Audition de J.-C. Juncker
par le groupe GUE
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- La France flouée en Europe
- Juncker le rusé
- Le nouvel âge des luttes
- La tambouille de « l'alternative à gauche »
- A Barbès, la manifestation pacifiste et solidaire a bien eu lieu, et nous y étions!
- Signez la pétition contre le GMT !
- 8 et 9 juillet : entre surprises et haut-le-coeur
- La France s'oppose à une réglementation des multinationales
Il y a un an, quand la CIA, qui l’avait pourtant espionné, l’a ordonné, Hollande a bloqué l’avion de Moralès. Merkel est d’un autre bois. Elle vient d’expulser le chef des espions américains en Allemagne ! Le tout sur la base du travail d’une commission parlementaire ! Bravo l’Allemagne ! Et François Hollande ? Qui ça ?
Le gouvernement d’Israël martyrise la population de Gaza sur le principe barbare de la responsabilité collective. En état de guerre, c’est évidemment un crime. Humilier une population sans défense est une chose à la portée de n’importe quelle brute. L’Histoire en regorge. Les Juifs l’ont su avant tous. Mais vaincre la haine qu’un tel comportement répand à foison et empêcher qu’elle ne submerge ensuite les bourreaux est tout simplement impossible. Les bombes du gouvernement d’Israël creusent sa propre tombe. Que dit la France à ses amis israéliens et palestiniens ? Que dit François Hollande ? François qui ?
La deuxième session du parlement européen à Strasbourg commence le 14 juillet. Evidemment. Le Parlement européen se réunit aussi le 11 novembre de façon quasi systématique. Cette Europe-là est absolument imperméable aux symboles fondamentaux de la part culturelle commune des peuples qui la composent. En tous cas, ce nouveau Parlement a inauguré une nouvelle période de l’abaissement de la France en Europe. Son rôle institutionnel va régressant sans cesse. Mercredi dernier, nous auditionnions d’ailleurs le candidat que madame Merkel a fait préférer au Français Michel Barnier pour le poste de président de la Commission, Jean Claude Juncker. Un moment formel mais haut en couleur. J’en parle.
Ensuite, je viens sur le vote à l’Assemblée nationale et au Sénat sur le nouveau budget de l’Etat revu par Manuel Valls. Cette séquence, avec le budget de la Sécurité sociale et les quarante milliards de cadeaux au MEDEF qu’il contient, forme un tout. Manuel Valls a parfaitement contrôlé la situation dans les institutions. Le prix à payer sera terrible pour l’économie du pays et pour ce qu’il reste de gauche politique. Le pauvre couteau sans lame qui avait été agité avec des cris de guerre n’a tranché que ce qui était dans ses moyens : du vent ! Les « frondeurs », ont ainsi fonctionné comme un paravent utile au crime en donnant l’illusion d’une résistance qui s’est opportunément effacée au moment de passer à l’acte. L’effet démoralisant de cette pantalonnade se mesurera bientôt. A une gauche politique méthodiquement minée par les manœuvres d’appareil orchestrée par l’orfèvre élyséen, s’ajoute un champ syndical mis en miettes par les coups tordus. L’affaire du report de l’accord pénibilité ridiculise ceux qui en avaient fait un argument pour céder tout le reste. Là encore, les génies de la combine détruisent tout, divisent tout. Reste que Valls n’a pas seulement fait passer sans problème au Parlement le plan scélérat en faveur du MEDEF. Il a surtout assommé l’économie du pays. Le ralentissement de l’activité et le chômage vont exploser après cette nouvelle absurde saignée. D’autant qu’au niveau mondial et continental, les évaluations du FMI sur ce point sont aussi à la baisse. L’onde de choc dépressif de cette ponction de 50 milliards va se propager sur les deux années à venir au moins. Fin 2016, nous serons donc dans un champ de ruines sociales encore plus tendu qu’à présent. A ce moment-là, le chantage au vote utile commencera plein pot pour tenter de mettre au pas ce qui restera de l’espace politique de la gauche. Je pense que ce sera sans résultat électoral. Le dire, c’est aussi pointer l’ampleur du naufrage moral que les solfériniens ont déjà provoqué dans la profondeur du pays et qu’ils entretiennent. La haine que leur vouent d’amples secteurs venus de la gauche les indiffère. Aveugles, sûrs d’eux, persuadés qu’il n’y a aucune autre politique possible, ils ne bougeront pas d’un pouce de leur trajectoire. Ces gens si partisans de « flexibilité », si « modernes », et ainsi de suite, se comportent en réalité comme les pires des sectaires fanatisés. Cependant, on peut compter sur l‘addition des peurs et des lâchetés pour voir les appareils politiques petits et grands se contenter de ce viatique pour justifier d’émouvants et stérilisants « appels à l’unité ». L’élection sénatoriale qui vient en donne un avant-goût. Donc, le terrain politique va continuer à se décomposer. De ce contexte je dis aussi quelques mots. Je commence par l’Europe. Le reste à la suite.
