La reprise c’est la re-crise

J’ai écrit ce post dès le lendemain de la marche du 9 Avril. Ne serait-ce que pour qu’il en soit question alors que les médias l’ont soigneusement effacée du tableau. Mais je commence par dire mon mot sur la fameuse « reprise » dont se gargarisent les commentateurs et le PS sans voir ce qu’elle contient à l’échelle mondiale où les indicateurs financiers s’observent.

Ensuite, je parle des sanctions contre la Russie. Elles sont illégales. Je dis pourquoi. Plusieurs pays demandent qu’elles cessent. Mais personne ne le mentionne. Car ce que veut le gouvernement allemand est considéré comme la décision de tous. Et qui s’en écarte quitte la famille elle-même. Ainsi un journal aussi sérieux que « Les Echos » peut-il disserter sur les mésaventures de la Grèce face « aux Européens », comme si la Grèce n’était pas un pays de l’Union européenne…

Pendant que le lacet se serre toujours davantage autour du cou grec, la volatilité du monde de la finance serait-elle capable d’encaisser le choc du trouble que connaîtrait l’Euro si la Grèce en était soudain exclue ou si elle venait à être mise en faillite ? Le gouvernement allemand ferait bien d’y réfléchir avant de continuer son jeu mortel de punition exemplaire du peuple grec ! Qu’il n’écoute pas ses banquiers. Car ce sont les plus mauvais et les plus fragiles d’Europe. 80% des établissements bancaires allemands sont hors contrôle du système d’union bancaire européen. Quant aux autres, ce sont des nuls sans habileté. En effet, dans la crise des subprimes, les banques allemandes ont subi 40% de toutes les pertes des banques dans la zone euro. Car voici qu'une nouvelle crise globale s’avance.

C’est la reprise ! La re-crise approche

J’explique. Les commentateurs exultent. Les bourses flambent de nouveau. Voyez : la bourse Tokyo est à son plus haut depuis 15 ans. A Paris, le CAC 40 a franchi les 5 200 points, son plus haut niveau depuis janvier 2008. Souvenez-vous, c’était avant la crise. C’est bien la preuve que la reprise est là, non ?

Non. C’est la reprise de la bulle financière, alimentée notamment par la situation européenne. La Banque centrale européenne a commencé à injecter des milliards d’euros sur les marchés. Mais, dans le même temps, les États compriment les dépenses publiques. Et l’investissement privé ne redémarre pas. Faute d’investissements publics ou privés à financer, les flots d’argent déversés par la BCE s’évaporent dans une nouvelle bulle financière. Au lieu d’irriguer l’économie réelle.

C’est une preuve de plus de l’échec de la stratégie économique de François Hollande et Manuel Valls. Leur stratégie, c’est le théorème de Schmidt, du nom de l’ancien chancelier allemand des années 1970. Cette pensée est résumée par la formule « les profits d’aujourd’hui sont les investissement de demain et les emplois d’après-demain ». Cette formule, déjà contestable à l’époque, est aujourd’hui totalement dépassée. Les profits ne font pas les investissements et même ils détruisent l’emploi. Sous nos yeux, tandis que les bourses flambent, les plans de licenciement s’accumulent. Ce logiciel est périmé. Le Monde lui-même s’inquiète « d’une reprise sans investissement ». Une semaine avant, Les Echos évoquaient « une reprise sans emploi ». Mais qu’est-ce donc qu’une reprise sans emploi ni investissement ? Est-ce encore une reprise ?

