Encore une fois, il aura fallu que je mette les pieds dans le plat pour que les langues se délient. Je veux parler de l’incongruité du débat à onze candidats que France 2 prétendait organiser le 20 avril. Un débat télévisé à 24 heures de la clôture de la campagne ! Aussitôt, et c’est tant mieux, d’autres candidats sont allés dans le même sens que moi plus ou moins ouvertement. Enfin le Conseil supérieur de l’audiovisuel lui-même, m’a donné raison !
Evidemment, personne, en tout cas certainement pas moi, ne mettons en cause le principe même de débats entre les candidats. J’avais d’ailleurs proposé dès novembre un débat à M. Fillon qui ne l’a jamais accepté. J’ai accepté de participer au débat organisé par TF1 le 20 mars à cinq candidats ! J’ai même accepté de participer aussi à celui organisé le 4 avril par BFM et CNews avec les 11 candidats, bien que cela suppose de sacrifier une soirée entière pour à peine 15 minutes de temps de parole. Pas de fausses polémiques donc. J’ai dit que j’étais prêt à envisager un autre débat jusqu’au 17 avril. Mais pas au-delà ! Pourquoi ? parce que ma campagne est organisée et planifiée depuis de nombreuses semaines et je n’ai pas de raison de refaire tout mon plan de marche pour satisfaire l’appétit de buzz de France 2. Et puis j’entends bien que le droit de chacun de pouvoir répliquer à ce qui aura pu être dit puisse se faire respecter dans un délai suffisant pour convaincre. Je suis trop marqué par le souvenir détestable de 2012 et la publication dans un gratuit du jeudi d’une photo présentée comme « compromettante » où l’on me voyait raccompagner, en tant que ministre de Jospin, et sur ordre, Bachar el Assad à l’aéroport !
Ce qui est donc en cause, c’est la date. Et seulement elle. Je refuse de voir toute la campagne présidentielle confisquée à 24 heures de sa fin par une seule émission. Qui plus est par une émission entre les mains d’une seule petite équipe rédactionnelle, d’une seule chaîne, et bien connue pour ses traquenards et sa soif du buzz plus que du débat éclairant. Il suffit de voir à quel niveau est tombée « l’Emission politique » avec ses « invités surprises » et autres provocations pour convenir que ce n’est pas une garantie de sérieux du niveau du débat démocratique 24 heures avant la clôture de la campagne du premier tour.
Je vois que je ne suis pas le seul à penser cela. M. Macron a dit lui aussi que pour sa part, il était favorable à « un seul débat à onze et pas à la dernière minute ». Il a clairement dit qu’il avait «autre chose à faire que de courir de chaîne en chaîne pour multiplier les débats à onze » car « Un candidat à la présidence de la République n’est là ni pour coordonner le travail entre les chaînes qui ne savent pas se mettre d’accord, ni pour s’adapter à leur agenda ». Il a demandé au Conseil supérieur de l’audiovisuel d’intervenir sur ce sujet.
Les proches de François Fillon disent la même chose. M. Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale et secrétaire général du parti Les Républicains, « pense qu’il y a un délai trop court entre le débat et le premier tour pour pouvoir pallier à tel ou tel incident ou telle ou telle nouvelle polémique ». Luc Chatel, porte-parole de François Fillon dit que la date du 20 avril « pose un problème ». François Fillon lui-même estime que « Si Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon ne vont pas à ce débat, ça n’a aucun intérêt ». Même au Front National, Le Parisien rapporte qu’on juge que « cette émission va se dérouler à trois jours du premier tour. C’est beaucoup trop rapproché comme échéance » et Marine Le Pen se dit « pas sûre » d’y participer.
Surtout, comme on le sait, le CSA lui-même a exprimé sa « préoccupation » devant le dispositif prévu par France2. Il est suffisamment rare que le CSA sorte de sa réserve pour que cela soit signalé. C’est donc qu’il juge l’affaire grave et sérieuse.