La France flouée en Europe
Le souvenir de la grande tuerie qui nous fait le devoir de paix sur le vieux continent ne compte pour rien aux yeux des faiseurs de phrases néolibéraux qui gouvernent partout. Pas davantage la célébration de l’évènement révolutionnaire qui a « ouvert l’ère moderne » selon Goethe. Mais dans ce cas, il y plus. La détestation de tout ce qui est français par le monde politique européen voué aux valeurs anglo-saxonne est une réalité palpable de l’univers européiste. Je le ressens parce que je ne le supporte pas. Il s’enracine dans tout ce qui a résulté de l’avènement républicain et des principes politiques que celui-ci a introduit dans l’Histoire politique réelle. Ce mépris a son écho dans la conscience des Français eux-mêmes. Le mépris de soi et le déclinisme morbide des « élites » françaises et de leurs miroirs médiatiques fait le travail. A la faveur de cette mise à l’écart, les Allemands profitent de la stupidité euro bêlante des dirigeants français pour pousser leurs pions de tous côtés. La France, rappelons-le, est « contributrice nette » pour six milliards d’euros au budget de l’Europe. Cela veut dire que nous recevons de l’Europe six milliards de moins que nous lui donnons pour subir sa dictamolle. Pour autant, la France sous François Hollande est plus absente que jamais des postes clefs des institutions européennes. Soyons juste : l’abaissement a commencé avant l’actuel euro-ravi qui nous préside.
Avec le traité de Nice, Jacques Chirac avait déjà accepté d’entrer dans l’inacceptable. Depuis lors, en effet, la France sera moins représentée que l'Allemagne au Parlement européen. Or, il n’est d’Europe viable que sur la base d’une stricte égalité entre Français et Allemands, comme l’avaient déclaré conjointement De Gaulle et Adenauer. Et cela fut respecté quand il y avait deux Allemagnes sans que les Français, alors bien plus puissants, y dérogent jamais. Mais sitôt la réunification allemande faite, sans barguigner, la volonté de puissance fut de retour. L’argument était que le nouveau nombre des Allemands leur créerait des droits supplémentaires à être représentés plus nombreux au Parlement européen. Et les dirigeants français, gorgés d’illusions et de souvenirs dépassés, sans tenir compte des permanences de l’Histoire ni des changements de mentalités, cédèrent sans réfléchir plus avant. Munificents, ils allèrent même bien au-delà du raisonnable. En effet, l’écart entre le nombre de députés français et allemands au Parlement européen est supérieur à l’écart de population entre nos deux pays. Bien sûr, l’écart est en faveur de l’Allemagne. Le nombre de députés attribué à chaque pays est censé prendre en compte son poids démographique mais, avec ses 96 députés, l'Allemagne a 30% de députés de plus que nous pour une population seulement 25% plus nombreuse, provisoirement.
