Sur la piste des chefs disparus

Retour de l’Equateur, mes valises à peine défaites, je cours après mon ami le webmestre en vacances pour lui transmettre mon post et la suite du feuilleton de la momie perdue et de l’expédition de La Condamine, dont le premier épisode est dans ma précédente édition. J’ai dû découper mon projet à ce sujet compte tenu de l’invraisemblable longueur de ce récit. Je réserve donc la suite du commentaire de l’expédition géodésique de la Condamine à mon prochain post car la connexion avec le présent politique mérite encore un peu de soin dans l’écriture. Ici quelques mots sur mon séjour au sommet de l’Alba à Guayaquil, puis la momie et ses pérégrinations.

EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130017Au retour on m’a donné à lire le sondage qui donne Manuel Valls vainqueur de Sarkozy au deuxième tour de 2017 face à Sarkozy. Génial. Hélas il n’y a rien sur 2022 ni 2026. Serais-je réélu après la Constituante? En fait ce sondage est arrivé jusqu’à moi en raison du fait que le journal « les Echos » qui le commente souligne ce point essentiel : en 2017, je serai lourdement battu par Sarkozy par 55 % contre 37 %. Certes cela ne fait pas 100 % mais c’est l’intention qui compte, n’est-ce pas. Tout cela pour dire que ma curiosité a été piquée. J’ai donc regardé de plus près et découvert avec excitation que j’étais le deuxième personnage en sympathie à gauche après Martine Aubry. Et… devant Valls ! Ce détail n’étant indiqué nulle part, je le surligne pour préparer ma prochaine conversion au commentaire des sondages. En effet, depuis mon voyage au Malki Machaï, pays de la momie perdue, je comprends mieux l’intérêt politique des superstitions. Je l’ai trop négligé et vous pourriez me le reprocher. Voilà bien le résultat de mon entêtement à vouloir des débats argumenté que tout le monde comprenne c’est-à-dire en parlé cru et dru. Mais je trouve que le plus drôle dans cet épisode médiatique n’a pas été assez vu. Voilà pourtant le vrai sujet : où est passé Hollande dans cette affaire ? Tout le monde a l’air de trouver normal de s’en être débarrassé à cette date. Comment ? Pourquoi ? Et d’ailleurs de quelle date parlent vraiment les sondés ? On voit là qu’il n’y a pas que la momie d’Atahualpa qui ait disparue. Il y a aussi le fantôme de François Hollande. Dites merci à Manuel Valls ! C’est quand même un début qu’il nous a offert ! Mais si besoin rue de Solferino, depuis que je cours après Atahualpa je peux donner un coup de main qualifié pour retrouver le président disparu. Cherchez d’abord le pédalo ! Partez de la dernière facture de réparation après le scratch de « la Macédonie » ou des « remerciements aux chinois de Fukushima ». 

Si vous ne comprenez pas pourquoi ils haïssent autant la grande révolution de 1789 et se donnent tant de mal pour la discréditer, souvenez-vous de la nuit du 4 aout et de l’abolition des privilèges ! Bon anniversaire, vous tous qui me lisez en héritiers du premier plan d’instruction générale du peuple adopté en ce temps-là.

Au sommet de l'Alba

J'ai participé en tant qu'invité spécial au sommet de l'Alba qui s'est tenu à Guayaquil à la fin du mois de juillet. Ma participation à cet événement politique s'est déroulée de la manière suivante. Dans un premier temps je me suis rendu au EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130001sommet des mouvements sociaux des pays de l'Alba. À la demande des organisateurs j’ai présenté une conférence sur la question des entreprises transnationales et des tribunaux d'arbitrage. Voilà pour moi la question majeure de l'ordre international qui est en train de se construire en ce moment. Et c’est très spécialement le cas pour les pays qui entendent maîtriser l'activité des entreprises sur leur territoire que ce soit en matière de normes sociales ou écologiques. Le lendemain j'étais invité à prendre place dans la grande salle de plénière en observateur, aux côtés des délégations des Etats membres de l'Alba. Et enfin j'ai eu l'honneur d'être à nouveau observateur à la table de la réunion plénière où a été finalisé le texte de conclusions de ce sommet. Je n'ai pas l'intention de résumer ses travaux ni même de les commenter. Je me suis bien aperçu qu'il y avait des discussions réelles et qu'elles étaient parfois EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130002serrées entre les présidents. Comment aurais-je pu faire autrement ? Dès l'ouverture des travaux Rafael Corréa a déclaré que le document de conclusions qui était proposé aux chefs d'État était beaucoup trop timide, beaucoup trop technocratique et ne posait pas vraiment les problèmes politiques du moment. Dans ces conditions tout a été réécrit entre le matin et la fin d'après-midi. J'assistais alors à un spectacle tout à fait inhabituel pour moi l'Européen. Le texte a en effet été une ultime fois modifié en plénière à l'aide d'une projection de celui-ci sur écran géant. Je me contenterai de donner quelques impressions d'ensemble.