Dans la manifestation du 9 avril, le PCF a proposé une version mise à jour de cette formule. Elle est plus cruelle pour Hollande et Valls. Mais elle me semble tellement plus juste. Ils l’ont baptisé « le théorème de Macron ». Le voici : « les profits d’aujourd’hui sont les dividendes de demain et l’évasion fiscale d’après-demain ». Le flot qui coule sur cette pente peut être évalué. Quelque 7.600 milliards de dollars, soit 8% de la richesse mondiale, sont détenus par des particuliers dans des paradis fiscaux, analyse une récente étude parue dans le Journal Of Economic Perspectives. Les tricheurs européens arrivent en tête de la délinquance fiscale avec quelque 2.600 milliards localisés dans des États qui mêlent faible fiscalité et opacité financière, affirme le Français Gabriel Zucman, professeur assistant à la London School of Economics. Mais cet argent sale, une fois dans les banques de paradis fiscaux, ne revient-il pas dans les économies réelles ? Après tout ne faut-il pas que cet argent s’investisse pour être profitable ? Oui, bien sûr, il doit se réinvestir. Mais où ? Dans quelle activité ? Et pour quel résultat ? Réponse : là où on peut faire le plus de profit. C’est-à-dire très peu dans l’économie réelle. Plutôt encore et toujours dans la bulle financière, dans la spéculation. A quelques exceptions près. Car de temps en temps, en effet, il se dit qu’ici où là vont venir des profits gigantesques. Alors l’argent accourt et des bulles monstrueuses se forment. Une entreprise peut ainsi avoir une valeur en capital gigantesque avant d’avoir réalisé un dollar de profit. La bonne affaire consiste juste à vendre à temps très cher ce que l’on a acheté moins cher ou au début. Comme tout le monde le sait, tout le monde le fait. Alors la bulle éclate d’autant plus vite que tout le monde se sauve en même temps. On connaît. Mais même ce type d’occasion reste assez limité. Ce qui les rend d’ailleurs si volatiles et donc si dangereuses. Mais où aller placer ces masses d’argent ailleurs que dans la bulle ? Car dans la vie réelle, le champ se rétrécit a vue d’œil.

En effet la politique de l’offre et l’austérité asphyxient toute une partie de l’économie réelle. Celle qui dépend de l’investissement et de la demande populaire. C’est le cœur de l’économie française. Non seulement le théorème Macron ne vise pas les emplois d’après-demain, mais il organise les licenciements d’aujourd’hui. Ainsi quand on apprend que la dotation de l’État aux collectivités locale va baisser. Par contrecoup, cela veut dire que les investissements publics dans le secteur du bâtiment et des équipements vont baisser. On connait même la proportion. Moins 10 % ! Autant d’activité en moins. Autant de surface de moins par où l’argent à placer trouve où s’investir. Résultat : la bulle financière et la spéculation restent le premier secteur de placement.

C’est tellement violent en ce moment que les autorités les plus éminentes du capitalisme s’émeuvent. Ainsi, dans une lettre envoyée à ses actionnaires, Jamie Dimon, le patron du géant bancaire américain JP Morgan annonce le caractère inéluctable d’une prochaine méga crise financière du fait des capacités de fluctuations erratiques de la valeur de tout ce qu’atteint la vague d’argent disponible. Entrées et sorties massives de capitaux peuvent jeter tout le système par terre en quelques heures, d’autant que les banques elles-mêmes, gorgées de liquide d’une part, ne peuvent évidemment pas stocker sans déprécier leur capitaux et de toutes façon ne trouvent plus de titres sûrs et stables à stocker. Rigolade : ce sont les titres de dette d'État les plus recherchés parce que ce sont les plus sûrs, les mieux garantis et jusque-là les plus stables. Comme tous le savent, du coup, tous rechignent à vendre ceux qu’ils possèdent. Incroyable. Les mêmes qui jettent des pierres sur les dettes des États sont ravis d’en posséder des titres en nombre. Du coup, moins de la moitié des bons du trésor des États sont disponibles sur le marché. Les banques les gardent jalousement dans leurs coffres en dépit de leur très faible rendement. Comme des réserves précieuses ! Dans ces conditions, les pays peuvent émettre des titres de dettes les plus folkloriques de l’histoire de la finance. C’est-à-dire à des taux inférieurs à l’inflation ! Ce qui veut dire que les préteurs payent pour prêter ! Et voici comment les taux d’intérêt de la dette portugaise sont tombés en séance à …. 0% pour deux ans. Grandiose ! En attendant la catastrophe, ils la préparent activement. L’argent tourne, va, vient, virevolte d’une position à l’autre et les tiques se gavent comme jamais. En plein au milieu de ses annonces catastrophistes, le patron de JP Morgan oublie de mentionner la participation active de son établissement à la « volatilité des cours » contre laquelle il met en garde… JP Morgan a battu cette année le record de profit de son histoire : 22 milliards de dollars ! Un chiffre en progression de 20% d’une année sur l’autre !   