L’abaissement se traduit également dans les présidences de commissions parlementaires. La France, pays fondateur de l'Europe, avec ses 65 millions d'habitants, est singulièrement absente. Ainsi, les prestigieuses commissions Affaires étrangères, Emploi et Affaire sociales, Commerce international, Transport ou encore Contrôle budgétaire sont présidées par des Allemands. De même, les Polonais ou les Italiens dirigent quatre commissions quand seulement deux sont présidées par des Français. Du côté de la Commission européenne, ce n'est pas mieux. Les Français pressentis pour être commissaires, que ce soit Elisabeth Guigou, l’actuelle présidente de la Commission des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale ou encore de Pierre Moscovici, ne sont attendus à aucun poste clef. En revanche, la Grande-Bretagne, après avoir pourtant menacé d'organiser un référendum sur la sortie de l’UE, a obtenu un poste de Secrétaire général à la Commission européenne. Poste certes peu connu. Il est néanmoins tout à fait stratégique. Car c’est là que se fait la veille de l'application des traités et législations européennes. Et le titulaire participe aux nominations de hauts fonctionnaires au sein de la Commission. Après quoi c’est encore un Allemand, Martin Selmayr, ancien directeur de campagne de Jean-Claude Juncker et ancien chef de cabinet de Viviane Reding, qui obtient la tête du cabinet d’intérim du futur président de la Commission européenne.
Hollande ne dit rien, ne fait rien. Tout le fait rire sans doute, comme d’habitude. Et il fait rire tout le monde en Europe. Car la France de Hollande a capitulé d’entrée de jeu sous le nouveau quinquennat. Hollande l'avait annoncé en léchant les mains de la Commission qui frappaient notre pays : « la France est le bon élève de la classe Europe ». C'est fait : elle est la colonie la plus méprisée de la Commission européenne.
Juncker le rusé
Jean-Claude Juncker est le candidat à la présidence de la Commission soutenu par madame Merkel contre l’UMP Michel Barnier. Il se situe deux ou trois pointures au-dessus de Manuel Barroso en matière de finesse politique. Fini le régime des moulinets et des coups de menton sans contenu. Fini le temps de l’homme qui parlait huit langues pour ne rien dire. Juncker dit des choses. Il est donc possible qu’il se passe quelque chose avec lui. Au moins parce qu’il semble avoir conscience du danger qui pèse sur l’Europe actuelle du fait de la désaffection massive des peuples à son endroit. Qu’est ce qui me fait dire ça ? Sa décontraction au moment où il s’exprime là où Barroso aurait contourné volubilement et énergiquement le sujet. On comprend donc ma surprise. Pas ordinaire ici d’entendre quelque chose de clair et net. Ainsi quand il dit : « vous pouvez me traiter de libéral et tout ça, mais moi je n’aurais pas fait le Hartz IV de Schroeder ! En Europe le libéralisme c’est Blair et Schroeder qui l’ont amené ». Plus étonnant encore quand il me donne raison sur le fait que la Russie ne peut être traitée sur le mode du retour à la guerre froide ou quand il affirme qu’il ne participera pas au « Russia-bashing actuel ». Si l’on tient compte de l’ambiance asphyxiante sur le sujet, et du fait que cet homme est candidat au nom des va-t-en-guerre sociaux-démocrates et conservateurs, on doit comprendre que ce n’est donc pas rien d’entendre cela. Je donnerai d’autres exemple ensuite de ce « parler net » peu habituel dans le coton poudreux des arcanes européens
Pour le reste, il est évidemment totalement l’homme de son camp. Il s’en réclame avec habileté. Il le fait en récusant la séparation du monde entre les bons de gauche d’un côté et les méchants de droite de l’autre, suppôts du capitalisme. Rhétorique banale des conservateurs. Elle ne lui permet évidemment pas d’éviter de nous assener les simplismes ordinaires de la propagande de droite la plus éculée. Ainsi contre Pablo Iglésias (Podemos, Espagne) et ceux qui protestent contre le coût du remboursement de la dette, Juncker répond que la solution « ce ne peut être de nouvelles dettes »… Un simplisme que personne ne propose. J’ai noté aussi qu’il n’a rien répliqué à mon affirmation selon laquelle « personne ne paiera jamais la dette accumulée ». En tous cas, quels que soient les talents de séduction de l’homme venu dans une salle où il sait qu’il ne gagnera pas une voix, son identité politique lui colle à la peau. Qui me lit voudra peut-être rafraichir son savoir sur le sujet. M’y voici donc.