La première pour rappeler que l'Alba a été créé comme ensemble politique afin de répliquer à la tentative des États-Unis d'Amérique de constituer un grand marché entre eux et l'ensemble de l'Amérique latine, l’ALCA. L'Alba a d'abord été une structure de résistance et elle a été victorieuse dans la mesure où le traité des EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130003nord-américains a en effet été rejeté à l'occasion d'un sommet historique où les Argentins firent la décision finale puisque c'est eux qui l'accueillaient. Personne n'oubliera l’image de George Bush junior sortant par la porte arrière du bâtiment de la réunion après ce désastre diplomatique.

L'Alba est une proposition d'Hugo Chavez. Il était extrêmement présent. On peut même le dire sans détour: c'est autour de lui que se construisait la dynamique collective. Il prenait le temps de téléphoner, de discuter, le temps qu’il fallait avec chacun des chefs d'État. De cette façon il avait réussi à donner une dimension humaine concrète à ce collectif. Il est tout à fait évident que son absence crée un très grand vide notamment dans cette dimension si essentielle de la confiance qui confère une autorité et une capacité d'impulsion. A cette heure, dans ce rôle, il n’est pas remplacé. Sans lui l'Alba doit trouver de nouveaux moyens de régulation. On voit qu'il y a de la bonne volonté dans ce domaine entre les chefs d'État. Ce n'est pas le plus simple car les hommes dont il est question sont de très fortes personnalités endurcies par une lutte implacable contre les oligarchies locales, les complots des nord-américains, et un abject harcèlement médiatique d'injures, de mensonges et deEL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130004 manipulations. Il faudra donc un certain temps pour que le dispositif de l'Alba sans Chavez se stabilise comme collectif humain. Pour ma part je crois que ce sont les événements qui trancheront par l'obligation qu'ils vont créer de se retrouver unis politiquement pour affronter les agressions du trio oligarchies/USA/médias. 

Ma seconde remarque concernera l’ambiance autour de cette réunion. Pour le sommet de l’Alba qui regroupe neuf Etats, il n’y a pas l’habituelle construction de camp retranché avec grillage, grande armée de policiers, militaires, hélicoptères et tout le grand déballage qui rappelle l’extrême coupure entre le commun des mortels et les dirigeants. Ici tout le monde se retrouve, mouvement sociaux et gouvernants pour EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130005des marches de rues et des meetings de clôture. Et ma dernière remarque à cette heure portera sur le texte qui a été adopté. Nicolas Maduro a eu raison de dire que c’est le texte international le plus avancé dont dispose cette période puisqu‘il est le seul à parler intérêt général, service public et opposition aux traités de libre commerce. Pour ma part j’ai été très heureux de voir inscrit le thème des tribunaux d’arbitrage porté très fortement par les équatoriens à cette heure. Je crois que c’est une question essentielle dans le nouvel ordre juridique mondial à cette étape de la grande régression néo libérale. Nous allons avoir à en connaitre en Europe dans le cadre de la négociation du grand marché transatlantique puisque les nord-américains et la commission européenne sont partisans de reconnaitre l’autorité de tels tribunaux en cas de litige entre les états et les investisseurs. En ce sens l’Alba est un appui direct à notre lutte avec son texte et son engagement politique pour un ordre juridique international égalitaire.

La fête de la momie perdue

J'ai raconté dans mon précédent post comment l'enquête de l'historienne Tamara Estupinan avait permis de retrouver le lieu EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130006où la momie du dernier Inca, Atahualpa, a résidé en grande pompe pendant de nombreuses décennies, en Équateur, au nez et à la barbe des conquérants espagnols. Mais elle n’y est plus. Ou est-elle ? Un commentaire m’apprend que « France 3 » a rediffusé un documentaire sur l’enquête de madame Estupinan au moment même où paraissait mon post. Cette heureuse coïncidence m’encourage autant que le bon accueil de mes lecteurs pour ce récit un peu décalé où je continue la réflexion politique par d’autres moyens. J'ai évoqué ma visite sur ce lieu fascinant. Je n'ai pas encore dit que cet endroit est dans l'État de Cotopaxi. Cette précision n'apprend certes rien à mon lecteur. Mais elle me permet de montrer comment se fabrique ici les noms de lieux dans l'univers inca. « Cotopaxi » signifie « le cou de la lune ». Car, comme on le devine, à une certaine époque, la lune apparaît à l'aplomb de la montagne EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130007comme un visage sur son cou. Même magie de l’évidence pour le lieu-dit « Malki Matchai », nom qui signifie « le nid de la momie » dont j’ai raconté l’enquête qui a permis la découverte. J'ai déjà dit quelle importance une momie comme celle d'Atahualpa avait dans le système du pouvoir de la société inca. Dans la situation particulière de l'époque on peut penser que cette importance était démultipliée.