C’est la cinquième année consécutive de records de bénéfices. Du coup, les 26 milliards d’amende infligés par l'État US à la banque au titre de divers scandales financiers sont épongés comme si cela ne comptait pas. Les faux frais de la triche, en quelque sorte. Mais trop c’est trop. Les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel, dit le proverbe. Les profits spéculatifs ne peuvent s’amonceler sans cesse. Même la bourse de Shangaï et de Hong Kong progressent de 100% ! Mais plus de 1,7 millions de nouveaux comptes ont été ouverts par des particuliers de toutes sortes. Quel est le sang froid de tous ces gens ? Combien ont acheté leurs actions avec des emprunts ? Qui tiennent-ils par la main dans la pyramide des dettes et des avoirs ? Tel est le capitalisme de notre temps. S’il diffère par bien des aspects de celui du passé c’est aussi parce que le cycle des crises financière s’est sans cesse raccourci. Après la bombe de 2008 dans les subprimes, voici la nouvelle méga bombe sur sa rampe de lancement. Son nom n’est pas encore connu, ni la date exacte de la mise à feu. Mais son existence et sa dangerosité sont certaines et prochaines. 

Saine humiliation

Des dizaines de milliers de gens ont ressenti une humiliation médiatique extrêmement pédagogique de retour de la marche du 9 Avril. Pas un mot ni une image ici ou là, et pas davantage le lendemain dans les émissions des jaunes du service public. Leurs efforts, leur message, tout cela n’existe pas. On ne saurait mieux dire. Le hasard a, de plus, magnifiquement renforcé la démonstration. Les ondes étaient surchargées des aventures de la famille Le Pen. Il y a un lien entre ces deux faits. En effaçant la grève et les cortèges syndicaux, on annule leur effet d’entrainement possible et le retour de la question sociale sur le devant de la scène. En faisant du Le Pen à gros bouillon, on ramène tout à la centralité du Front national et au degré de racisme supportable et acceptable. L’antisémitisme non, l’apologie des collabos et la haine des musulmans : bof ! Bien sûr, la comédie familiale a tourné à l’opération de promotion de la madame si propre sur elle après trente ans à méditer sur les calembours pourris de Jean-Marie Le Pen. Qu’elle rompe avec l’antisémitisme à peine masqué du père fondateur et limite ses vindictes ethniques aux musulmans est un exercice tout à fait délicieux pour maintes oreilles dans la société comme dans les rédactions.

Car pour le reste des déclarations de Le Pen, notamment sur Pétain, la dame a un passé, elle aussi. Alexis Corbière le rappelle sur son blog : « en 2011, à la question du journal Haaretz : « Êtes-vous prête, aujourd’hui, à dénoncer le régime du maréchal Philippe Pétain et les crimes du fascisme français ? », la présidente du FN avait répondu : « Absolument pas ! (..) Je me refuse à dire du mal de mon pays. » Ce que les commentateurs homme et femmes troncs qui n’ont pas vu la marche syndicale mais qui pétaradent sur « la rupture familiale » se gardent bien de commenter. Il est vrai qu’ils ne savent rien du sujet, le plus souvent. Et ceux qui savent connaissent la musique à jouer. Thomas Legrand, l’homme qui demandait au Front de Gauche de me régler mon compte à propos de la Russie, exulte. Dans son éditorial, il clame que l’alliance est désormais possible entre le FN et L’UMP car naturellement, c’est l’antisémitisme qui bloquait tout, selon lui. Le reste est quantité négligeable, cela va de soi. Les gaullistes seront enchantés. Les musulmans aussi. Encore parle-t-on à cet instant de quelqu’un qui certes écrit dans « Lui » mais évite le mélange des genres. Peut-on en dire autant pour tous les illuminés médiatiques, que les figures du Front national déjantent ?

De quel homme politique parlerait-on comme le fait Tugdual Denis de « l’Express » à propos de Marion Maréchal Le Pen ? Je crois bien qu’elle ne lui a sans doute rien demandé de semblable. Surtout après qu’il ait déjà fait de l’argent en publiant un papier répugnant d’indignité « révélant » l’identité de son père biologique. Lisez et souvenez-vous que c’est censé être un journaliste qui vous informe et que vous avez en principe payé pour lire ça. « A l'arrière, la portière s'ouvre doucement, il fait un temps maussade, la lumière s'allume. Les contrastes favorisent tout, y compris celui du blond sur le gris. La nièce de Marine Le Pen porte des bottes montantes bleu-nuit assorties à la couleur de son jean bien coupé. Un chemisier blanc en tissu léger surmonte l'ensemble. Personne n'est tenu de goûter la peau très blanche, la raie sur le côté obligeant les longs cheveux à pendre d'un seul côté ou ce visage lupin. En revanche, rien ne sert de nier ce que l'œil impose : on ne voit qu'elle. » . Personne n’est « obligé de goûter », en effet, cette prose de caniche fasciné par les bottes, ni la muflerie, ni le machisme. Ni la fascination pour le mal et l’esthétique de l’extrême droite qui a déjà perdu tant d’esprits avant-guerre, dans le même registre.