Jean-Claude Juncker a été Premier ministre du Luxembourg de 1995 à 2013, soit dix-huit ans pendant lesquels son pays est devenu le paradis fiscal maintes fois dénoncé. L’homme est membre du Parti populaire chrétien social. En 1989, comme ministre des Finances et du Travail du Luxembourg, il a activement participé aux négociations du traité de Maastricht. Après quoi on le retrouve dans une brillante trajectoire au sommet de l’oligarchie mondiale pendant les années où le système financier actuel s’est accroche à la gorge du monde. Ainsi est-il, de 1989 à 1995, Gouverneur de la Banque Mondiale, puis de 1995 à 2013 Gouverneur du FMI, avant d’être le Premier ministre du Luxembourg avec le résultat que l’on sait. Il a toujours défendu le secret bancaire. Il faudra qu’il soit battu aux élections pour que le Luxembourg accepte enfin le nouveau système européen « d’échange automatique d’informations » fiscales sur les entreprises, le 20 mars 2014. Point culminant sur le gâteau des bons services à la finance mondiale. Mais ce n’est pas tout. De 2005 à 2013, Juncker a été le Président de « l'euro-groupe ». C’est cette instance, membre de la Troïka, qui a piloté la réponse austéritaire de la zone euro à la crise bancaire et à celle des dettes souveraines. Dans ces conditions, cela aura été un moment bien ébahissant de l’entendre dire que, pour sa part, il n’avait jamais été partisan de l’entrée du FMI dans la Troïka. Après quoi il ajoute qu’il faudrait penser à élargir la représentativité de ce groupe. Une formule sibylline qui annonce une initiative dont mieux vaut ne pas se réjouir d’avance. Car Jean-Claude Juncker a été l’un des artisans les plus actifs de l’Europe austéritaire en tant que président de l’euro-groupe jusqu’en 2013. Le « six-pack » et Traité budgétaire ont été adopté pendant son mandat et le « two pack » a été imaginé sous son autorité. C’est dans ces documents que sont concentrés les moyens d’asservissement financier des nations européennes. Tout cela fait un pedigree politique tout à fait clair. Un réactionnaire fin et compétent en quelque sorte. Dangereux à proportion de ses qualités.
De plus, comme c’est aussi le façonnier du Luxembourg actuel, on peut craindre sans procès d’intention qu’il ait de très mauvaises inclinations particulières. D’abord parce que le Luxembourg est un paradis fiscal selon ce qu’a dit l’OCDE en novembre 2013. Et ce n’est pas d’aujourd’hui. En 2008, l'OCDE avait déjà inscrit le Duché sur la liste « grise », celle des pays non-coopératifs, des paradis fiscaux. Il a été retiré de la liste en 2009 en échange de promesse de coopération. Cela n’a pas dû être convaincant car le Forum fiscal mondial, une instance adossée à l'OCDE, est en train de revoir ses données. Il est question de refaire une liste grise en 2014. Et on trouve déjà que quatre pays ont échoué à ce contrôle de conformité, dit "par les pairs" (les pays acceptant de se noter entre eux), sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales. Il s'agit du Luxembourg, de Chypre, des Iles vierges britanniques et des Seychelles. Un joyeux club ! Un autre classement confirme cette mauvaise réputation. C’est le classement des « meilleurs » paradis fiscaux par le magazine Forbes, en 2010. Il place en première position l’état nord-américain du Delaware et en seconde le Luxembourg, juste avant la Suisse, les Îles Caïman, la City de Londres, l’Irlande et les Bermudes… Fâcheuse compagnie confirmée par les mauvais résultats obtenus lors du rapport 2010 du GAFI, le Groupe d'Action Financière International. Il s’agit là d’une organisation multinationale créée en 1989, par le G7 soi-même. Il a pour mission de veiller au respect des normes internationales dans le domaine du blanchissement d’argent… tant de mauvaises indications forment un faisceau d’indications pas vraiment rassurantes. Souvenons-nous que l’encours bancaire des établissements financiers du Luxembourg représente 21 fois le PIB de ce confetti territorial. Par comparaison, celui de Chypre, qui connut la crise bancaire majeure dont on se souvient, n’était que de sept fois le PIB de l’île…
