L’été finira bien par arriver

Je vais ralentir la cadence de parution sur ce blog puisque sans doute ce sera bientôt l’été pour de vrai. Je vais pouvoir mettre de la distance avec mon quotidien acharné. Mais avant cela il ne faut pas abandonner les combats en cours. C’est pourquoi je renvoie à ce qu’écrit mon avocate Raquel Garrido sur le procès que madame Le Pen lui intente. La tentative de faire taire la défense d’un avocat ou de l’intimider par une poursuite judiciaire est un fait d’une exceptionnelle rareté et gravité. J’ai noté quels médias étaient présents à la conférence de presse organisée sur le thème. Car à peine quelques heures après le résultat de Villeneuve sur Lot et leurs meuglements solennels, les vaches sacrées paissaient déjà ailleurs.

Je prolonge aussi mon post sur l’affaire Kerviel. Pour cela je pars de la loi bancaire en cours d’examen et je m’intéresse au contexte de l’action de la Banque en cause, la Société Générale au moment où elle décide de faire de Kerviel un coupable idéal.

Avant de dételer, je vais faire encore une session à Strasbourg et encore avant cela, cette fin de semaine, je conclurai deux grandes fêtes populaire: celle du « Travailleurs Catalan » dans les Pyrénées orientales et celle de Lézan dans le Gard organisée par mes amis communistes. Là j’aurais l’occasion de développer ce que je pense du moment et de ce que nous devons faire selon moi. Puis j’irai aux journées d’été du Parti de la Gauche européenne à Porto où je dois conclure le meeting du vendredi. De là je rentrerai à Paris pour boucler une valise au long cours avant d’aller à Quito, en Equateur, où se travaille la déclaration à propos du forum de la révolution citoyenne. Après quoi j’irai au forum de San Paolo, comme l’an passé, mais en compagnie d’éminents amis vénézuéliens si tout se passe comme prévu. Je pense que je resterai un peu sur place à Quito, pour souffler et me soustraire à la hargne médiatique qui m’accable ici, où que j’aille et quoique je fasse, toujours sur « l’à côté » qui, bien sûr, « révèle » l’essentiel. Exemple récent. Sans doute l’avez-vous ignoré mais de mes cinq heures au salon du Bourget, le « Lab d’Europe 1 », un vieil ennemi traditionnel très proche de la droite extrême, a extrait quelques secondes du travail d’une caméra de « France 2 » dont j’avais accepté l’accompagnement. Les images sélectionnées sont présentées pour souligner ma préférence pour la classe affaire en avion. Elle est réelle. On s’intéresse moins à ma description de la maltraitance des passagers de la classe économique ! Elles ont fait le « buzz » comme on le dit. Mes « goûts de luxe » ont été aussitôt pointés dans le JDD. Lequel de ces clowns voyage comme moi en métro et en bus dans Paris ? Lequel de ces pitres voyage en classe éco quand il fait des voyages ? Et combien se paient leur billet d’avion eux-mêmes ? Aucun bien sûr. Le « Lab d’Europe 1 » est spécialisé dans ce genre de montage provocant à mon sujet. Une sorte de « petit journal » en plus gras, plus trivial et en moins drôle.

L’essentiel pour moi, cela aura été le résultat de l’élection partielle de Villeneuve. Je crois que, comme la plupart d’entre vous, je comprends parfaitement bien ce qui s’est passé là-bas une fois de plus. Je vois, comme beaucoup d’entre vous, comment le contexte et le mélange qui conduisent à ce deuxième tour est dorénavant très fermement installé. Certes c’est l’UMP qui a gagné le siège. Mais c’est le Front National qui a la victoire politique. En tous cas cela ne doit pas nous conduire à sous-estimer nos propres responsabilités. Je vais y venir. Mais avant cela, encore une fois je dis que le pilonnage médiatique qui accompagne la montée en puissance incontestable du Front national joue un rôle décisif dans ce processus.