Au total et pour finir, j’estime cependant qu’il y a un avantage pour nous à ce mépris pour notre marche du 9 avril : que plusieurs dizaines de milliers de personnes ont ainsi approfondi leur culture politique et mieux compris en quoi le système médiatique est la deuxième peau du système lui-même. Et ils ont mieux compris le rôle et le fonctionnement du « lepénisme médiatique ». Tout cela fortifie la base sur laquelle se construit l’avenir. Quelle que soit la suite des évènements dans notre pays, si tragique qu’elle soit du fait du rôle joué par la machine à bourrer les crânes, rien ne peut se faire sans l’existence d’une « opinion », d’une culture rénovée et bien ancré dans l’expérience de l’esprit critique. La nécessité d’un esprit critique et d’une culture d’a priori négatif à propos du système médiatique, d’une pratique du dévoilement des protections hallucinogène du système par son appareil de propagande est une des conditions pour refonder l’esprit civique. Bien sûr, tout cela est désolant du point de vue du fonctionnement d’une grande démocratie. Mais le temps des regrets est passé. À présent, davantage que jamais il faut faire de tout un matériau de combat. Si limité qu’en soit l’effet dans un premier temps, à la longue, dans la durée, ce travail paye, tête par tête ramenée au combat. La séparation sans colère ne cautérise jamais vraiment. La désaliénation est toujours une souffrance, qu’il s’agisse de rompre avec la cigarette ou avec son association de philatélistes. Pour séparer les esprits de l’église médiatique et de ses prêches, il faut que la rage fasse son travail. Sans haine ni violence. Juste comme un abrasif mental libérateur.  

Les sanctions anti-Russes sont illégales

Les sanctions prises par l'UE à l'encontre de la Russie sont maintenues. Pourquoi ? Pour s’assurer du respect de l’accord de Minsk, dit-on. Pourtant, les inquiétudes sur le respect de ces accords ne viennent pas de la Russie mais du gouvernement de Kiev, comme s’en est plaint la France très officiellement auprès des autorités ukrainiennes quand elles refusaient de retirer les armes lourdes de la zone démilitarisée. Et, par contre, l’aide à l’Ukraine n’est pas remise en cause ; au contraire, elle est accélérée. Mais quand bien même ! Ces sanctions mises en œuvre « par l’Europe » le sont en réalité contre le droit européen. En effet, des mesures de cette nature relèvent d’une décision prise au sein du Conseil des gouvernements, là où les nations sont représentées en tant que telles. C’est l’instance souveraine en dernier ressort dans l’Union européenne sur ce type de sujet. Les décisions doivent y être prises à l’unanimité. Or il n’y a pas d’unanimité pour ces sanctions. Ne serait-ce que parce que la Grèce y siège et qu’elle y est opposée, ce qu’a répété Alexis Tsipras. Mais ce n’est pas tout.