L'empire Inca s'était effondré sous les coups de l'invasion espagnole et la contagion des maladies dévastatrices chez les indiens qui ne les avaient jamais connues. Tout cela était intervenu si vite, en plein milieu d'une guerre civile où deux héritiers se disputaient le pouvoir suprême : Atahualpa et son demi-frère Huascar. Pour être précis indiquons qu’aucune succession ne se déroulait jamais autrement que EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130008dans la violence chez ces Incas. Et ajoutons qu’eux-mêmes étant des envahisseurs, les autres peuples indiens originaires les haïssaient pour cela et surtout pour leur violence souvent spectaculaire. Maintes tribus virent arriver les espagnols comme des libérateurs qui les aideraient à se débarrasser des Incas. C’est spécialement vrai dans la région qui constitue aujourd’hui l’Equateur. En effet les Incas s’y étaient livrés au plus grand massacre de leur histoire jusqu’au point où le lac voisin de la tuerie avait été rebaptisé « lac de sang » du fait du nombre des corps jetés dedans par les vainqueurs. Ici la légende des « gentils » indiens maltraités par les « méchants » espagnols en prend un coup. Tout le monde était « méchant » ! L’histoire ne sera jamais autre chose qu’une obligation de réfléchir pour y faire son miel politique ou philosophique. Et mieux vaut s’éviter la facilité des contes pour enfants surtout enveloppés EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130009de légendes religieuses. Voyez ce cher « Saint-Louis » sous son chêne en train de rendre la justice et blablabla. Le monsieur avait inventé l’obligation du port d’un signe distinctif pour les juifs, ordonné des autodafés de Thoras et imposé le percement de la langue au fer rouge comme châtiment pour les blasphémateurs.

Revenons à Atahualpa. Dans l’ambiance que je viens de décrire, protéger ce qui restait d’avenir possible pour la dynastie après la guerre civile, la rébellion des indiens qu’ils avaient soumis, les espagnols et les maladies, étaient un formidable défi. Et surtout un sacré enjeu concret. Avant tout il fallait maintenir l'ordre d'héritage dynastique. Et pour cela tout commençait, comme cela va de soi, par le strict respect des rites qui le garantissaient et le « prouvaient » aux yeux de tous. Cela n’a jamais été une petite affaire dans les monarchies de droit divin. L’histoire de France contient plusieurs épisodes de cette nature sous l’ancien régime. L’un d’entre eux est bien connu puisqu’il met en scène Jeanne D’arc. C’est elle qui surgit par voie miraculeuse pour emmener le dauphin Charles VII, le fils du roi fou qui avait donné le royaume aux Anglais, se faire couronner à Reims. Je le mentionne pour rappeler une fois de plus qu'un pouvoir n'est obéi que s'il est légitime aux yeux de ceux qui en supporte l'autorité. L'autorité ne peut reposer exclusivement sur la force de contraintes quand bien même en est-il issu. Quand un pouvoir parvient à ce point de n'avoir plus que la violence pour se maintenir, en règle générale il n'est plusEL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130010 loin de sa fin. Le mécanisme subtil du consentement à l'autorité transite par les rites et symboles qui installent la légitimité. Nos sociétés modernes en sont toujours là, elles aussi. Nuance de taille cependant, nous désignons les mandataires de l'autorité par le vote personnel de chacun d’entre nous. En dépit de l’habitude que nous en avons, rien n’est moins évident qu’une telle procédure. Sa justification même est un défi  à la raison : sur cent, cinquante et un sont réputés avoir le dernier mot face à quarante-neuf, et jusqu’au-delà de la virgule. Pourtant nous y consentons tous. Toute la légitimité de cette opération est dans la volonté générale du peuple souverain qu’elle est ainsi censée exprimer. Cette attribution se déroule selon des règles précises qui commencent avec celles de l'organisation du EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130011vote et s'achèvent par les cérémonies de passation de pouvoir. Par exemple, le moment venu, le nouveau président passe le cordon de Grand-Croix de la Légion d’Honneur. Pour nous, le cœur de la légitimité est dans la régularité du scrutin. Cette idée intègre non seulement le fait qu’il n’y ait pas de tricheries mais que la liberté des candidatures et celle du débat soit totale et égalitaire. Puis que la décision soit respectée par tous. Depuis la forfaiture qui a suivi le Référendum de 2005 avec le traité de Lisbonne, ce n’est pas le cas dans notre pays. Cette tare, ajoutée à l’impuissance de régler quoique ce soit des urgences quotidiennes du grand nombre, la honteuse spoliation de la diversité des temps de parole qui sera dorénavant aggravée, sans oublier ce que les « affaires » nous apprennent de la décomposition des sommets de la pyramide des élites sociales, tout cela scelle le destin promis du système. Un peu plus tôt, un peu plus tard, la cinquième République est vouée à l’effondrement dans la honte.  La honte est déjà là.