Son communiqué est très clair : « le Collège du CSA a mandaté son président pour faire part de sa préoccupation le vendredi 24 mars à la présidente du groupe » France Télévisions. Et le CSA explique sa réserve : « Cette préoccupation est relative à l’émergence possible à l’occasion de ce débat d’éléments nouveaux de polémique électorale auxquels des candidats mis en cause ne seraient pas en mesure de répondre utilement compte tenu de la brièveté du temps qui leur serait laissé, conformément aux prescriptions de l’article L. 48-2 du code électoral ». En effet, cet article L. 48-2 du code électoral prévoit qu’« il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ». Et en effet, avec un débat à 11 s’achevant dans la nuit de jeudi à vendredi 21 avril, compte-tenu de la règle d’égalité des temps de parole et de la fin de la campagne électorale le vendredi 21 avril à minuit, il sera impossible de répondre dans des conditions médiatiques équivalentes aux aléas du débat.
Ce qui est stupéfiant c’est donc la fin de non recevoir de France2. Tous les participants du débat de TF1 sauf le candidat du PS critiquent la date mais la chaîne défend sans ciller son programme. L’argument selon lequel nous aurions été informés il y a plusieurs semaines ne tient pas. Les grandes salles du pays se réservent plusieurs mois à l’avance et le nombre de candidat pour un tel débat n’est connu avec précision que depuis 10 jours. Quand France 2 affirme, dans Le Parisien et sous couvert d’anonymat, être « prêt à assumer le choix d’un pupitre vide », c’est absolument sidérant. On mesure l’arrogance qu’une telle déclaration contient. Et aussi le mépris personnel qui m’est destiné puisque la chaîne a cru utile de préciser qu’avec ou sans Mélenchon, le débat aurait lieu. Depuis, le ton a changé car le camouflet reçu de tous les candidats et du CSA a contraint cette prétentieuse équipe à une attitude plus respectueuse de la dignité des personnes concernées. Mais pour qui se prennent-ils ! D’où leur vient une telle morgue ? Surtout quand on sait que quelques heures auparavant, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, dans le même communiqué avait rappelé « la nécessité de s’enquérir de l’accord des candidats pour la participation à de tels échanges ainsi que pour la détermination de leurs modalités ». C’est écrit noir sur blanc, non ? Il faut l’accord des candidats et pas seulement un oukase des chefs de service de France 2 ! La chaîne serait donc prête à enfreindre les règles du CSA ? On ne peut y croire !
J’ai été frappé pendant que cet épisode de la façon avec laquelle les faits étaient rapportés, une fois de plus. À peine avais-je exprimé mes réserves et en avais-je expliqué les motifs que j’ai pu lire des dizaines de fois : « Mélenchon refuse de débattre » ! Naturellement il n’en était rien et mes lecteurs le savent bien. Mais si eux le savent à la lecture de mon post, pourquoi ceux qui en font des comptes rendus expliquent-il tout autre chose ? On devine qu’était à l’œuvre une fois de plus la sacro-sainte solidarité corporative qui exige que toute personne qui refuse de se soumettre au système médiatique de l’officialité et à ses injonctions doit être aussitôt miser sur un bûcher de stigmatisations. Mais ici, comme très rapidement, les bouches sont ouvertes du côté des autres candidats, la piteuse manœuvre s’est retournée contre ceux qui avait essayé de l’installer.
Fort de cette expérience, je me sens obligé une nouvelle fois de mettre les points sur les « i », avec l’espoir que du moins ceux qui me lisent en tienne compte ensuite. Après que tout ce que je viens de raconter ait eu lieu, nous avons bien évidemment accepté la rencontre à laquelle France 2 nous avait convoqué avec les autres candidats. Manu Bompard, directeur de la campagne, a plaidé pour qu’une autre date soit fixée. J’y insiste. Il n’a donc pas refusé l’idée d’un débat sur France 2 mais demandé qu’une date soit fixée avec la limite du 17 avril. Lorsqu’il devint évident qu’aucune date ne convenait à tout le monde, monsieur Philipot s’en fut. Puis nous avons entendu la proposition de la chaîne d’organiser une suite d’interviews de 15 minutes candidat par candidat. Cela a été aussitôt refusé par une partie des candidats. Manu Bompard a proposé que, puisque la date en était déjà arrêtée, tout le monde se retrouve, candidats et chaînes de télévision, le jour du débat organisé par BFM. Peine perdue ! La rencontre s’est donc achevée sans qu’on sache ce qui serait décidé. Après l’expérience réussie par TF1, je forme le vœu que tout n’aille pas se dégradant pour l’unique raison que nous serions onze au lieu de cinq et que la chaîne publique n’a semble-t-il pris aucune disposition un tant soit peu praticable. À moins que ce soit pur orgueil et morgue de caste.