Achevons ce portrait croisé d’un homme et du pays qu’il a façonné. Sur le terrain, ça sent aussi une drôle d’odeur. Le Luxembourg est le siège européen de nombreuses multinationales. Vraiment beaucoup ! Et pour finir, cela fait sens. Ainsi sur 100 000 entreprises déclarées dans le Duché, 30 000 seulement relèveraient de l'économie réelle. Parmi ces grandes entreprises qui ont leur siège à Luxembourg il y a bien sur Arcelor Mittal et un bon paquet des géants de la net-économie, comme Skype et Apple. Pourquoi cet engouement ? Officiellement, l’impôt sur les sociétés est fixé à 29,22%, pas loin des 33% français. Mais le contournement fiscal est la vraie norme. Ainsi pour les « fonds d'investissement », l’impôt est doux comme une plume : 0,01% des actifs. Et pour les hedgefunds, la défiscalisation est presque totale. Pour le reste, le Luxembourg est une plaque tournante du dumping par la combine des travailleurs détachés. On y trouve un nombre record des agences d’intérim « boîte aux lettres » qui profitent du site alors qu’elles n’emploient personne ! Le pompon de l’art du tour de passe-passe le voici. Il concerne le succès de la marine luxembourgeoise. De 155 navires, l’effectif est passé à 254 sous pavillon luxembourgeois en 5 ans. Pourtant, le Luxembourg n’a toujours pas d’accès à la mer !
Le nouvel âge des luttes
Chaque jour, je reçois des nouvelles des luttes qui ont cours, soit qu’on veuille m’informer, soit qu’on me sollicite, soit que le parti décide de s’exprimer et que je sois appelé comme les autres dirigeants à donner mon avis sur un communiqué. SNCM, Hôpital de Garches, intermittents, ferme des mille vaches, Notre-Dame-des-Landes, Lyon-Turin, et ainsi de suite, la liste n’est pas aussi courte que certain se le disent. Je ne m’exagère pas la force de contagion de ces actions. Je vois bien l’émiettement du tableau. Cela n’enlève rien à chacune d’elle. Aussi bien, dans tous les cas, chacune a sa propre dynamique et son propre rythme. Mais toutes attestent une forme de combativité dont certains aspects ont directement à voir avec la sphère politique. Dans chaque cas, quel que soit le sujet, vient le moment où le choc implique le gouvernement et le PS. Dès lors, chaque combat porte comme leçon cette confrontation, souvent odieuse. C’est ici ce qu’on doit appeler une machine à détricoter. Car avant l’ère solférinienne, chaque lutte apportait sa quantité de liens créés ou renforcés avec ce qui était alors la gauche politique. Ici ce n’est plus le cas. Pas seulement parce que la lucidité des combattants leurs apprend que le PS est leur adversaire. Mais parce que, en conséquence de cela, viennent alors toutes les questions que cette prise de conscience créé. « La gauche et la droite c’est pareil ! », « Pourquoi êtes-vous alliés avec eux dans les élections ? », « Ils sont pires que les autres parce qu’ils font semblant, pourquoi ne les dénoncez-vous pas ? ». Comme on le sait, il y a bien des réponses possibles à ces questions. Elles ne sont pas convergentes, loin de là. A la fin, reste donc un goût d’inachevé et de leçon de choses incomplète. Les luttes ne produisent plus une conscience politique claire en ce qui concerne leur lien avec le champ des partis et des stratégies. On ne se rassurera pas en se disant que cela peut apporter de l’eau à notre moulin. Bien sûr, cela en apporte. Les adhésions sont là, n’en déplaisent à ceux qui se délectent des démissions. Surtout des adhésions de syndicalistes ou de citoyens très engagés dans un combat. Ceux qui entrent et ceux qui sortent ne sont pas du même bois.