Dans le monde de l'ancien régime que ce soit celui des rois d'Espagne ou ceux de l'Amérique précolombienne l'accession au pouvoir et le respect de l'autorité ne dépendent évidemment pas du vote. Ils n'en sont que d’autant plus strictement organisés et ritualisés. Les rois de France ne pouvaient l'être qu'après avoir été sacrés comme tels à l'issue d'une cérémonie d'une extrême complication, dans un lieu bien particulier. Et le tout après un acte sacré bien précis, celui de l'onction avec une huile sacrée censée avoir été apportée par une colombe divine. L’Inca, lui, devait se passer la couronne en présence de la momie de son prédécesseur. C’est pourquoi, lorsque l’Inca Atahualpa a compris que tout était perdu pour lui etEL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130012 que les espagnols allaient l’assassiner, tout son effort se concentre sur le fait d’obtenir que son corps ne soit pas brulé. Il accepte le baptême à cette condition. Car pour que la dynastie continue et que le pouvoir inca puisse être transmis, le « prince héritier » doit pouvoir disposer de la momie de son prédécesseur. Tout l’entourage d’Atahualpa s’est acharné à atteindre ce résultat. Ils y sont parvenus. D’abord, fait inhabituel, Pizarro tint parole. Peut-être n’avait-il pas eu le temps de se parjurer. Car le corps d’Atahualpa est enlevé de nuit sitôt après l’assassinat. Il est emporté on ne sait où. Mais il est bien certain que c’est pour y être aussitôt momifié. Les Incas maitrisaient la technique de la dessiccation des chairs comme personne. Aucun mysticisme où je ne sais quoi dans cette opération. C’est du concret. La lutte pour le pouvoir continue : qui a la momie en son pouvoir tient le manche ! Et dans cette famille d’Inca où on s’entretue à chaque succession ce EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130013point-là n’est pas secondaire. D’ailleurs les acteurs de « l’opération momie » s’entretuent encore entre eux pour posséder l’objet. C’est le bras droit d’Atahualpa qui a le dernier mot et qui emmène la momie au nom de laquelle, on le suppose, il va maintenir pendant plus d’un an une résistance aux espagnols. Il faut comprendre qu’aucun des nobles et des guerriers de ce temps n’imaginaient que leur empire allait être rayé de la carte comme il le fut. La plupart devaient se figurer que la vie allait reprendre soit en chassant les espagnols si peu nombreux, à peine cent cinquante, soit en composant avec eux. Les élites sociales croient toujours que leur monde ne peut pas finir. Elles n’arrivent que très rarement à imaginer un autre futur que le présent qu’elles dominent. Louis XVI comme François Hollande n’arrivent tout simplement pas à imaginer d’autres règles du jeu que celles qui les ont placés au pouvoir. La famille de l’Inca non plus.

Est-on certain que le corps d’Atahualpa ait quitté les lieux contrôlés par ses assassins espagnols, à Cajamarca ? La chronique officielle reste muette sur ce que devient le corps supplicié. « Mais on dispose d’un récit de deux marins espagnols interrogés dans le cadre d’une enquête du roi d’Espagne. Ils disent sans ambiguïté avoir croisé une procession qui emmenait la momie du roi des Incas à Quito sur sa terre» me dit Tamara Estupinan notre historienne. Un autre texte prétend que deux mille indiens étaient venus entourer l’opération de sortie du corps. EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130014Mais Tamara me dit que c’est très peu probable. En effet un tel rassemblement aurait été un motif d’affrontement et Pizarro s’en serait mêlé. Lui est sans doute plutôt préoccupé par un tout autre sujet à ce moment-là. Il s’agit de la principale épouse d’Atahualpa. Cuxirimai Ocllo. Il se l’est appropriée. Autre rite bien connu des conquérants de tous poils et de toutes les époques, au moins depuis Alexandre le Grand. En tous cas cette femme trouble beaucoup de monde car l’interprète de la conquête, un indien renégat, lui aussi, est fou d’elle ! Après le meurtre de Pizarro elle sera ensuite l’épouse d’un chroniqueur de la conquête et de l’histoire des Incas, Juan de Betanzos. Mais le texte de sa chronique a été perdu pendant quelques siècles. Il était en Espagne. La chronique réapparait donc en 1987. La valeur de ce qu’il raconte, selon Tamara, c’est que cet homme a vécu avec quelqu’un de spécialement bien informé d’une foule de choses que personne n’a songé à noter dans la EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130015férocité des destructions de la conquête. Par exemple c’est lui qui fait le récit le plus précis de la sortie du corps d’Atahualpa et du meurtre de celui qui a réalisé l’opération. Les jeunes historiens peuvent trouver dans ce texte quelques dizaines de sujets d’enquêtes dans le nouveau paradigme de recherche ethno-historique dont Tamara Estupinan a fait la preuve de l‘efficacité.