La lepénisation médiatique

L’évolution d’un Robert Ménard n’est pas anecdotique mais révélatrice de ce qui se passe dans cette profession. De « Reporters Sans Frontières » (que je n’assimile pas à sa trajectoire) au Front National à Béziers en passant par l’apologie du Dalaï Lama comme prétexte à la haine quasi raciste anti chinoise, comment ne pas voir les ingrédients qui ont coagulés dans cet esprit perturbé ? Comment ne pas percevoir l’arrogance sectaire et normative des maitres de plateau télé qui se perdent ensuite dans leurs certitudes aveuglées ? Comment ne pas y voir un écho du sentiment de toute-puissance que leur donne le narcissisme télévisé. Comment ne pas sentir l’affichage du sentiment d’appartenir à une profession dépositaire et véhicule de la vérité ? Ménard n’est pas une exception. Il est juste très visible. Mais il n’est pas si caricatural. Il s’agit d’une vague profonde ! Les adeptes du Front National sont désormais bien plus nombreux qu’on ne le croit dans les rédactions où dominait la droite et dans celle où l’on déteste les musulmans. Dans les sommets c’est une autre paire de manches. A l’abri d’un noir corporatisme de caste qui interdit toute critique des contenus et des censures, opère une mince couche dirigeante de médiacrâtes dont les atavismes encouragent le pire. Bref: un certain nombre de médias sont directement responsables de la cristallisation de l’opinion qui s’opère du côté du Front National. Comment ?

Ils fonctionnent comme coagulateur de miasmes. Comme un prescripteur qui diffuse un angle de vue sur toute la scène médiatique. Par contamination, il formate un « air du temps » exclusivement profitable à l’ecosystème culturel du Front National. Dans la plupart des situations, la paresse intellectuelle, le régime de peur sociale régnant dans maintes rédactions, et le panurgisme compulsif expliquent ce que les vendettas personnelles et les accointances politiques ne suffisent pas à décrire. Mais dans quelques cas notoires il s’agit d’une orientation qui se déduit de la matrice éditoriale elle-même. L’idéologie d’extrême droite prolifère sur un terreau culturel bien connu et bien décrit depuis longtemps. Cinq condiments essentiels s’y trouvent. Il y a d’abord, bien sûr, l’état de détresse sociale accompagnée par la peur du déclassement dans les catégories sociales dites « moyennes ». Ensuite le fantasme du « déclin national », toujours mis en scène de façon catastrophiste. Puis l’antiparlementarisme et la disqualification permanente du « politique » toujours présenté comme impur et corruptible. Il y a aussi la mise en scène nostalgique d’un état de nature bienfaisant malheureusement ignoré. Et enfin il y a la figure  l’ennemi de l’intérieur infiltré et tout puissant : juif, franc-maçon, musulman. Ces éléments se retrouvent tous ensemble dans certaines publications de référence, à l’exception de l’anti-sémitisme que, pour l’instant, aucune n’assume. Mais, quand bien même la diffusion de cette sous couche est-elle éparpillée au gré des titres et des moments, elle ne manque jamais de fusionner dans les esprits. Surtout depuis que la dédiabolisation de Marine Le Pen est martelée et que ses thèmes sont banalisés sur le mode par exemple des « unes » de l’Express. Comment oublier dans ce registre le « sondage exclusif » du journal « Le  Monde » dont les questions, la mise en page et la présentation constituent à eux seuls un cas d’école. Lisez cette accroche : « Un Français sur deux considère aujourd’hui que le déclin de la France est «inéluctable». Une proportion qui monte à 77% chez les partisans du Front national. Ils sont également très nombreux à considérer la mondialisation comme «une menace», à juger que la France doit «se protéger», et qu’elle a besoin d’un «vrai chef». Les politiques, l’islam et… les journalistes sont voués aux gémonies. Les conclusions de la grande enquête Ipsos pour Le Monde, réalisée avec le Cevipof et la Fondation Jean Jaurès, montrent que, chez les Français, le ressentiment cède à l’hostilité, et le repli à la grande crispation identitaire. Un tableau très sombre analysé par l’historien Michel Winock et commenté par José Bové, Pierre Laurent, Ségolène Royal, Jean-Louis Borloo, Jean-François Copé et Marine Le Pen. » Oui ce jour là même l’appel au chef avait été « sondé », c’est-à-dire suggéré comme chacun le sait.