Mais le fond de l’affaire est ailleurs. Pour le très grand nombre, la gauche, c’est le PS, ses alliés réels ou supposés et le gouvernement. Par conséquent, à échelle de masse, la perte est permanente, comme une hémorragie sans fin. Toute la sphère de gauche entre alors en dépression comme le montrent les dernières élections. Mais ce processus émollient fonctionne également dans une toute autre direction. Car ce qui progresse aussi à grands pas, c’est le rejet du système en général. Le système économique et le système politique. Ce rejet est un programme commun implicite. Un programme qui se croit sans parti ni état-major puisque aucun signal clair lui est envoyé qui le démentirait. Sauf, pour certains, le signal du Front National. De son côté, le Front de Gauche est inaudible, non parce qu’il manque de comités de base ni d’adhésion directe mais parce qu’il a été instrumentalisé pour des alliances et accords qui le situent dans le camp du système. Les sénatoriales n’arrangent rien, bien au contraire ! Suivez mon regard. De son côté, l’extrême-gauche incarne le sectarisme et donc l’impuissance. Une fois posée cette observation du terrain, il faut en tirer des leçons et des programmes d’action. Ce n’est pas mon sujet ici d’y entrer alors même que mes amis sont en pleines réflexion sur le sujet. Mais on sait quelle leçon essentielle nous en avons tirée : une mise à distance concrète et sans concession avec le système ! C’est-à-dire avec le gouvernement et ceux qui le soutiennent. Cela conduit à une ligne stratégique : « le système n’a pas peur de la gauche il a peur du peuple ». Ce qui est bien davantage qu’un slogan simple à manier !
La « fronde » est une fièvre bénigne du système
C’est dans ce contexte qu’a pris place l’épisode du vote dans les assemblées du nouveau budget de l’Etat et de la Sécurité sociale. Il s’agissait pour Valls d’inscrire dans la loi le cadeau de 50 milliards au MEDEF promis par Hollande. C’est donc l’acte fondateur de son mandat de Premier ministre et le vote phare sur le tournant libéral assumé du quinquennat. Le débat et le vote prennent donc deux sens. L’un concerne le symbole politique en cause pour un parlementaire de gauche. Le second implique le diagnostic économique que l’on engage. Pour résumer sur ce dernier point, il s’agit de savoir si le problème c’est le coût du travail ou celui du capital. Si ce sont les cotisations sociales ou le carnet de commande qui est l’urgence. La montée en puissance médiatique des frondeurs avait fait penser que l’importance du sujet déclenchait la prise de conscience et le sursaut parmi les parlementaires PS et Verts qui auraient ouvert une nouvelle phase politique dans laquelle une majorité alternative de gauche pouvait se constituer au Parlement et sinon dans le pays. On connaît le résultat. Rien sur le budget de l’État, sinon de maigres abstentions éparpillées à l’Assemblée nationale. Au Sénat ce fut pire. Tous les socialistes ont fait bloc en votant pour Valls. Ainsi a voté Marie-Noëlle Lienemann, qui par ailleurs fait des propositions de « plateformes alternatives à gauche » entre bons amis de la gauche plurielle ! Arrivé au vote sur le budget de la sécurité sociale où se nichait l’essentiel du cadeau au MEDEF, le dépit est double. Non seulement les effectifs de frondeurs ont fondu au PS, mais ce qui en est resté s’est aligné sur le moins disant.