En tous cas il semble bien que le départ de la momie n’ait pas excité les esprits de l’époque davantage que les mœurs de soudards des conquérants. Quant aux momies, à Cusco, la ville impériale des incas, c’était leur fête ! Chaque semaine, espagnols ou pas, on les sortait et elles paradaient sur la grand place avec leurs serviteurs et tout le reste des instruments de leur gloire. Les espagnols étaient plus prompts à s’en ébahir qu’à réprimer. Les récits d’époque les montrent très curieux d’observer de près, stupéfaits de la ressemblance des momies avec leur modèle vivant et ainsi de suite.  Aucun n’a d’attitude agressive ou irrespectueuse. A ceux de mes lecteurs à qui la chose paraitrait trop incroyable, je raconte une histoire annexe qui montre que c’est un comportement plus courant et même plus contemporain qu’il y parait. Dans les années quatre-vingt, quand la momie de Ramsès II fut amenée en France pour y être débarrassée des champignons qui menaçaient sa conservation, que se passa-t-il ? Vous ne le savez pas ? A sa descente d’avion le catafalque fut porté à bras d’homme, des gardes républicains, etEL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130016 chemina sur un tapis rouge aux sons de la musique militaire. Un détachement présentait les armes. Le président de la République française était alors François Mitterrand.

Revenons à Cusco et à ses places encombrées de promenades de momies. Une fois de plus l’ordre est rétabli par le haut commandement militaire qui s’inquiète et par l’église qui s’indigne de ce qu’elle considère, à juste titre comme une survivance des pratiques religieuses des indigènes. En fait comme on le sait, ce n’était pas là de la religion pour eux mais de la politique en quelque sorte. Mais l’église ne s’éreintait-elle pas les convertir de gré ou de force, pour le plus grand bien du salut de leur âme. Et cette conversion n’était-elle pas la justification, après coup, de la conquête et de ses incroyables violences ? On mobilisa donc contre l’idolâtrie. La chronique rapporte que près de dix mille momies de toutes sortes furent capturées et brulées dans l’opération. Le texte d’appel mentionne explicitement les « Malkis », les momies, qu’il faut aller chercher dans leur « Machaï », leur nid, leur petite cabane. Mais la consigne se dilua avec la distance et l’importance de la présence espagnole. Elle n’arriva pas avec la même force dans la zone de l’actuel Equateur, ni à Quito qui était la ville sainte du coin. On imagine que les gardiens du Malki Machaï devaient cependant redoubler d’attention pour dissimuler et surveiller leur « trésor ». D’autant que les espagnols, se méprenant sur le sens du mot «trésor» dont ils entendent parler, morts de cupidité, fouillaient partout sans relâche pour trouver l’or qui était leur raison d’agir. Tout cela situe l’ambiance et les habitudes de dissimulation prises pour tout ce qui EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130018touchait aux rites incaïques. Rien ne tient sans appui populaire. Le peuple et ses pratiques ont sauvé l’idée cachée à Malki Machaï, canton de Sigchos, province de Cotopaxi. La méfiance et dissimulation continuent certes de régner. Mais jusqu’à un certain point.

Car dans le domaine d’Atahualpa, à Issinche, la propriété de l’inca jamais revendue, deux siècles et demi après la conquête il s’en passe encore de belles ! Les indiens du coin, deux fois par an, font des processions et se saoulent affreusement. A la fin du dix-huitième siècle, ce qui fait tout de même près de deux cent ans après la conquête, les autorités locales ont donc demandé à l’église d’agir. Ce que les autorités savent sans le dire c’est que l’ivresse fait partie d’un « culte » des indiens. C’est au point que le mot « Machaï » est devenu un équivalent du mot « ivrogne ». Les « prêtres » inca boivent sans arrêt. Pauvre reste de la transe chamanique, l’ivresse est un signe de communication avec le monde d’en deçà dont la momie est une des manifestations visibles et permanentes. Bref, les jésuites arrivent sur place. Ce sont les champions pour organiser une acculturation méthodique. Ça commence fort. Leurs manigances permettent très vite de faire signer une cession de droits aux malheureux indiens du secteur d’Issinche. Ce sont les indiens Cuturivi. Les gardiens du lieu. On les chasseEL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130019 dans la montagne qui surplombe à pic le site. Ils n’en surveilleront que davantage et mieux peut-être. L’histoire devient confuse. On travaille à partir de là avec des rumeurs et des légendes. Je résume. Il apparait qu’un miracle fort opportun s’est produit. Le « niño » une poupée de l’enfant jésus est tombée du chargement d’une vigogne ou d’un lama enveloppé dans un châle tissé avec des laines de toutes les régions. C’est le « niño jésus » dit la légende. Aussitôt, les jésuites construisent une chapelle. Bien orientée d’est en ouest, elle défonce un mur perpendiculaire que j’ai vu, creusé de niches signalant à coup sûr un lieu de culte indien. Autour et derrière je vois des blocs taillés à la façon des Incas que Tamara me montre au milieu des détritus de pavés modernes auto bloquant. La chapelle jésuite s’orne d’une porte ou l’on voit une représentation du niño dans son étrange pause, le bras levé. Mais le niño lui, n’est pas là.

Il est installé dans une sorte de baraque à l’extérieur du lieu de culte chrétien, juste devant. C’est un antre sombre dont les murs sont tapissés d’ex voto de toutes sortes, photos, dessins, cartes de visite, petits objets désuets, du sol au plafond. Pas un symbole chrétien à l’horizon. Le niño est placé dans une sorte de tabernacle grillagé, fermé par un cadenas EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130020rustique. C’est un objet d’à peine trente centimètres dont je discerne difficilement quelques cheveux filasses roux. Mais qu’est-ce que c’est que cet objet ?