Plusieurs pays considèrent qu’elles ont des effets désastreux sur l'économie européenne dans la mesure où la Russie est conduite à changer de fournisseurs dans de nombreux domaines au profit notamment de pays de l’Amérique du sud et de l’Asie. Certains pays membres de l'UE ont donc demandé la levée de ces sanctions. En effet ils en souffrent davantage que n’en souffrira jamais la Russie. Le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Garcia-Margallo, a rappelé à ses collègues au cours d’une réunion des chefs de diplomatie des pays membres de l'UE à Bruxelles que les mesures punitives contre la Russie avaient déjà coûté 21 milliards d'euros à l'UE. D’autres se sont également exprimés. Il s’agit de l'Italie, de la Hongrie, de l'Espagne, de l'Autriche, de la Slovaquie et de Chypre. Le chef de la diplomatie italienne, M.Gentiloni, estime que la levée partielle des sanctions imposées à l'encontre de Moscou est nécessaire. En effet l'Italie figure parmi les pays les plus touchés par l'embargo russe sur les produits alimentaires. L'Autriche aussi s'inquiète. En décembre 2014, le chancelier fédéral autrichien Werner Faymann déclarait que « l'Union européenne n’est pas intéressée par la construction d'un mur entre l'UE et la Russie, et devrait être prête à lever les sanctions ». Dès mars 2014, Le chef du gouvernement Bulgare Plamen Orecharski avait souligné la réticence de son pays à sanctionner la Russie, déclarant « Avec quelques autres pays de l'Union européenne (UE), nous sommes parmi les moins intéressés par des sanctions ». En aout 2014, le Premier ministre slovaque, Robert Fico qualifiait les nouvelles sanctions de l’Union européenne contre la Russie d’« absurdes et contreproductives ». La Hongrie est, elle aussi, hostile aux sanctions contre la Russie. Le sulfureux Premier ministre crypto fasciste hongrois, Victor Orban, que l’UMP Joseph Daul, alors président du groupe de la droite au Parlement européen serrait sur son cœur sous les applaudissements des députés de la majorité, n’est pas en reste. « Les sanctions imposées par l'Occident, c'est à dire par nous-mêmes, dont le résultat inévitable était (les sanctions) russes, nous portent davantage préjudice qu'à la Russie », ajoutant : « En politique, cela s'appelle se tirer une balle dans le pied ». Chypre aussi s'oppose à cette politique. En août 2014, lors de la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l'Union européenne, le ministre des Affaires étrangères de la République de Chypre Ioannis Kasoulides s'était déjà opposé à toute nouvelle sanction contre la Russie.

Le bilan est net. On est loin, très loin de l’unanimité au conseil des gouvernements. Par conséquent, en ce sens, les sanctions contre la Russie sont illégales du point de vue européen. Mais en juin prochain, la discussion reprend sur la levée des sanctions ou leur alourdissement. On peut donc pronostiquer une provocation armée avant la date de cette réunion, pour rallumer le brasier de la haine anti-Russe et de la main-mise sur ce qu’il faut bien appeler le nouveau protectorat ukrainien.

Mais, bien sûr, tous ces pays ne comptent pas dès que l’Allemagne a dit son mot. Surtout si les Français laissent faire, par peur de se faire gronder. Or, le gouvernement de madame Merkel est très intéressé par la mise en orbite de l’Ukraine autour de l’Europe. Une Ukraine débarrassée de l’influence des circuits productifs et commerciaux russes. Une Ukraine débarrassée de la combativité populaire et travaillant pour le système du made in Germany. C’est à dire à bas coûts salariaux. Actuellement, le salaire minimum Ukrainien est de cent euros mensuels. C’est-à-dire 30% moins cher qu’un salarié chinois. Une aubaine. Plusieurs millions de personnes travaillant à bas coût aux portes des usines d’assemblage allemandes, voilà la politique constante des gouvernements allemands depuis la décennie qui a suivi la chute du mur de Berlin. Ces gouvernements ont d’ailleurs expérimenté leurs méthodes en absorbant l’Allemagne de l’est. Toute l’Europe regardait soigneusement ailleurs pendant que s’effectuait l’annexion et le pillage. Vingt-cinq ans après, le salaire d’un Allemand de l’est n’est toujours pas celui d'un Allemand de l’ouest. Mais les machines qu’ils font fonctionner et les produits qu’ils réalisent sont de même niveau et parfois meilleur car les investissements sont plus récents. Dans cette veine, selon l’économiste Jacques Sapir, la mise sous tutelle de l’Ukraine représente dix à vingt ans de réserves humaines et de profits pour l’Allemagne vieillissante, asphyxiée par la baisse de sa population active et les exigences de ses retraités par capitalisation. L’Ukraine est donc soumise à l’application de la stratégie du choc.