Mais tout cela ne nous dispense pas de nos propres responsabilités. Je ne parle pas des responsabilités locales. Abandonnés à eux-mêmes les militants locaux ont fait du mieux qu’ils pouvaient. Cela ne veut pas dire que j’approuve ce qui s’est fait mais je veux respecter et saluer le dévouement qui s’est exprimé sans relâche. Je parle ici du niveau national et je m’inclus donc dans les reproches que je nous fait, cela va de soi.
L’auto critique que nous devons faire est d’abord que cette élection partielle n’a pas été traitée comme une élection nationale ! Et cela alors même que l’alerte avait déjà été donnée avec l’élection dans l’Oise elle aussi cantonnée au niveau local. De son côté le Front national a piloté sa campagne avec tous les moyens du national et sous sa vigilance. Comment faisons-nous pour traiter et préparer avec un soin de notaire chaque manifestation nationale de notre mouvement et abandonner aux hasards locaux et à ses moyens très modestes une campagne de ce type ? Le fond de l’affaire, au niveau national, est politique. Il faudra avoir le courage de l’aborder. La discussion qui opposait « le coup de balai » que j’avais prôné au nom du PG et celle de la « truelle pour construire » portée par la direction du PCF et la gauche unitaire de Christian Piquet, si elle devait être minimisée en public dans le contexte inopportun de la préparation de la manifestation du 5 mai n’en est pas moins concernée ici. On ne pourra pas dire que le thème local fut « le coup de balai » ni « la gauche sans complexe et sans casserole » que j’avais porté à Hénin Beaumont comme ligne de campagne. Elle nous avait pourtant permis de gagner 1000 voix en trois semaines. Cette orientation me parait tout à fait indiquée quand est en jeu dans une élection de ce type la masse des désemparés et désorientés dégoutés par la situation et qui cherchent une issue positive. Tout ce qui ressemble à un accommodement avec le système tout ce qui se réfère à l’ancien monde politico institutionnel est disqualifié à juste titre dans ces milieux très divers socialement et donc peut captables par les discours catégoriels des campagnes électorales classiques.

L’illusion est de croire que nous pourrions grappiller des électeurs aux socialistes convaincus, par de bonnes manières et un parler doux et complice. Ceux-là ont encore voté à 21 % pour le candidat du parti de Cahuzac, sans état d’âme. Mais ceux-là aussi auraient peut-être bougé davantage s’ils avaient été secoués par une interpellation spécifique, venue de notre niveau national et s’ils avaient senti qu’ils pouvaient jouer un rôle plus fondateur que de reconduire sans cesse le même paysage. De son côté le Front national a fait ce double travail en direction des désorientés d’une part et des électeurs traditionnels de la droite d’autre part. Personne ne lui ayant demandé de compte sur l’implication de ses proches dans les aventures de Cahuzac, pas même le journal « Le Monde » qui avait sorti l’affaire de façon très soudaine et très documentée, Marine le Pen a eu les mains libres. Et de même à propos du meurtre de Clément Méric. J’ai subi dix fois plus de buzz à propos de sièges d’avion en classe affaire ou éco que n’en ont donné mes articles fouillés et argumentés ou ceux de mon ami Alexis Corbière montrant les liens entre le parti des Le Pen et le meurtrier.

A côté de cela, peut-être lui a-t-on facilité la tâche en publiant un tract en arabe que j’avais d’abord pris pour un faux quand on me le montra ! Je pense qu’il s’agit d’une erreur qui mérite d’être discutée sur le fond. Car quelles sont les motivations des camarades qui peuvent croire qu’il y a des « citoyens français d’origine maghrébine » qui ont besoin de lire notre message dans une langue qui n’est pas la leur, à supposer qu’ils la lisent, et plus encore qu’ils la lisent dans le dialecte choisi ! Bien sûr je sais bien que les rédacteurs n’avaient pas l’intention d’aider madame Le Pen. Mais les camarades ont-ils compris que c’est bien ce qui s’est passé et surtout comprennent-ils tous, au niveau local et au niveau national, pourquoi c’est bien le cas ? Et surtout pourquoi c’est inacceptable dans tous les cas ?