Ce jour-là, la chapelle des jésuites est fermée. Elle n’ouvre pas tout le temps. L’étrange «sanctuaire » où se trouve le niño, lui, est ouvert tous les jours de huit heures à midi et de quatorze heures à dix-huit heures. Durant la demie heure où je m’y suis trouvé, en pleine semaine, en fin de matinée, plusieurs familles indiennes y sont venues, les enfants dans les bras. On se signe beaucoup, la foi ardente est palpable. Oui, encore une fois j’ai un sentiment étrange. Qu’est-ce que cet objet ? Qu’est-ce que ce« niño »? Localement c’est davantage qu’une poupée bizarre. C’est une institution. On lui offre des petits vêtements d’enfants, des robes de toutes sortes. Il en a cinq mille parait-il. Les familles s’endettent pour que le niño vienne chez elles ouEL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130021 dans le village. Le niño se déplace sans cesse, me dit-on. Et tous les ans, aux deux fêtes du solstice on sort le niño et on le balade en procession. L’église n’a pas eu le choix. Elle a collé aux faits. Elle a donc déplacé sa fête du « Corpus Christi » pour la faire coïncider avec la tradition locale. On ballade donc le niño en grande pompe pour l’inti Raimi, fête du soleil traditionnelle fête de la récolte devenu une sorte de carnaval chrétien très fortement alcoolisé. J’avoue que je m’y perds. Rien de tout cela ne ressemble à quoique ce soit de ce que je connais du christianisme. Mes amis disent que c’est la résistance des indiens qui empêche le niño d’avoir été installé dans la chapelle jésuite. Je crois autant que c’est eux qui n’en voulaient pas. En tous cas pas tout de suite, pas comme ça, avec cet horrible environnement de sombres pratiques païennes. Je suppose qu’ils avaient l’intention d’atterrir en douceur et de modifier les habitudes progressivement. Ce qui sauve l’affaire des indiens c’est que les jésuites sont expulsés par le roi d’Espagne. Les indiens Cuturivi d’Issinche sont débarrassés de leur plus habile éradicateur ! Tout le monde oublie la commande initiale et l’origine de la légende du Niño. Personne ne se mêle plus de récupérer le cabanon du sanctuaire qui ressemble tellement à un huacci, ce petit lieu sacré où était déposée une momie importante ! Et les étranges rites incas, relooké dans les habits du niño ont passé les siècles. Presque cinq siècles. Et tout continue comme avant. Jusqu’à nos jours.

Le temps était gris et il a même eu un peu de pluie, juste quelques instants. Mon chapeau a fait merveille. C’est un vrai panama. D’ailleurs le vrai Panama est depuis le début un produit équatorien. C’est Eloyo Alfaro, l’ancien président fondateur des libertés modernes du pays, qui l’a fait fabriquer pour la première fois puis exporter par le Panama. Il s’agissait de trouver d’urgence quoi faire face à une crise économique terrible. Le Dieu marché était parti voir ailleurs et l’idolâtrie EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130022planificatrice et étatique avait pris le relais pour tirer d’affaire tous ces gens. A noter : les gouttes de pluie ramènent une odeur fade de bergerie sur les châles en alpaca…. Mais il n’y avait pas de pluie quand je suis arrivé à l’entrée du village avant le site. Jaime a stoppé la voiture devant une murale très contemporaine et nous avons pu bénéficier d’un pur moment d’ethnographie. Bien entretenue et régulièrement rafraichie, elle représente en plusieurs panneaux la procession festive qui accompagne la ballade annuelle du niño. Elle attire le jour dit des milliers et des milliers de personnes sur place. J’ai placé ces panneaux en illustration de mon feuilleton cette fois-ci. Tamara n’est pas ethnographe, elle me le répète un compte de fois. Mais elle me fait une lecture commentée de ces peintures qui sont en effet un festival naïf poignant de force descriptive. On voit les familles blanches à la sortie de la chapelle jésuite, on voit le panneau où les indiens commencent à apparaitre dans le défilé, tous largement garnis de bouteilles d’alcool. On voit la chasse de verre, en version très embellie, dans laquelle le niño est porté quand on le ballade. Ici toute une famille a acquis cet honneur. Toutes les générations sont représentées. Les anciens sont derrière. Comme le passé. Le fils est tout devant et il marche à reculons comme nous entrons dans l’avenir sans pouvoir le connaitre et ni le voir aussi clairement que nous avons le passé sous les yeux. Stop ! Le décryptage du discours pictural de l’entrée d’Issinche est abandonné à vos propres enquêtes. Regardez « le général » avec son chapeau à plume. C’est un chapeau de Napoléon comme le disent certains ? Ou bien une représentation du « mascaypacha » la couronne de plume de l’inca ? Prenez du temps et vos livres d’histoire pour ne pasEL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130023 bronzer sans distraction. Tout rapprochement avec d’autres mythes dessins et autres sont les bienvenus. Juste pour le plaisir d’une sorte de rébus historique de l’été. Amusez-vous bien avec le dernier panneau !