Sous la surveillance du gouvernement Merkel est appliqué à ce pays la méthode qui a permis à Helmut Kohl d’annexer l’Allemagne de l’est comme la plus juteuse opération financière pour le capitalisme ouest-allemand depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Mais il faut beaucoup d’application pour que « la thérapie » soit appliquée avec succès. Surtout pour un pays comme l’Ukraine, si intimement lié à l’économie dominante du voisin. Et surtout pour un pays traversé par une révolution populaire. Car souvenons-nous qu’au point de départ la révolution place Maïdan est un mouvement populaire tourné contre les oligarques, la corruption et la vie chère. C’est un mouvement très marqué à gauche par son contenu social. Ce mouvement a été détourné pour devenir un coup d’État des ultra-nationalistes et des nazis locaux qui n’avaient au départ aucune légitimité dans le processus sinon la force armée qu’ils y ont introduite et l’usage qu’ils en ont fait, y compris contre diverses composantes du mouvement insurrectionnel. Toute proportion gardée, c’est un phénomène comparable à celui que l’on observe en France. Là aussi, un peuple agité par les grandes grèves de 1995 pour les retraites, le vote « non » pour le référendum sur la Constitution libérale européenne, se retrouve embarqué dans la querelle sur la viande hallal, le financement des mosquées et ainsi de suite, en même temps que lui est appliquée une politique de violence sociale. Jusqu’à ce que le Front national domine la scène et que la question sociale soit entièrement remplacée par la bouillie glauque de l’ethnicisme.

En Ukraine, tout le travail de base de la thérapie du choc est déjà opéré. Les violences ethniques ont saccagé le pays et semé une haine dans les populations qui a brisé tous les ressorts d’action sociale collective du peuple. Des pans larges et profonds de la société sont à la limite de la survie dans un cadre de « catastrophe humanitaire » comme disent les Grecs. En interdisant le Parti communiste, un signal a également été donné comme lors du massacre impuni d’une quarantaine de syndicalistes brulés vifs. La scène politique n’offre donc plus aucun débouché alternatif au libéralisme et à l’extrémisme ethnique. L’État de choc peut entrer dans une nouvelle phase.

La  rupture avec la Russie est insupportable par l‘économie ukrainienne actuelle. Elle vit donc sous perfusion de « l’aide internationale » qui est en réalité une machine à enclencher l’annexion de l’économie locale. On connaît. Le FMI est déjà sur place pour ça. Un mémorandum est signé comme avec la Grèce d’autrefois. Y sont prévues les mesures habituelles pour placer la population sous état de choc avec toutes sortes de privations qui mettent les gens en état de lutte permanente pour la survie individuelle. Mais évidemment, la cueillette des beaux morceaux est également dans le contrat. C’est ainsi que sont prévues des mesures de pillage légal sous forme de « privatisations » et ainsi de suite. La mise à l’écart récente de quelques oligarques qui avaient pris pied en profondeur dans le régime atteste d’une redistribution des prébendes en cours. Il va de soi que la place des bienfaiteurs internationaux devrait bouger. Avec une ministre des finances ukrainienne qui était, vingt-quatre heures avant sa nomination, une citoyenne des USA, on devine que la discussion doit être saine. De son côté, l’Union européenne accorde elle aussi des prêts sans que l’on entende les habituelles pleurnicheries et cris de rage de monsieur Schaüble, le ministre de l’économie allemand. Et pour cause. L’annexion est commencée.

L’aide européenne institue un droit de regard politique sur le gouvernement local. Déjà, deux votes dans ce sens sont intervenus au Parlement européen. Chacun mentionne l’exigence d’une vigoureuse lutte contre la corruption et diverses braves considérations de cet ordre. Mais la rapporteur de la motion avouait elle-même qu’aucun progrès n’avait été observé et que d’une façon générale, aucun contrôle n’ayant été effectué, tout cela restait purement déclaratif. On pense que dans les prochains mois, l’asphyxie de l’Ukraine devrait franchir plusieurs paliers. Le risque d’explosion populaire n’est pas exclu, cela va de soi. Mais l’encadrement idéologique a été renforcé. L’emprise des néo-nazis s’est étendue avec l’arrivée d’un de leur plus éminents dirigeants à la tête de l’administration du ministère de la Défense. On peut donc penser qu’en cas de durcissement des conflits internes au pays, l’exutoire nationaliste anti-Russe sera le ressort activé sans relâche.

Dans ce contexte, évidemment la politique de stigmatisation de la Russie joue un rôle clef. Il s’agit bien de délimiter un « eux et nous », méthode de l’inclusion/exclusion assez banale. Mais il ne s’agit pas que d’une manœuvre symbolique ou seulement d’un exutoire. Il s’agit pour finir de réorganiser tous les circuits commerciaux et productifs de ce pays vers l’Union européenne, et principalement évidemment vers l’Allemagne. On sait bien que l’Allemagne ne veut pas d’une guerre avec la Russie. Qui pourrait vouloir d’un tel crime contre l’humanité ? Elle intervient donc chaque fois que nécessaire pour empêcher que les choses n’aille trop loin. Mais elle reste la première bénéficiaire dans l’Union européenne de l’état de tension actuel. Et sans doute est-elle la seule dans cet ensemble. 