Comme je l’ai dit pour commencer mon propos je crois que la façon dont nous avons tourné le dos au niveau local en le laissant se débrouiller du défi interpelle notre difficulté à trancher des questions moins compliquées qu’il y parait d’abord. Or, on ne peut pas faire exister plusieurs stratégies de combat en même temps. Déjà le concert de critiques confuses à propos de la ligne dite « Front contre Front » a tétanisé la parole et la réflexion ! L’application de la ligne inverse, sans le succès de la première, va-t-elle aussi bloquer le débat ?  En tous cas le drapeau levé par nous dans la campagne présidentielle, les enseignements de mes débats avec madame Le Pen, puis ceux de ma présence à Henin-Beaumont semblent devenus bien éloignés des acquis de notre famille politique. Est-ce parce qu’ils ont été mis de côté après Henin-Beaumont ? Qu’ont produit alors les sempiternelles injonctions de « montrer plutôt d’abord le contenu alternatif de nos propositions » ce qui ne m’a jamais paru contradictoire ? En tous cas je note que « Le Monde » peut dorénavant se permettre aussi de dire qu’aucune grande « voix forte et légitime à gauche ni à droite n’a pris en charge le combat contre le Front National » pour finir d’effacer du tableau notre combat récent, sans ressentir le besoin de mentionner « le contenu alternatif de nos propositions concrètes ».

Mon intention n’est pas ici de sanctionner des débats du passé récent dont il est évident que les évènements ont suffi à les trancher. Mon souhait est que la leçon serve et que nous prenions les combats en main d’une façon plus collective pas seulement quand il est question de moi, mais dans tous les cas où l’avenir de notre projet est engagé.
La responsabilité de notre déconvenue locale à Villeneuve est exclusivement d’ordre national. Nous n’avons été les jouets d’aucune fatalité. Nous sommes une force nouvelle. La difficulté à aborder un combat nouveau est naturelle. Elle ne doit pas nous complexer. Mais le contexte et sa dangerosité ne nous permet aucun des conforts que les autres peuvent se permettre. Nous cacher nos erreurs ne serait pas à la hauteur de l’événement et du seuil qu’il contient. Sur le terrain, cette fois ci, le Front national a pris la main comme alternative au système. Et cela dans un contexte qui aurait permis que soient exploitées toutes les potentialités d’une ligne qui avait prouvé sa force d’entrainement dans la spectaculaire manifestation du 5 Mai. Seuls les naïfs pouvaient croire que nous recevrions de l’aide de la sphère médiatique pour cibler le Front national et contrer son avancée. Une fois de plus, comme à Hénin-Beaumont, et comme je l’avais dit, ce fut le contraire, notamment dans la presse régionale cette petite tyrannie intolérante avec nous et complaisante avec le système qui les gave. La confusion stratégique, les atermoiements tactiques et les illusions sur l’adversité nous exposent à de terribles déconvenues que la gravité de la situation ne permet pas. D’autres partielles auront lieu. Il faudra se souvenir de celle-ci. D’autres élections arrivent. Il faudra aussi se souvenir de comment nous avons perdu celle-ci.

De Kerviel, de la banque et des banksters

Ce mercredi 26 juin, le Sénat examine en deuxième lecture la fumeuse "loi bancaire" de François Hollande. Mes lecteurs savent que François Hollande a complètement renoncé à son discours du Bourget de la campagne présidentielle. Nous sommes bien loin de ce 22 janvier 2011 où le candidat du PS déclarait "Mon véritable adversaire n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance". J'en dis un mot et j'en profite pour revenir sur cette banque particulière qu'est la Société Générale.