C’est à peine si dans ces panneaux qui décrivent la fête du « Huauque-Nino » on voit les temps présents. Ultime artifice de dissimulation : la famille blanche, la chapelle jésuite dans laquelle personne ne va, les lunettes de vue du processionnaire, les clowns à gueule de Mac Do. En réalité en tête du cortège réel marche le « danseur d’Issinche », un personnage devenu emblématique. Un homme le représente dans un costume brillant et coloré, un bric à brac de tissus, miroirs et plumes un attirail qui le masque de la tête aux pieds. Magnifique ! Sa couronne est tout un programme. On y voit les deux fois quatre piques qui représentent les quatre frères et quatre sœurs ancêtres mythiques de l’inca et le disque du soleil sur le front, la croix du sud en pleine poitrine qui est ce qu’on veut sauf un symbole chrétien. Pour Tamara ce personnage n’est pas un inconnu dans le monde Inca. C’est le Vilaoma, le prêtre du soleil qui préside notamment la cérémonie d’investiture de l’Inca. Rien de moins. J’ai eu le temps d’observer ce « dansante ». Un mannequin grandeur nature trônait au sommet de trois petites estrades dans la salle à manger de l’hôtel où j’ai résidé. Tamara et moi nous avons fait connaissance et elle m’a raconté son histoire devant lui. Mes amis, moqueurs disent qu’ils boivent comme de vrais incas à la fête de l’Inti Raimi. Car ils y vont, eux aussi. Tamara, mais EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130024qu’est-ce que c’est ce truc ? Qu’est-ce que ce niño ? Nous sommes sur la dernière propriété d’Atahualpa. C’est la momie ? Un bout de la momie ?

C’est presque la momie. Presque. C’est le bras levé du niño qui donne la bonne piste pour deviner de quoi il s’agit. Et donc de savoir ce que c’est vraiment que ce niño d’apparence et d’apparition si peu catholique, si j’ose dire. Car ce bras levé c’est la position traditionnelle de la momie. Mais ce n’est pas la momie de l’inca. C’est son double. Cette culture Inca a une profonde tradition du « double », un objet qui ne se contente pas de représenter mais qui est la chose elle-même sous une forme particulière. L’inca a une poupée qui le représente. On y met ses cheveux et ses rognures d’ongles. Cette « poupée », aux yeux de tous, c’est l’Inca lui-même. « D’ailleurs quand le frère d’Atahualpa a du capituler, les chroniques mentionnent qu’il l’a fait devant la poupée représentant son frère, me dit Tamara. » Cette poupée est mentionnée a de nombreuses reprises sous le nom de Huauque. Ça se prononce : Waoké. «Cette chose avait aux yeux des incas une énergie cosmique et le même pouvoir mystérieux que l’hostie dans le culte chrétien m’explique-t-elle. Au point que la poupée vient à sa place à la guerre où dans les cérémonies officielles où religieuses ». Woooo ! Je suppose que François Hollande serait ravi d’être représenté par sa poupée dans maintes circonstances ! Evidemment pour l’énergie cosmique ça ne fera pas le compte. Mais avec l’aide du nucléaire, qui sait ?  « Comme le pain et le vin se transforment en corps réel du christ dans la doctrine catholique, ici les ongles et les cheveux deEL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130025 l’Inca sont l’extension du fils du soleil ! », me détaille Tamara Estupinan»

La poupée, le Huauque, est promenée dans les villages. Elle voyage avec d’autres poupées comme celle qu’on voit attachées sur le dos des lamas sur l’un des panneaux à l’entrée d’Issinche. Vous avez noté. Ce sont des poupées que l’on voit là attachées sur le dos des lamas. Cette poupée nous la connaissons par des récits et des dessins dans les chroniques espagnoles. On la voit représentée, tel qu’est le niño : le bras levé. Est-ce pour écouter ? Ou plutôt pour lancer quelque chose ? Le soleil ou ses rayons ? Peu importe ! Tamara a trouvé l’Huauque d’Atahualpa. Il était là sous les yeux de tous, mal enterré politiquement et religieusement par les jésuites. Ça ne va pas être simple de faire avancer cette histoire. Comment l’église va-t-elle prendre la chose ? Elle s’est donné beaucoup de mal pour recycler le Huauque en « niño » ! Pas un détail n’a été laissé de côté.

