient actifs ou au chômage. Misère et insécurité sociale n’ont jamais élevé le niveau de combativité sociale. Mais en même temps, l’idée fait son chemin qu’il faudrait passer à autre chose. C’est sans cesse davantage le cas dans les secteurs de la société qui jusque-là ne regardaient pas de notre côté, parmi les catégories sociales les mieux formées et les plus qualifiées. Les objectifs et les méthodes de la planification écologique forment un horizon de mobilisation autant politique que professionnel. Bien sûr, le phénomène est très loin d’être hégémonique. Mais le mouvement est de ce côté. Car le discrédit des sociaux-libéraux, et l’insupportable bonne conscience routinière de la vieille deuxième gauche type « Nouvel Observateur » ou « Libération », sont devenus de puissants répulsifs ainsi que nous en avons d’innombrables témoignages. Je ne mentionne ces faits que pour les placer dans le contexte. Si la société est conduite au point de blocage que les politiques d’austérité ou d’ajustement structurels ont produit partout ailleurs dans le monde, la société ne songera pas à ce moment-là à se tourner vers les comptables sans imagination du social-libéralisme ou les ethno-libéraux de l’UMP. Cette exclusive s’est déjà maintes fois vérifiée. Pour qu’elle fonctionne vers nous, il est indispensable de n’entrer dans aucune combinaison ou arrangement avec ce vieux monde et son système politique. C’est cela que signifie notre stratégie de l’alternative. Et c’est en cela qu’elle est un recours pour la société.