Ce fut l’abstention. Un vote absurde, je n’hésite pas à le dire. Que signifie-t-il ? Que les frondeurs s’en remettaient au vote des autres composantes de l’Assemblée pour prendre la décision. De qui peut-il s’agir ? Pas de nous, les députés du Front de Gauche sont trop peu nombreux. C’est donc de la droite que devrait venir l’échec du plan Valls ? Imagine-t-on le contresens si une telle mésaventure s’était produite ? Bien sûr ce n’est pas ce que voulaient les abstentionnistes. Mais cela montre bien la limite d’une attitude où l’on refuse d’assumer ses responsabilités jusqu’au bout. Car dans un sujet aussi grave et central que les budgets de l’Etat et de la sécurité sociale, l’exigence morale est qu’il faut trancher et prendre ses responsabilités. Ceux qui votent contre doivent se considérer comme investis du devoir de proposer une autre politique, un autre gouvernement. On ne gouverne pas un pays par abstention ! Le vote des budgets est fondateur de la majorité et des oppositions. L’abstention signifie que les frondeurs ne sont pas dans l’opposition de gauche comme nous-mêmes. Soit. Quel est alors le sens de leur fronde ? Il s’agit d’un acte interne au PS de désaccord sur la ligne, je l’entends bien. Mais l’Assemblée nationale n’est pas un congrès du PS ni son conseil national ! C’est le lieu d’où l’on est censé gouverner le pays. Du coup, le feuilleton de la « fronde » qui fait pschitt a masqué l’essentiel : le contenu du plan et les 50 milliards offerts au MEDEF. Double victoire pour Valls qui a remarquablement manœuvré dans cette affaire. D’une part son plan a été adopté. D’autre part « l’alternative à gauche » parait plus lointaine que jamais. En tous cas plus politicienne que jamais. Des gesticulations périphériques y ajoutent encore une touche de combines supplémentaires.
La tambouille de « l'alternative à gauche »
Dans le registre des couteaux sans lame, on sent bien que la gamme va s’élargir bientôt fort vite. Après avoir voté le budget Valls, Marie-Noëlle Lienemann tenait une conférence de presse avec l’ancien ministre Paul Quilès, flanqués de Pierre Laurent du PCF et Emmanuelle Cosse d’EELV. Il s’agissait de faire connaitre un document « base de travail » pour « une stratégie alternative » à gauche. On a compris qu’il s’agissait d’un travail confidentiel mené de longue main. Pourtant, il y a une semaine, nous rencontrions, avec le même Pierre Laurent et tout le Front de Gauche, Emmanuelle Cosse et l’état-major des Verts. Ni Pierre Laurent ni Emmanuelle Cosse n’évoquèrent la prochaine parution de cette plateforme. Mais il est exact qu’Emmanuelle Cosse répondant à Clémentine Autain récusa sans ambiguïté que son projet soit de « créer une plateforme alternative ». Puis, répondant à Martine Billard, elle confirma que son intention était bien d’organiser un dialogue avec le PS lui-même. Son objectif assumé est de former « la passerelle entre l’autre gauche et le PS ». L’initiative Lienemann/Quilès a le même projet de façon concurrente.
On sait où ça coince. Détail révélateur, Lienemann se donne la peine d’informer que sa « porte n’est pas fermée » au Parti de Gauche, dont elle affirme qu’il « n’a pas souhaité s’associer aux travaux » de bricolage qu’elle conduit. Air connu. Cambadélis parle la même langue. L’objectif est le même : briser le Front de Gauche en isolant les irréductibles opposants à l’alliance avec le PS. Cela ne peut aboutir d’aucune manière. Le Front de Gauche n’est pas une étiquette, c’est une stratégie. Il est tout à fait possible de débaucher des composantes du cartel comme les élections municipales l’ont montré. La stratégie ne sera pas abandonnée pour autant, comme l’ont également montré les élections municipales. Evidemment, comme dit le proverbe berbère : « la seconde fois que tu te fais avoir, c’est de ta faute ». Nous sommes prévenus. La samba des sénatoriales menées de nouveau sans vergogne au nom du Front de Gauche montre que l’addiction au PS est parfois irrémédiable. Elle recommencera avec les cantonales et les régionales, et ainsi de suite. Nos devoirs pour la rentrée comportent donc une question qu’il faudra maintenant trancher une bonne fois pour que le peuple à son tour puisse trancher par ses bulletins de vote, le moment venu.