Cette loi est un coup de pistolet à bouchon dans la guerre contre la finance. Je l'ai déjà dit ainsi que mes camarades et d'autres économistes comme Frédéric Lordon. L'économiste du CNRS et de la Paris School of Economics Gaël Giraud aussi. Il a produit une longue note d'analyse du projet de loi bancaire. Cette note, écrite en décembre dernier, a beaucoup circulé. Et pour cause, en 27 pages, elle montre combien le projet de loi Moscovici-Hollande ne changera rien ou presque. Gaël Giraud résume ses 27 pages de la façon suivante : "On montre qu'il est nécessaire de scinder les activités bancaires pour au moins 5 motifs distincts, répondant à 5 problèmes majeurs qui affectent aujourd'hui l'activité bancaire et pénalisent l'économie française. On rappelle les différentes manières de scinder déjà envisagées (Volcker, Vickers, Liikanen, Glas Steagall Act), et on les compare au projet de loi actuel. L'examen de celui-ci révèle que, dans son état actuel, il ne résout aucun des 5 problèmes mentionnés, et s'avère même cumuler toutes les faiblesses des projets antérieurs sans hériter d'aucune de leur qualité. La note se termine par l'examen des objections formulées par le secteur bancaire à une scission effective, et conclut qu'aucune de ces objections ne légitime un refus de scinder les activités bancaires". Le bilan est donc piteux.

L'absence de séparation entre banque d'affaires et banque de détail (celle qui gère vos petites économies) est le reniement majeur de François Hollande. C'est aussi l'une des faiblesses principales du projet de loi. C'est tellement vrai que les députés de la commission des Finances de l'Assemblée nationale se souviennent encore de la provocation du patron d'une des très grandes banques française. Le 30 janvier dernier, lors de son audition dans le cadre de l'examen du projet de loi bancaire, ce PDG avait avoué sans gêne que le projet de loi Moscovici n'obligerait la banque à filialiser que 0,75% de ses activités… Même pas une pichenette ! Ce patron, c'était Frédéric Oudéa, actuel président directeur général de la Société Générale.

La Société Générale ! C’est le moment d’en parler après l’avoir beaucoup évoquée dans ma précédente note. La SoGé fait parti des trois plus importantes banques françaises. A eux seuls, les actifs détenus par la Société Générale représente l'équivalent de 55% de toute la richesse produite en un an dans notre pays. Ces dernières décennies, la banque s'est développée vers des activités de marché de plus en plus risquées et spéculatives. La chronologie est très clasique : privatisation à la fin des années 1980 sous Chirac, montée en puissance des activités de banque d'investissement avec sa filiale SGCIB (Société Générale Corporate & Investment Banking) dans les années 1990, internationalisation dans les années 2000. C’est là que commence les points de contacts dangereux. Cette internationalisation se fait certes en Europe mais aussi sur le marché américain. Voila comment arrivent les crédits subprimes. En 2012, la situation est la suivante, le Produit Net Bancaire de la banque, c'est-à-dire l'équivalent de son chiffre d'affaires, se répartit de la façon suivante. Un tiers (32,7% exactement) pour l'activité de banque de détail en France, c'est-à-dire la gestion des économies et des prêts aux particuliers et entreprises. 19,8% pour la même activité à l'international. Au total, seulement la moitié de l'activité de la banque est constitué d'activités de prêts aux ménages et aux entreprises de l'économie réelle. L'autre moitié se décompose de la façon suivante. Les prestations de services financiers spécialisés et d'assurance comptent pour 14%. La gestion d'actifs compte pour 8,7%. Et l'activité de banque de financement et d'investissement représente 24,8% ! C’est de cette partie que peut venir le danger c’est a dire le gouffre où seraient englouties vos économies. Un quart de l'activité de la banque sont employés à la spéculation. La loi bancaire de Moscovici n'obligera pourtant la banque à isoler que que moins de 1% de son produit net bancaire et non 25% !