J’alerte. La volonté de paix est une ligne politique globale. Elle ne peut reposer sur la seule habileté de quelques négociateurs surgissant à l’improviste au cours d’une escalade comme ce fut le cas lorsque Hollande et Merkel se rendirent auprès de Poutine. Rien dans le paysage n’annonce une baisse des raisons de fond de la tension dans cette région. Les opinions publiques dans l’Union européenne sont conditionnées d’une manière irresponsable. J’ai lu un discours de l’ambassadeur russe en France, monsieur Orlov, devant l’association des anciens diplômés de Harvard (sic). J’en retiens un passage qui permet de regarder la scène telle qu’on la voit depuis le point de vue russe. Je pense qu’il y a de l’intérêt à connaître cet angle de vue pour comprendre les motivations de ceux qui sont montrés du doigt en ce moment d’une manière aussi peu conforme à nos intérêts bien compris.

« On me raconte que plus de six mille personnes civiles ont péri dans le conflit du Sud-Est de l'Ukraine. Mais on oublie de préciser que ces gens ont été tués par l'armée ukrainienne. On me raconte que ce conflit a fait des centaines de milliers de réfugiés. Ce que l'on ne dit pas c'est que la majorité écrasante d'entre eux se sont réfugiés en Russie. On me raconte que mon pays va d'ici au lendemain envahir la Pologne et les Républiques baltes pour ne s'arrêter, comme l'a prédit un général britannique, qu'au Portugal…C'est quoi ? Du délire paranoïaque ? Non. Cela s'appelle la guerre de l'information. Exalter la haine de la Russie. Créer l'image d'un ennemi. (…) 

La coïncidence ne paraît-t-elle pas bizarre, que les premiers à accuser la Russie de tous les torts sont les États qui, eux, n'arrêtaient pas ces dernières années de piétiner le droit international ? Ceux qui ont soutenu les séparatistes du Kosovo, qui ont bombardé Belgrade et amputé la Serbie de 20% de son territoire, et ceci, notons-le au passage, sans aucun référendum. Ceux qui ont inventé un faux prétexte pour envahir et puis pousser dans le bourbier de la guerre civile l'Irak. Ceux qui ont pactisé avec les islamistes radicaux, d'Al-Qaïda à l'Etat Islamique, pour leur faire la guerre après. Ceux qui ont aidé les "insurgés" à démembrer la Libye, désormais en proie du chaos et de la guerre civile. Ceux qui livrent des armes aux "insurgés" syriens, prétendant qui si le régime du Damas tombe, la démocratie s'installera à sa place, quoi qu'ils comprennent bien que ce ne sera pas la démocratie, mais le Daech. Et à part ça les prisons secrètes, les tortures, la surveillance globale…

Bref, "qui sont ces juges" ? La question reste rhétorique. Nous vivons dans un monde cynique. Depuis longtemps déjà les "deux poids deux mesures" sont devenu un trait inaliénable de la politique extérieure des États-Unis et de leurs satellites. La diabolisation de la Russie en Occident atteint une limite dangereuse. Les historiens font déjà des parallèles avec le début de la Première Guerre Mondiale, parlent d'une ambiance "d'avant-guerre". Vraiment, on a l'impression que quelqu'un est en train de préparer l'opinion publique à la guerre contre la Russie, comme avant on la préparait à l'agression en Serbie, en Irak, en Libye… Mais c'est la perte complète du sentiment de réalité. L'oubli total des leçons de l'Histoire.

Je ne cherche à effrayer personne, mais la guerre contre la Russie ce serait la fin de l'humanité. Et au nom de quoi ? Peut-être pour les nationalistes ukrainiens qui ont pris le pouvoir à Kiev, qui terrorisent la population russe et glorifient les collabos nazis, qui ont ruiné l'économie ukrainienne et vivent sous perfusion financière européenne ? Peut-être qu'il est temps de se raviser ? D'arrêter cette "spirale de la folie" comme l'a appelé Jean-Pierre Chevènement, avant qu'il ne soit trop tard ? »

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