Loin en amont, à l’entrée traditionnelle de l’aire des indiens Cuturivi, il y a les deux « pierres ». Ce sont les gardiennes traditionnelles des terres d’un clan. Ici celui d’Atahualpa. Ces pierres ce sont des «huancas» dans la langue indienne. On peut en voir au musée Branly à Paris. Quand Rigoberta Manchu, la prix Nobel indienne guatémaltèque, est venue EL NINO D'ISSINCHE JUILLET 20130026au musée et qu’elle a approché celles qui se trouvent là, elle a dit qu’elles étaient « mortes ». Pas de risque donc. De toute façon les Huancas ne fonctionnent pas davantage hors de leur site qu’une lampe hors de sa douille. Ici,  les indiens y allaient porter divers offrandes rituelles et faire des « mochas», geste de salutation que les amateurs de Taïchi et de Quigong connaissent bien. Ça commence comme la  position du pilier dans le Quigong et ça finit comme celle de l’averse! Pas moyen de les faire changer d’habitudes. L’église a donc remorqué l’une des pierres directement sur l’hôtel de l’église. Pour cela elle a été mise bien en hauteur et on l’a peint pour en faire une effigie de la « Vierge Marie ». Les indiens ont suivi le mouvement. Pour eux la peinture et le reste ne comptait pas. La deuxième pierre est dehors. Juste à l’entrée d’un virage qui donne sur un pont. Au bord de l’eau donc. Je ne sais pas si la pierre est « morte ». En tous cas ça ne saurait tarder. Elle est déjà sur un piédestal en ciment.  Il parait qu’on va y faire un parking. Le voisin d’en face n’est pas content. Ca l’effraye qu’on touche à ça. Avec Tamara on a passé un bon moment à regarder le dispositif. La pierre a déjà été déplacée. Elle était plus bas, ça se voit. En tous cas c’est bien du dérangement pour effacer la piste. Mais l’église ce n’est pas tout. Il y a bien plus dangereux.

Il y a le propriétaire actuel du site. Car le lieu est privé. Il s’y ramasse des milliers de billets d’un dollar et plus dans les petites chasse prévues à cet effet. Des dollars non déclarés. Des dollars privatisés. Le niño est une poule aux œufs d’or pour son propriétaire. C’est à lui qu’on verse les sommes pour obtenir la visite du niño à domicile où dans le village. Je crois que Tamara Estupinan approche du moment où il ne sera plus trop question de l’inca et des « dieux » du passé. C’est au dieu du jour, au pouvoir suprême de notre époque qu’elle touche: le dieu fric. Celui grâce auquel les espagnols ont raté le vrai trésor, puis celui grâce auquel le niño a protégé le Huauque. Tant qu’il y a du fric à prendre l’église et le propriétaire fermeront les yeux sur l’alcool, la procession païenne, les déplacements du Huauque dans les villages et tout le reste. La vérité historique n’a besoin de devenir un acte social que si une force y a un intérêt. Comme nous avec la Révolution française. Le pouvoir de provocation de la figure de Robespierre est un déclencheur de conscience. Qui a besoin de l’Inca et de son monde englouti ? Justement ce pourrait être la suite de l’histoire. En récupérant le site du Malki Machaï, le gouvernement équatorien récupérera une continuité de l’histoire nationale du pays comme un tout distinct de celle du Pérou. Le créolisme y puisera une racine nouvelle, une puissance de métissage du récit historique. C’est bon pour le pays. C’est bon pour la conscience anti impérialiste. C’est Atahualpa, et plus encore sa momie et son Huauque qui donnèrent son autorité au général Rumiñahui pour prolonger la résistance à l’occupation espagnole. Le créolisme est l’identité métissée de l’Equateur. Pour le prouver et le diffuser comme un récit, la convocation d’Atahualpa est indispensable. Ainsi I3avons-nous fait avec Vercingétorix et le prétendu site (inexact) où de se trouve sa statue avec le visage de Napoléon trois, en plein champ, en Côte d’or.

Mais tout ça ce n’est qu’un aspect de ce qui reste à faire. Si le Huauque a été préservé au prix de tant de ruses, à plus forte raison la momie doit avoir été traitée avec un soin extrême. Mais où est-elle ? Il ne manque plus qu’elle. Elle ne peut pas avoir été laissée au Malki Machaï. Le secteur est trop humide pour qu’elle puisse rester sans soin. Ses serviteurs le savaient. Est-elle à Issinche non loin de son Huauque ? Ou bien dans le couvent San Francisco à Quito, là où le fils de l’Inca Atahualpa a demandé à être enterré. Tiens à propos, où est passé son corps à celui-là aussi ? Car sur place, on voit bien où est la chapelle où il voulait avoir sa sépulture. Mais il n’y a aucune indication de sa présence. Jeunes historiens, au boulot ! Laisser tomber pour Atahualpa ! Tamara Estupinan trouvera avant vous. Si elle ne le sait pas déjà… Un coup d’hélicoptère correctement équipé au-dessus d’Issinche, du Malki Machaï où je ne sais où, et l’affaire sera réglée. Mais supposez que vous retrouviez les restes de Francisco Topauchi, nom christianisé de ce personnage ! Son ADN est tout frais depuis son testament du 17 décembre 1582. Le lieu de sa sépulture est en principe en plein milieu de Quito. Le début du jeu de piste est prêt. Avis aux amateurs! 

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