Dans sa note, Gaël Giraud révélait un autre détail passé inaperçu sur la Société Générale. Il intéressera tous ceux qui ont lu mon billet sur l'affaire Kerviel. Gaël Giraud rappelle que "la Société Générale doit sa survie au contribuable américain : sur les 80 milliards de dollars apportés par le budget fédéral fin 2008 lors du sauvetage [de l'assureur américain] AIG, 12 milliards étaient dus par AIG à la banque française". L'économiste rappelle cet épisode de la crise des subprimes pour montrer que Moscovici à tort quand il défend le "modèle universel des banques françaises". En parlant ce langage, Pierre Moscovici ne fait que reprendre l'argument des grandes banques françaises, BNP et Société Générale en tête. Les banques plaident qu'elles ont mieux résisté à la crise des subprimes que les banques américaines car elles étaient à la fois des banques d'affaires et des banques de détail. Elles répètent ce mensonge pour s'opposer à une séparation stricte entre leurs activités. Ce refrain, Gaël Giraud montre que c'est un mensonge et que le prétendu "modèle" des banques françaises n'en est pas un.
Il rappelle surtout que la Société Générale a failli perdre beaucoup d'argent dans la crise des subprimes fin 2008 aux Etats-Unis. 12 milliards de dollars au moins du seul fait de ce que lui devait l'assureur AIG. On est bien loin des deux petits milliards d'euros de pertes reconnues en France par la banque au début de la même 2008 année au titre des subprimes pour 2007.
A ce moment là, en janvier 2008, la Société Générale perd 6,4 autres milliards d'euros qu'elle impute à Jérôme Kerviel. Certes comme je l’ai dit elle prend soin de déduire de cette perte les gains de Kerviel pour 1,5 milliards d'euros. Reste donc au total 4,9 milliards d'euros de perte. Voila des montants qui paraissent déjà un peu plus en phase avec les pertes que la Société Générale a failli essuyé à la fin de l'année 2008 à cause des subprimes, non ? La banque a-t-elle fait porter à Kerviel le chapeau d'autres pertes réalisées à cause des subprimes ?

Les dernières révélations de Médiapart rendent la question encore plus légitime. Jérôme Kerviel a été condamné sur la base d'un enregistrement de l'interrogatoire réalisé par la Société Générale elle-même. La banque a remis les bandes audios à la justice. Mais les avocats de Jérôme Kerviel n'y ont pas eu accès avant le premier procès. Officiellement, il leur a été répondu que "la demande de copie de ces deux scellés apparaît sans objet, leur retranscription figurant dans la procédure". Or les retranscriptions aussi ont été elles aussi fournies par la banque ! Les avocats de Jérôme Kerviel ont fini par avoir accès aux bandes audios dans le cadre de la procédure d'appel. Et ils les ont fait analysées par des experts. Le résultat est saisissant, dit Martine Orange de Médiapart qui a mené l’enquête !

Vendredi dernier, Mediapart a ainsi révélé la chose suivante : "à l’écoute, tout paraît bizarre. Là où la transcription dactylographiée donnait l’impression d’une conversation suivie et complète, les enregistrements –éclatés en plus de 360 fichiers– renvoient des dialogues confus, inaudibles et surtout ponctués d’importants blancs ou silences". En "reprenant les heures et les dates du début et de la fin des enregistrements", les experts concluent qu'"il devrait donc y avoir 8h54 min d’enregistrements." "Or la sommation de la durée des fichiers sur les seuls enregistrements en présence de Jérôme Kerviel est de 6h10mm, ce qui permet de conclure qu’au minimum 2h44mm sont manquantes". Et Mediapart s'interroge à juste titre sur ces "étranges silences". Qu'y a-t-il sur les 164 minutes manquantes ? Qu'a dit Jérôme Kerviel pendant tout ce temps ? Quelles questions lui ont été posées ? Qu'ont dit les dirigeants de la banque qui l'interrogeaient ? Les bandes audios ont-elles été volontairement coupées pour taire des passages compromettants pour la banque ? Ou pire, pour monter de toute pièce un récit accablant pour Jérôme Kerviel ?

L'affaire est grave. Quelle confiance avoir dans les dirigeants des grandes banques en général et de la Société Générale en particulier. Leur business model flirte souvent avec la légalité. Si le mot bankster a été si souvent utilisé pour les désigner ce n’est pas par caprice. A mi-chemin entre banquiers et gangsters le mot désigne bien un type de façon d’être. Comme je l’ai déjà écrit, dans les suites de la fraudes imputées à Kerviel, la Société Générale a été condamnée le 4 juillet 2008 à 4 millions d'euros d'amendes pour "défaillance de ses systèmes de contrôle" par la Commission bancaire française, l'autorité de régulation des activités bancaires. A l'appui de sa décision, la Commission bancaire pointait que "les défaillance relevées, en particulier les carences des contrôles hiérarchiques, se sont poursuivies pendant une longue période, à savoir l'année 2007, sans que le système de contrôle interne n'ait permis de les déceler et de les corriger". Elle relevait surtout "des carences graves du système de contrôle interne, dépassant la répétition de simples défaillances individuelles". C'est donc bien un système qui était pointé du doigt. Un de mes commentateurs de la note précedente, tartampion écrit a ce sujet : « J'ai été prestataire de service dans la salle des marchés de la Société Générale, avant l'affaire Kerviel. La sécurité informatique interne y était limite inexistante: pour ceux qui connaissent le métier, on faisait des telnet directement en root sur les serveurs, et les mots de passes n'avaient pas l'air de changer souvent. Cela signifie qu'il n'y a pas de traçabilité fiable des opérations commises par les gens du backoffice. Si Jérôme Kerviel a fait un séjour au backoffice, il a donc acquis des accès lui permettant de faire par la suite tous les trafics possibles sans avoir à pirater quoi que ce soit: il lui aura suffit d'exploiter la négligence omniprésente en matière de sécurité informatique, qui est assez éloignée de l'état de l'art en la matière. Il m'a été difficile de comprendre pourquoi c'était si laxiste, mais maintenant ma conviction est qu'on savait bien que sécuriser un accès risquait de couper la route à quelqu'un qui faisait des sous. Je ne peux pas imaginer que cette situation n'était pas voulue. »

Ce n'est pas tout, en 2011, l'Autorité des Marchés Financiers a condamné deux sous-filiales de gestion d'actifs hautement spéculatifs de la Société Générale à 2.5 millions d'euros d'amende. Ces sous-filiales géraient des produits financiers structurés comme les ABS, les CDOs…. Elles ont été condamnées pour "manquement à leur obligation de contrôle des risques". Il s'agit de SGAM-AI et de SGAM, créées et largement contrôlées par les dirigeants du groupe. Les deux premières lettres de leur sigle SG renvoyant directement au initiales de la banque Société Générale. La première filiale, SGAM-AI a même perdu 5 milliards d'euros entre 2007 et 2008 du fait de ses investissement dans des produits dérivés liés aux subprimes comme l'a révélé à l’époque « Libération » qui titrait "le nouveau fiasco à 5 milliards de la Société Générale". C'est l'équivalent de la fraude imputée à Jérôme Kerviel. La Société Générale elle-même a été visée en mai 2011 par une plainte pour fraude déposée par l'Agence fédérale de financement du logement (FHFA). Cet organisme du gouvernement états-unien considère la Société Générale et seize autres établissements financiers comme responsable de la crise des subprimes. Enfin, la Société Générale fait partie des nombreuses banques assignées à comparaître dans l'affaire des manipulation de taux du Libor. Ce taux d'intérêt interbancaire a fait l'objet de manipulations et de fraudes d'une telle ampleur que le scandale est désormais appelé "Liborgate" en référence au scandale du "watergate" qui poussa l'ancien président états-uniens Nixon à la démission en 1974.

Pendant que Jérôme Kerviel conteste son licenciement aux prud'hommes, la fête continue pour les dirigeants de la Société Générale. Bien sûr, l'ancien PDG Daniel Bouton est parti. Mais le suivant s'en donne à cœur joie. Le 13 mai dernier, Frédéric Oudéa, a ainsi vu son bonus augmenter de 75% ! Au titre de l'année 2012, il devrait ainsi toucher à 1,194 millions d'euros de rémunération variable contre 682 770 euros au titre de l'année 2011. Le PDG a même poussé la provocation jusqu'à proposer que sa rémunération soit convertie en actions revendables entre 2014 et 2016. Il espère ainsi profiter d'une hausse du cours de bourse pour empocher un jackpot encore plus juteux. Ces gains s'ajouteront à un salaire fixe d'un million d'euros par an, le gouvernement Ayrault n'ayant rien fait pour limiter les rémunérations extravagantes des grands patrons. Sur les salaires des grands patrons comme sur la loi bancaire, le PDG de la Société Générale peut dire merci à François Hollande et Pierre Moscovici. Les électeurs de Villeneuve sur lot avaient-ils une raison d’élire un député de plus pour soutenir cette politique ?

Lire aussi

DERNIERS ARTICLES